ANACHRONISME DE MÉDÉE
Elle roula dans un journal
Les enfants nés de sa destinée qu’elle venait de dépecer
Leur accordant ainsi
La part de tristesse de l’éphémère
(Infortunée nature humaine)
Que leurs visages lui avaient
Révélée de façon si heureuse
Elle roula dans son journal
Tout ce qu’en ses étreintes passées
Elle n’avait eu le sentiment d’enclore en leurs rêves
Elle s’immisça, se glissa avec eux dans le lit
De sang de l’Haliakmôn
Quêtant leur mémoire et sur la terre
Et sur la mer qui les recueillit
Trois cadavres livrés à ses eaux jamais au repos
Et qui d’une baie à l’autre
Les berçait de sa vague innocente
/ Traduction d’Alexandre Zotos et Véronique Briand
Ce qui gratte dans les profondeurs
Ce qui gratte dans les profondeurs
Mûri par la solitude et prêt par amour
À sortir, et habiter dans l’air
Pour que le jour trouve en l’homme
Le refuge d’une tente
Où chercher à s’élever, à poindre
Et dans le trouble et l’éblouissement
Dire une parole et donner une musique
Crotale antique dont une main attend
Le son, pour qu’apparaisse
Du fond de l’horizon approchant hésitante
Nue dans le crépuscule une femme
Porteuse des mots illuminés
Vêtue de nuit pour que rosisse
Humide et pure la voix humaine
/traduit du grec par Michel Volkovitch
Là où s’est déplacée la voix du mort
Là où s’est déplacée la voix du mort
Sonnent trompettes et flûtes
Vibrations des séismes, grincements des glaciers
Ont rosi l’autre rive de la vitre
Des galets aiguisés au tranchant
De l’eau glissent en musique et brillent
Une plainte charmante mène la charge en murmures
D’autres lamentations lui font prêter serment
Là où ils pleurent le défunt jusqu’à l’aube
La rosée veille la nuit sur les premières feuilles
/traduit du grec par Michel Volkovitch
NÉS DE JASON
Ils ne virent ni ne purent voir
Que l’ombre
Venue se planter
En leurs corps, et les absorber
Dans la molle coiffe
D’un nuage noir
/ Traduction d’Alexandre Zotos et Véronique Briand
Et c’est à peine s’ils entendirent
De leur vie infime qui les quittait le hélas
Qui s’échappait du poignard de la mère
Surgi de son ombre
Pour couper corps
Et âme de la leur
/ Traduction d’Alexandre Zotos et Véronique Briand
Les hivers, quand son monde intérieur se faisait plus sombre encore, étaient la saison où ce qu'il y avait de secrètement sauvage dans les frontières de sa vie se mettait à l'abri. Les bêtes sauvages se cachent mieux dans les ténèbres.
NEKUIA OU LA VOÛTE
Chambre des morts
Sans tombe ni tache ni souillure
Divins
Chambre des âmes
Vigilantes sur leur iconostase
Elles montrent combien elles savent endurer, partager
Chambres des dormeurs
Plus profonde leur respiration dans le sommeil
Aussi loin que de leur gré ou non les porte la vie
/ Traduction d’Alexandre Zotos et Véronique Briand
Les yeux portent l’énigme
Les yeux portent l’énigme
Des corps, les yeux frémissent
Dans le geste de la bouche
Car le verbe est feu et l’orateur
Saltimbanque des rues
Des entrailles jusqu’aux lèvres brûle.
/traduit du grec par Michel Volkovitch