On a même du mal aujourd'hui à concevoir, et plus encore à proposer comme projet de société, un monde ne serait-ce que légèrement moins confortable que le nôtre. (...)
Homo confort a renoncé à la volonté de se réapproprier le pouvoir politique, et il a accepté son assujettissement en contrepartie d'une vie confortable.
Nous nous résignons à voir comme une aspiration vaine ou utopique la résolution des problèmes majeurs de notre époque: limitation des libertés individuelles, augmentation des inégalités sociales et économiques, affaissement de la démocratie, déliquescence des services publics, toxicité des politiques industrielles, vacuité des mesures gouvernementales en matière d'écologie, persistance de violentes discriminations de classe et de genre, destruction de l'autonomie des populations ...
Je ne suis pas un moraliste et n'ai aucun mal à dire que profiter du confort et de la détente physique qu'il procure fait partie des joies de l'existence. Mais pour pouvoir en jouir, je ne suis pas prêt à renoncer à la richesse de l'expérience qui résulte de l'activation complexe de mes cinq sens, ni à bouleverser des équilibres écologiques profonds, ni à voir disparaître des savoir-faire millénaires ainsi qu'un nombre incalculable d'espèces animales et végétales, ni surtout à sacrifier mon autonomie productive et politique. Je ne peux véritablement jouir du confort que lorsqu'il ne devient pas synonyme de soumission, de mutilation, d'ignorance ou de perte de dignité.
Tout projet politique alternatif doit passer par une réappropriation des savoirs-faire, dès lors soustraits aux processus de production industrielle.
(...) les outils hypertechnologiques sont intrinsèquement liés à l'exploitation d'une main-d’œuvre bon marché et à la soumission de la nature, au saccage et à la dévastation de l'environnement, à l'ignorance et à l'apathie, à la guerre et à la mort, à la mystification et au conformisme. Leur développement relève à la fois d'une volonté de domination et d'une course au profit constante.
L'université et, plus précisément, les disciplines anthropologiques spécialisées dans ce que l'on nomme l'"histoire des traditions populaires" participent de manière active à ce processus de documentation muséifiant, centrée sur l'étude des savoirs-faire artisanaux irrémédiablement perdus. Il est évident que le succès actuel tout comme la signification des représentations de ce qui n'existe plus reposent sur le refoulement de ce qui en a causé l'extinction. (...) Il est tout aussi évident qu'elle ne renouvelle aucunement les connaissances pratiques concernées, se contentant de les évoquer sous une forme réductrice.