Le train traverse de longues étendues de terres inhospitalières. Parfois, pendant des jours, on ne voit que des steppes et des prairies. C'est toujours cette partie du voyage que j'ai préférée ; ces endroits que personne ne voudrait jamais habiter, mais qui possèdent une étrange beauté un peu inquiétante. Là, sous l'immensité du ciel criblé d'étoiles et de constellations silencieuses, si vaste et si majestueux, là j'aurais l'impression que notre périple n'a pas été vain, au bout du compte. Si seulement j'arrivais à vider mon esprit de toute pensée le temps d'écouter le ciel nocturne, j'entendrais enfin ce que l'univers veut me dire.
Je m’imagine le théâtre rempli d’hommes et de femmes parés de leurs plus beaux atours, les danseurs sur la scène, l’orchestre dans la fosse… scènes que j’ai apprises de mon bien-aimé Tolstoï.
« C’est une chose terrible que de fuir sa maison en pleine nuit, de voir la peur dans les yeux de ses parents et de savoir qu’on ne reviendra jamais. C’est une chose terrible que de ne plus être chez soi nulle part. Mais quand on ne peut plus lire, apprendre, chanter, ni même marcher toute seule au soleil, on ne peut plus vivre. On ne peut plus rester. »
Les choses qu'apprenaient Jawad commencèrent à changer. A la place de la géographie et des mathématiques, il rentrait à la maison en ne parlant que de sujets religieux, des nouvelles règles. Il se mettait à nous faire la leçon en soupirant, en disant que nous ne pourrions jamais comprendre car nous n'étions que des filles, et que désormais, il était de sa responsabilité de nous guider, de nous montrer la voie du bien.
Ce garçon doux, que nous avions tous tellement aimé, se métamorphosait sous nos yeux. Tout se métamorphosait.
Même les jeux dans le village changèrent.
C’est une chose terrible que de fuir sa maison en pleine nuit, de voir la peur dans les yeux de ses parents et de savoir qu’on ne reviendra jamais. C’est une chose terrible que de ne plus être chez soi nulle part. Mais quand on ne peut plus lire, apprendre, chanter, ni même marcher toute seule au soleil, on ne peut plus vivre. On ne peut plus rester.
Plus personne ne faisait de vélo ni de cerf-volant. Le terrain de volley près de la place fut peu à peu déserté. Les filles sortaient de moins en moins de chez elles. Nous commençâmes à rechercher la pénombre.
Il pense que les hommes qui ont construit ces ponts, qui ont fait sauter le granit et le cristal tout le long de ce littoral rocheux, les hommes qui ont percé, creusé et dynamité de longues étendues de cette terre sibérienne inhospitalière, bâti de majestueux ponts et tunnels, bravant la menace des crues et des glissements de terrain, que ces hommes remarquables étaient de véritables aventuriers qui ont plié la nature à leur volonté. Créer un monde à l’image de ce qu’on dessine, voilà ce que veut Omar.
Il est des voyages qu’on préférerait ne jamais entreprendre. Et pourtant on part. On part parce qu’on n’a pas le choix, parce que c’est la seule façon de survivre. Ceci est mon voyage, celui que j’aurais voulu ne jamais faire. Mais je l’ai fait. Certaines choses ont survécu. D’autres ne peuvent être, ne seront jamais oubliées.
Elles nous accompagnent jusqu’à la fin.
Même si c’étaient des truands, des hommes frustes sous l’emprise de la drogue, eux aussi étaient des fils et avaient été des enfants qui, désormais à peine adultes, ne furent pas mécontents de pouvoir se réchauffer dans la voiture et de ne pas avoir à tuer ce couple et ce nouveau-né. De sorte que, pour cette fois, tout fut bien qui finit bien.