L'auteur Julien Guerville présente son premier roman "Amanita" et répond aux questions de Marie Michaud, libraire à la Librairie Gibert Jospeh de Poitiers.
Une présentation organisée avec Page des Libraires.
Réalisation Anna Pitoun
Mais je comprends pas, qu'est-ce qui est arrivé en premier ? La peur ou les Dieux ?
Prends ton temps. Lève la tête. Regarde le monde comme si tu en étais l'auteur. C'est le tien. Il l'appartient. Tu es chez toi ici. Tu domines. Tu es le prédateur suprême. Tu es un Kaiju.
L’alcool n’aide en rien. Jamais. C’est juste une autre façon d’être au monde . Plus essentielle. Plus hasardeuse.
Les deux mecs chargés de la négociation se payaient nos têtes. Ils nous noyaient dans le jargon, nous perdaient à travers des termes administratifs. J’avais un mal fou à me concentrer. Ils nous baladaient comme des chiens. Ils disaient « Vous n’avez pas le choix. Il faut que l’usine tourne. Comprenez bien, si vous ne bossez pas, personne ne sera payé. Mettez-vous à notre place, les gars, si la proSol n’honore pas ses dernières commandes, nos clients ne nous payeront pas. Et c’est exactement cet argent qui payera vos indemnités. C’est aussi simple que ça. Fin de la discussion ».
- Mais ne va surtout pas t’imaginer que c’est facile de bosser pour une boîte qui te pourrit la santé et l’environnement. Ne va pas croire qu’on n’en a pas conscience et qu’on ne pense qu’à nos petites personnes. Surtout pas. On ne pense qu’à ça. Qu’à cette odeur poisseuse qui nous tourne autour à chaque geste et à chaque pensée. Et à vrai dire, on aime cet endroit autant qu’on le déteste.
Ils nous détestent, et ils ont raison sur un point. Nous tuons les Dieux. Nous les rendons obsolètes. Nous ouvrons notre propre voie. Nous interrogeons l'univers avec nos yeux. L'écoutons avec nos mots. Et le construisons de nos mains.
Il cherche à se départir de son fardeau. De la violence de la guerre et de la solitude des marais. Il voudrait que je l'aide à la supporter. Que je la soulage. Que j'en prenne ma part, mais la violence se diffuse plus qu'elle ne se partage.
L'alcool et la nuit me rendaient lucide
-Il y a un tas de trucs qui se sont créés parce que la ProSol existe. Sans elle, on serait sans doute en train de dormir sous des cartons dans les quartiers ouest, à faire deux mille bornes en bus chaque année pour ramasser les oranges de l'AOOR ou pour vider la merde de croco dans le Rauc.
- Qu'est-ce que c'est exactement les " Dieux"?
- Un truc que les chamans ont inventé pour rassurer les gens, répond Bianca.
- Ça a marché ? De quoi les gens avaient peur?
- Du monde qui les entoure, je crois. Et non, ça n'a pas marché.
L'alcool et la nuit me rendaient loquace
- La plupart des gars sont venus ici parce qu'il y avait du travail et qu'ils n'étaient pas trop regardants sur le personnel . Ils se sont installés. Et avec la ProSol ils ont eu un petit moment de répit dans une vie sans gloire. Beaucoup sont là depuis un moment. C'est leur histoire ici. Avant, ça ne compte plus.