Payot - Marque Page - Michel le Bris - La cuisine des flibustiers
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Les livres de poche faisaient leur apparition chez Guiguite , qui tenait dans le bourg de Plougasnou une papeterie-librairie-mercerie-épicerie ( entre-autres ) , dont la brave dame était la seule à maîtriser le chaos et je n'en finissais pas de rêver devant leurs couvertures richement illustrées , Pierre Benoît qui me déçut , " Les Hauts de Hurlevent ", d'Emily Brontë , qui me laissa une impression extraordinaire , " Les Conquérants " et " La Voix royale "de Malraux .
p. 137
Pour une littérature-monde en français
Michel Le Bris (*** créateur du Festival Étonnants Voyageurs )
Écrivain, je me sens du monde entier, habité de tous les livres qui ont pu compter pour moi, écrits aux quatre coins du monde dans toutes les langues possibles, de culture littéraire au moins aussi anglo-saxonne que française, et je crois, pour aggraver mon cas, que tout Romancier écrivant aujourd'hui dans une langue donnée le fait dans le bruissement autour de lui de toutes les guerres du monde.
Écrivain, il se trouve simplement que j'écris en français.Et je me sens du coup héritier, aussi, d'une longue histoire, responsable en quelque sorte d'une aventure inachevée qu'il m'appartient, avec d'autres, de prolonger.
À ce titre, la foule des petits hommes gris, démonstrateurs, intertextualistes, structuralistes, Diafoirus formalistes m'est toujours apparue comme une foule ennemie, acharnée à détruire le seul trésor qui m'importait.Gagner un autre espace, où respirer plus large, loin d'eux, devenait une nécessité - un espace qui s'appelait littérature- monde en français.
( p.43)
Quoi que je fasse, je l'entends - comme une note dans les lointains qui longuement résonne et mon coeur déjà se serre de nostalgie, tandis que son grondement enfle à toute vitesse, envahit l'espace, et je suis de nouveau l'enfant effaré sur cette côte bretonne qui écoutait, dans les nuits de pleins vents, les forces de la création danser la sarabande : je suis né de ce dialogue et de ce combat entre terre et mer. Et Bretagnes, je le crains, ne seront jamais que les noms multiples de ce mystère en moi...
(p.5)
Hypérion accumulait les paradoxes et les difficultés comme à plaisir, au fil d'un récit grandiose, puissamment maîtrisé. […] La Chute d'Hypérion, tellement attendue, non seulement résout magistralement ce qui nous restait encore énigmatique, mais surtout l'englobe […] dans une vision nouvelle, proprement stupéfiante, où la constante référence au poème de Keats ("Hypérion") prend pleinement son sens.
Billet pour la vie
Michel Layaz
Par bonheur, à moi seul tante Victiria envoyait des cartes postales, qu' elle prenait soin de protéger dans des enveloppes (...)
mon livre d'images préféré. Bien plus encore ! Le soir, avisé comme un malfrat, j'ouvrais la boîte et je rêvais, non pas en regardant les images, mais en lisant les petits textes écrits au dos des cartes, des séquences
sans ponctuation qui me ravissaient et m'emportaient dans l'instant de l'instant évoqué. Pour lire, je me cachais.J'étais un lecteur clandestin.
( p.270)
Mort d'une certaine idée
Jean Rouaud
(*** à propos de la langue française)
Abusés par cette vision ethnocentriste, penchés comme des rétameurs sur la phrase, résignés à cette fin prochaine , nous avions peu à peu oublié que la langue avait fait souche sur les cinq continents, qu'elle s'était développée loin des affres du vieux pays.Et que désormais déliée de son pacte avec la nation, libérée de l'étreinte de la source- mère, devenue autonome, choisie, retournée à son chant premier, nourrie par d'autres aventures, n'ayant plus de comptes à régler avec la langue des anciens maîtres, elle avait de nouveau à proposer, vue d'Afrique, d'Asie ou des Caraïbes, de Chine ou d' Iran, d'Amérique Nord ou du Vietnam, son interprétation du monde.Un monde ouvert, foisonnant, bigarré, en mouvement, demandant qu'on s'intéresse à lui, qu'on ne l'abandonne pas à lui-même, un monde en quête de récit, un monde sachant que sans récit, il n'y a pas d'intelligence du monde.
( p.21)
De l'apprentissage du français à l'écriture
Chahdortt Djavann
Outre les problèmes de tout genre, il y avait le problème du genre pour Roxane.Que les objets et les mots eussent un sexe, elle ne l'aurait jamais cru.
Le persan, fârsi, est une langue sans sexe, androgyne si l'on veut..On ne dit pas " le fârsi", ou " la fârsi", on dit juste " fârsi".Pas d'histoire avec la masculinité ou la fémininité dans cette langue; il y en a déjà assez avec les êtres humains,ça suffit largement.Grandie sous le régime des mollahs, Roxane en avait gros sur le cœur avec les problèmes de masculinité et de féminité; ce n'était pas le moment d'en rajouter avec le sexe des mots.
( p.290)
Je t'embrasse pour finir
Wajdi Mouawad
(...) puisqu'encore aujourd'hui il m'arrive de m'arrêter au milieu de la route pour me demander comment cela se fait que je maîtrise une langue si monstrueusement étrangère à mon enfance, incomprehensible aux oreilles de mes ancêtres. Comment se fait il qu'écrivant à l'instant le mot " instant " je n' hésite pas ?Comment se fait- il que le mot vienne tout seul ? Comment se fait- il que je ne le traduise pas de l'arabe ? Quel monstre suis- je alors devenu ?
( p.184)
Je t'embrasse pour finit
Wajdi Mouawad
Le bruit des canons m'a arraché à ma terre envahie, arraché au jardin de notre maison à la montagne.Mon pays n'est pas grand, c'est un jardin où mon père cultivait des fruits et légumes qu'il montrait fièrement à nos voisins.
Je remercie mon père pour m'avoir permis, quelquefois , de bûcher la terre de ce petit jardin, pour m'avoir permis de cueillir des pommes de terre, des concombres, du persil, de la coriandre, des épis de maïs.Je remercie mon père pour m'avoir appris à arroser, sans les noyer,les fleurs et les herbes délicates.Grâce à lui, j'ai pu pleurer lorsqu'une bombe est venue tout déraciner.(...)
J'ai longtemps pleuré...pleuré ce qui allait devenir le plus grand chagrin de ma vie, le chagrin inconsolable de ma vie.Je remercie mon père, car mon premier chagrin fut un jardin.Tout le monde ne peut pas en dire autant.
( p.176)0
" Une conception étriquée de la littérature, qui la coupe du monde dans lequel on vit, s'est imposée dans l'enseignement, dans la critique et même chez nombre d'écrivains. Le lecteur, lui, cherche dans les oeuvres de quoi donner sens à son existence. Et c'est lui qui a raison. " [ Todorov- La littérature en exil] (p. 108)