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Biographie :

CHARGÉE DE RECHERCHE FNRS à l'université catholique de Louvain.

SSH/INCA -- Institut des civilisations, arts et lettres (INCA)

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Bibliographie de Sarah Delale   (1)Voir plus

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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Par-delà le seul chevalier c'est toute une societé qui prostitue ainsi ses filles par les mariages arrangés ou par les liaisons consenties des jeunes hommes bien nés avec des jeunes filles de basse naissance. Pute légale (la femme mariée de force), pute qui n'est pas désignée comme telle (la maitresse, argentée ou non) ou pute tout court (la prostituée des rues ou des bordels): la seule chose qui differe, au XVIIIe siècle, c'est le contrat signé au départ.
Manon, au XVIIIe siècle et au-delà : nous sommes encore traversées par de telles représentations, nous qui subissons encore le « complexe de Cendrillon », qui sommes enjointes à attendre notre « prince charmant » et incitées à nous modeler, adolescentes, sur des films comme Pretty Woman plutôt que sur Breakfast at Tiffany.
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La loi légifere sur des faits : elle ne peut sévir contre le harcèlement moral qu'à partir du moment où suffisamment d'actes se sont accumulés. Plus la victime sera détruite psychiquement, plus une affaire aura de chances d'aboutir. Plus le harcèlement moral est bref ou diffus, plus il a de chance d'être banalisé par la société.
C'est pourquoi la recherche socio-médicale est précieuse dans I'anaIyse du harcèlement, dont les variétés ont en commun des structures de comportement.
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Ce qui nous ramène à notre point de départ: il n'est pas si facile de nous défaire de nos habitudes de lecture et de voir, au moment où nous les lisons et les visionnons, à quoi tiennent les vraies histoires d'amour.
D'abord, il faut démasquer les fausses romances. Cet essai a mis en lumière des femmes qui disaient non mais que personne n'écoutait. Comment s'étonner de découvrir ensuite des relations toxiques rebaptisées passion ou amour libertin? Au lieu d'héroines comblées, nous avons trouvé des femmes étouffées par la jalousie, humiliées et finalement oubliées, car les règles du jeu en amour, sentimental comme physique, sont pipées et pétries de stéréotypes: le prince charmant inatteignable, le bandit au grand coeur, la femme sacrificielle, la lolita perverse, la femme fatale.. On a vu comment cette ambigüité du discours sur la passion amoureuse euphémisait les abus. Un tel discours peut amener à minimiser ou à ignorer des crimes, en particulier ceux qui relèvent du viol, de la pédophilie et du féminicide.
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En France, chaque époque du milieu littéraire a eu son dieu des fontaines. Au XIVe siècle, c'était Jean de Meun. L'entre-deux guerres adulait Stendhal, I'après-guerre vénérait Flaubert qui a cédé la place au culte de Proust. L'époque qui a proclamé la mort de l'auteur et vécu la libération des moeurs a trouvé, en Proust, une autorisation esthétique. L'art pour l'art a permis à beaucoup de gens d'abuser et d'exploiter, puis de raconter ces abus et ces exploitations pour les enfermer dans un tabou. Quand c'est l'abuseur qui raconte comme dans la tache de Stroop, en disant que le rouge s'appelle bleu, l'abusé(e) perd doublement l'accès à la parole. L'esthétique sans éthique a permis dans les milieux artistiques le triomphe culturel de la Barbe Bleue: c'est une part de ce qu'on appelle la culture du viol.
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Quand certaines personnes refusent d'entendre un probleme qui, pour d'autres personnes, existe réellement, c'est que ce probleme touche à un tabou. Et le fait que la littérature imite le réel et parle du réel est un tabou très fort dans notre culture actuelle. Sans doute parce que les abus sont eux aussi un tabou social, et qu'on voudrait qu'ils filtrent le moins possible dans les discours.
Revendiquer une suspension de la morale en littérature, enjoindre le lectorat à se concentrer uniquement sur le style et à se détourner du contenu, c'est donc encore un geste moral - un geste qui concerne bien plus le réel que la fiction. C'est tout simplement imposer une morale implicite qui ne devra jamais être discutée ni critiquée : une morale qui doit être ingérée le plus inconsciemment possible en s'extasiant sur la beauté du langage.
