La série de romans "Harry Dickson," le Sherlock Holmes américain popularisé par Jean Ray, fascine depuis les années 30. Il manquait à cette légende de la littérature une adaptation BD de grande qualité, fidèle à ses enquêtes so british mais teintées d'un piquant surnaturel. Un trou dans le trench réparé par cette collection à la ligne claire élégante et tonique !
"Harry Dickson" de Catacchio, Headline et Luana Vergari - Disponible au rayon BD
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Le rose n’est pas une couleur, c’est le bâtard du rouge triomphant et de la lumière coupable ; né d’un inceste où l’enfer comme le ciel ont joué un rôle, il est resté la teinte de la honte. Mais cela, je ne l’ai senti que plus tard, quand il m’était devenu impossible de sortir encore de la géhenne.
La connaissance d’après coup, celle qui arrive trop tard pour vous sauver, me rappela que le rose est jumelle à l’horreur.
Pleur sanglante des poumons phtisiques, mousse aux lèvres des hommes qui meurent la poitrine percée, tissus visqueux des fœtus, prunelles affreuses des albinos morbides, témoin du virus et du spirochète, compagnon des sanies et de toutes les purulences, il a fallu l’innocence et l’admiration des enfants et des jeunes filles pour l’entourer de désirs et de préférences, et cela même démontre sa malice et sa ténébreuse essence.
Les hommes ne sont pas nés du caprice ou de la volonté des dieux, au contraire, les dieux doivent leur existence à la croyance des hommes. Que cette foi s'éteigne et les dieux meurent. Mais cette foi ne se souffle pas comme une flamme de chandelle, elle s'allume, brûle, irradie et agonise. Les dieux vivent d'elle, lui empruntent leur force et leur pouvoir, sinon leur forme. Or, les divinités de l'Attique n'ont pas encore disparu du cœur et de l'esprit des humains ; la légende, les livres, les arts ont continué d'alimenter le brasier que les siècles ont surchargé de cendre.
Les bruits étaient sympathiques et excellents : des grésillements de graisse chaude, des flonflons de bouilloire, des bruits en fusée de rôtis arrosés, le choc clair des casseroles et de la vaisselle, un glou-glou de bouteilles qui semblait parodier une cascadante série de baisers goulus.
Toute sa sympathie d’homme affamé serait allée vers les odeurs des viandes chaudes et des sauces épicées, si un effluve étrange, doux et terrible, n’était venu flotter autour de lui.
— Je connais cela, murmura-t-il.
Et, soudain, une cruelle fantasmagorie se déroula en film silencieux dans sa mémoire : il revit les boueuses tranchées où saignaient d’innombrables cadavres de Tommies et de Feldgrauen.
— Cela sent la mort, dit-il, le sang… Pouah !
Jean Ray est né à Gand, le 8 juillet 1887. C'était un personnage des plus insolites, dont la vie semblait issue en droite ligne d'un roman d'aventures. Trafiquant à l'époque légendaire de la prohibition, Jean Ray sillonna, dit-on, toutes les mers du monde sur différents vaisseaux, plus ou moins fantômes, mêlé sans cesse aux écumeurs de mers et aux pirates, dont il était un des derniers représentants.
(dans le dossier en fin de volume de mon exemplaire : Marabout, 1965)
Je ne connaissais pas du tout jean Ray. A le lire, j'ai pensé au croisement entre un roman gothique et une nouvelle de Lovecraft. L'important, c'est le lieu, cette demeure de famille avec ses mystères et son atmosphère angoissante : bruits, obscurité, lumières qui s'éteignent, créatures non-humains qui hantent les lieux. Mais, là où les récits de Lovecraft sont ancrés dans le temps et l'espace - souvent la nouvelle Angleterre, à une époque contemporaine, ici, le temps et le lieu sont assez peu précis. Certes, il y a quelques éléments de datation, mais à peine : nous avons plus l'impression d'être dans un Moyen-Âe de cauchemar que dans le monde moderne. Il n'y a ainsi pas de signe de modernité, ni téléphone, ni électricité par exemple - alors qu'elle existe au temps du récit ; cette electricité aurait d'ailleurs pu être utile dans la lutte pour lablumière, entre celui qui cherche à éteindre les lampes de la maison et lampernisse. Le roman peut être lu comme la lutte du bien contre le mal, certes, mais surtout comme la lutte du noir et des ténèbres contre les couleurs et la lumière. Après tout, la maison abrite un magasin de couleur, Eurydale ouvre plus ou moins ses yeux pour laisser parler une lumière verte, et un personnage évoque Prométhée, celui qui a donné le feu aux hommes.
Le tableau brille donc dans un clair obscur, ce qui peut évoquer la Flandre, ses brouillards et ses canaux. Mais c'est surtout le Moyen-Âge qui est suggéré, avec ses frères moines, ses loups-garous et ses tentations de saints et la présence incarnée du diable. C'est ce que je reproche finalement à l'identité des habitants de la maison : nous n'avons pas eu d'indices avant évoquant l'Antiquité. La revelation est donc trop inattendue. Ce mélange d'époques est néanmoins voulu, pour brouiller nos repères.
Un livre dérangeant, qui se lit assez vite, mais justement, j'aurai préféré que plus de mystères soient résolus.
Parce que je suis parti chasser avec Monsieur Stumble dans les marais de Fenn et parce que cet imprudent n’est pas revenu, et qu’on m’a trouvé en possession de sa gibecière et de sa gourde on veut que moi j’en sache plus que les autres.
[Dans les marais de Fenn]
Une belle femme est une fleur précieuse née au hasard d’une pelouse de la vie, mais une belle Allemande me semble toujours sortie furtivement d’une serre savante et cruelle, où dans un coin d’ombre épaisse on soigne la mandragore...
(dans Mondschein-Dampfer)
Mais de nouveau, l’horreur hanta les yeux de l’homme.
Lentement, ils sortaient du trou béant, les rats, les rats sans nombre ! noirs et gras, et leurs yeux luisaient dans la clarté rouge de la lampe.
Puis après eux d’autres bêtes en sortirent ; cloportes, blattes, scolopendres, mille-pattes ; des coléoptères de formes inconnues dont Rooks ignorait absolument l’existence.
Ils inondèrent la pièce comme une eau boueuse, et c’était un grouillement silencieux de pattes, de pinces, de mandibules et d’élytres qui s’offraient à son regard.
Dans le fond de la chambre les rats tenaient conseil, et avec une terreur indicible il vit leurs yeux humains et tristes posés sur lui.
[La vengeance]
L'image recule comme les castels de Morganne ; le pinceau devient de plomb dans la main du peintre ; tant de choses, que je voudrais fixer par description ou définition, se dérobent, deviennent vagues et s'envolent en brumes...
"La logique est un corollaire de la raison humaine, et nous avons bien tort de la demander aux puissances inconnues qui, parfois, s'immiscent dans nos destinées."
(Extrait de la nouvelle "L'histoire de Marshall Grove")