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Ma tante Kate m’a appelée à sept heures du matin. Grand’ma est en train de mourir…
… Alors, ni une, ni deux, je réveille Elton et Joe en leur disant qu’il faut qu’on y aille, parce que je veux la voir avant qu’elle meure. « Qui ça ? me demande Elton. – Grand’Ma. » Pendant le petit déj, je me suis mise à pleurer. « Pourquoi tu pleures ? » Il parle la bouche pleine de cookie crisp, des céréales dégueulasses en formes de cookies, qu’il adore, et comme il voit que je tique au supermarché pour les acheter, il m’énumère à chaque fois la liste des vitamines qu’il y a dedans : « D, B1, B2, PP, B6, B5,B9, du fer, et même du calcium, M’man !! » « Pourquoi tu pleures ? il le répète en avalant sa bouchée. – Parce que je suis triste, parce qu’elle va mourir. – Pourquoi tu es triste, M’man ? La mort c’est juste une autre aventure ! » Je le regarde, éberluée.
Et quand je vais chez mon coiffeur, Denis - il est français, y a qu'eux qui ont cette sensibilité pour comprendre ce qu'un désagrément de coiffure peut engendrer comme traumatisme dans la vie quotidienne.
Donc le violon. Au début, ton gamin te sourit, il a envie de te faire plaisir. Il aime bien ouvrir et fermer la boîte, passer l'archet à toute vitesse sur les cordes. Au fur et à mesure, tu te rends compte que ce qu'il aime surtout, c'est fermer la boîte.
C'est dingue comme on déraille petit à petit. Au début, on rate une station, ensuite on se trompe de direction et puis après on reste assis dans la rame du métro en croyant qu'on est toujours chez soi.
On est dimanche et je vais répéter. Les gens pensent que la vie d'artiste, c'est extraordinaire. "Quelle chance tu as, Kelly, de vivre ta passion !" Ils te disent ça d'un air tellement admiratif. Mon cul, oui. Moi, ce que je voudrais, c'est être dans mon lit avec Joe qui repart dans deux heures. Et puis, "l'expression de soi" avec un mec qui gesticule sur un podium pour donner du sens à la musique et qui croit qu'il est en train de changer le cosmos, ça me fait marrer.
Je me cache derrière et je rigole bien avec mes collègues, tous des mecs très portés sur la chose qui oublient jamais d'ouvrir leurs revues de cul en même temps que leurs partitions. De temps en temps, quand ils veulent se donner l'air intelligent, ils sortent un magazine de voitures. Ce qu'ils aiment, mes collègues, c'est la belle carrosserie, qu'elle soit humaine ou automobile.
Et là, je me dis que je suis vraiment conne à essayer d'arracher un peu de ma vieillesse devant un miroir. En plus, mes cheveux blancs sont bizarres, ils poussent frisés. Ça fait tire-bouchon au milieu de la masse.
Allez je vous fais une petite description - je vois bien que vous en mourrez d'envie. Je suis une grande blonde - ça commence bien, hein ? [...] je suis extrêmement bien proportionnée - c'est pas ma faute si ma taille est plus fine que mon cerveau ! Et pourtant, je mange beaucoup. Si, si je vous jure ! Que des hamburgers et du Coca bien sucré. C'est quand même pas ma faute si je grossis pas ! C'est une question de métabolisme ! - c'est ce qu'elles disent toutes dans les magazines. J'adorerais avoir des formes pulpeuses comme Marilyn - mais, je suis juste très mince. Attendez, me visualisez pas trop vite, faut que je m'arrange encore un peu dans votre cerveau ! Voilà, c'est bon, mes cuisses sont aussi grosses que mes poignets...
Mais, la vérité, c'est que c'est pas du tout ça qui fait que les mecs se retournent sur mon passage, c'est ma chevelure. Une chevelure blonde, bien fournie, qui tombe en cascade sur mes reins - oui, comme Barbie.
A midi, on était à table avec Elton. Il m’a regardée, les yeux pleins d’amour, et il m’a demandé : « Maman, tu sais pourquoi je t’aime le plus ? – Non, mon amour, dis-moi. – Parce que tu es la meilleur cuisinière ! » Dans son assiette : de la purée de la veille réchauffée et une tranche de jambon. A quel âge on perd notre émerveillement ?
[...], je me suis installée pour écrire dans un tout petit café. C'est la nouvelle mode à Manhattan. Les grands trucs du type Starbucks, c'est mort. Maintenant c'est les petits bouis-bouis à "l'européenne" où pour 3$, t'as un fond de tasse avec un jus qui t'arrache la gueule. La première fois que la cafetier m'en a apporté un, j'ai cru qu'il se foutait de moi. Du coup, j'en ai bu trois de suite. Au troisième, il m'a demandé si j'étais sûre. "Ben oui, j'ai soif !" Tout à coup, mon cœur s'est mis à s'emballer. Ca cognait de plus en plus vite, le cafetier se marrait : "Prenez un verre d'eau la prochaine fois que vous aurez soif !" Connard.