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Elvire, Cordélia et Marguerite sont des personnages évités. Elles interviennent, mais leur histoire n'est pas racontée. On ne sattarde pas non plus sur leur caractère. Personne ne parlerait d'elles si clles n'avaient pas été abusées. Elles n'auraient pas de prénoms et seraient des jeunes filles indéterninées. Johannes commence par regarder Cordélia dans un miroir. En y regardant la jeune fille, il se voit lui-même. Ensuite, c'est Cordélia qui devient ce miroir dans lequel le séducteur se regarde. Elle est traitée conme un objet de réflexion masculine et si nous ne faisons pas un effort d'attention, nous pouvons nous laisser entraîner par le point de vue dominant du séducteur. En évitant les personnages féminins, on oublie leur expérience et par là l'abus qu'elles subissent.
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Montriveau, dans la scène centrale du roman, se livre à un simulacre de procès. Point de présomption d'innocence, car le verdict est annoncé d'emblée:« Vous avez commis un crime. » Lui, qui vient de faire enlever brutalement la duchesse et l'a menacée, se donne le pouvoir de la condamner. Pareille inversion de la culpabilité est typique de I'emprise: la « culpabilité s'inverse parce que la victime ne parvient pas à formuler ce qu'elle subit et à en faire le reproche à l'homme » [citation de Marie-France Hirigoyen, Femmes sous emprise, p. 119]. En effet, Antoinette essayera de répondre à son réquisitoire mais finira par accepter le verdict, déclarant: « Vous êtes en droit de me traiter durement. » Elle ne parviendra pas à nommer l'emprise, la violence, la perversion et le sadisme d'Armand de Montriveau. Et pendant près de deux siècles, le lectorat de Balzac hésitera à voir et à exprimer l'abus dont elle est victime.
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L'amour a pour but de lier des êtres entre eux : chacun des êtres est donc la fin et la destination de ce lien. La passion, en revanche, lie des êtres pour les entraîner vers autre chose qu'eux-mêmes, elle traverse les individus et les dépasse. C'est ce qui la rend «sublime » : elle voit dans autrui le moyen d'atteindre autre chose à travers lui obsession, compulsion, exploitation, aliénation, folie, mysticisme, désir de mort, peu importe. La passion n'est donc pas un lien inoffensif, mais un principe d'utilisation qui peut mener à la destruction et à la mort. Sous son masque se cachent ici le viol, là la pédophilie, là-bas le harcèlement, ailleurs encore l'abus de pouvoir.
Doit-on donc s'inquiéter de voir les œuvres d'art, et notamment la littérature, exalter si souvent la passion?
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Johannes fait bien plus que de prendre sa virginité à Cordélia. La pénétration est spirituelle avant d'être physique. Il entre dans ses pensées, lui fait croire qu'elle pense ce qu'elle ne pense pas, qu'elle veut ce qu'elle ne veut pas. Les conséquences seront donc pires pour Cordélia : elle se croira responsable de ce qui lui arrive et ne pourra pas comme Elvire réclamer des comptes à son séducteur. Johannes utilise la jeune fille contre elle-même. Le résultat est dévastateur : quand tout est fini, quand la faute est commise, elle devient la seule fautive. Elle ne peut même pas se consoler en se disant qu'elle a été trompée. Car tout ce qui est arrivé, elle l'a voulu. Johannes amène les gens à se perdre « en eux- mêmes», la jeune fille ne sait donc plus qui elle est. Ses lettres expriment une grande confusion: l'envie de ne plus revoir Johannes combat celle de le revoir qui semble plus forte. Elle ne parvient pas à ne plus I'aimer. Elle ne peut trouver la paix, il la hante. « Je ne pense que par lui chacune de mes pensées », dit-elle. Johannes l'a privée de sa liberté de pensée. Cet abus psychologique est plus grand que l'abus physique, car c'est de de celui-là qu'elle ne se remet pas.
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Note 105. La notion de male gaze (regard masculin ou vision masculine) a été introduite par Laura Mulvey dans Visual Pleasure and Narrative Cinema, Sereen, n° 16/3, 1975. p. 6-18, traduction française disponible en ligne. Voir aussi Laura Mulvey, Au-delà du plaisir visuel : féminisme, énigmes, cinépbilie, trad. F. Lahache et M. Monteiro, Sesto San Giovanni, Mimesis, 2017. Elle désigne à l'origine les biais genrés qui interviennent dans le cadrage et les mouvements de la caméra, en particulier la manière dont la caméra sexualise différemment les corps masculins et féminins. Plus largement, elle signale que les catégories de perception et de conceptualisation du monde ont été très souvent construites en fonction d'une expérience masculine, avec les biais d'attention et de jugement que cela implique.
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