"Faut- il un début à toute vie?
Je me serais passé de mon enfance où il ne m'arriva rien....Une enfance sans saveur et sans souvenir autre que cette nuit de novembre oú il fit soudain quarante et un degrés à l'ombre de mon corps terrassé par la paralysie....
Sept ans que j'avais vécu avec ma peau tachetée mais cela n'avait pas suffi, il fallait que j'affronte une nouvelle guerre plus secrète , plus sournoise que celle qui éclatait en explosions bigarrées à ma surface .....
Une nuit et tous les jeudis gâchés jusqu'à 18, 19, 20, 35, 102 ans peut - être?
Mais mon médecin pensa polio et sauva mon poumon et mon cœur sinon mes jambes et mes mains ...."
Elle était grande, Diane, plus que moi, même assise, son pantalon de velours touchait presque ma jambe. Vous étiez là, posée à côté de moi muette et pour la première fois de ma vie je compris, dans la fraîcheur du soir, dans cette lumière du premier printemps, dans ses couleurs, que vous étiez belle. Je ne vous voyais pas mais je ne vous ai peut-être jamais mieux regardée qu'à cet instant précis.
Faut-il un début à toute vie ? Je me serais passé de mon enfance où il ne m’arriva rien. Une enfance sans saveur et sans souvenir autre que cette nuit de novembre où il fit soudain quarante et un degrés à l’ombre de mon corps terrassé par la paralysie.
Seule Diane parvenait à m'apaiser d'un regard qui comprenait, d'un sourire qui calmait. Nous partagions un secret que je ne lui avais jamais dit.
Pourtant je n'aurais pas aimé être normal. On m'aurait pris pour n'importe lequel des soupirants de Diane. Alors que dans la rue, juxtaposé à elle, si hautaine, si droite et moi si tordu, si appliqué à marcher droit, nous formions un couple plus amusant qu'émouvant, nous intriguions et j'en étais heureux.
Les préliminaires de l'amitié sont toujours longs, pénibles même: on voudrait immédiatement tout connaitre pour pouvoir tout pardonner. (p.102).
Sartre a écrit que les racistes créent le racisme, ce furent les autres qui en me regardant avec elle ( vous vous souvenez de leurs regards ?) m'apprirent l'étrangeté de ma situation.
Comme tous ceux qui ne lisent rien, elle disait toujours d'un auteur: "J'ai relu ... J'ai relu Montesquieu." (p.28-29).
On croit que les autres changent, ce n'est qu'à moitié vrai. C'est la manière dont nous les regardons qui transforme leur image en nous.
Il avait lu quelque part une phrase de Georges Braque qui lui convenait à merveille (nos lectures nous ressemblent) : "J'aime la règle qui corrige l'émotion, j'aime l'émotion qui corrige la règle." (p.69).