Jean-Christophe Motte

Il aurait pu me répondre après s'être transformé en ce célèbre petit être vert:
- Prêt tu es, jeune Padawan. Terminée ta formation est...
- C'est beaucoup d'honneur maitre, mais je ne serai pas à la hauteur!
- Trop de doutes tu as, en tu avoir toi dois confiance...

- Hein ?
Pour être honnête, à la fin de sa vie, Yoda avait du mal à tourner ses phrases. Ses formules alambiquées demandent un sacré effort intellectuelle... Et les résultats de son check-up dans la meilleure clinique de la galaxie ont rendu son verdict... On n'a rien dit à Luke quand à son Alzheimer, il a déjà beaucoup souffert en apprenant que son père...
Enfin, on connaît la suite.
Même en pleine santé, réussir à parler comme lui pendant cinq minutes est une vrai performance. Ce n'était pas un Jedi pour rien...

Ce livre aura un seul début et inexorablement deux fins. Est-ce de la science-fiction ? Peut-être... Mais ce procédé est simplement la démonstration que le cours d'une vie est comme l'ascension d'un arbre : on commence par I'unique tronc, puis on se trouve confronté aux nombreuses ramifications. Autant de choix qui tricotent un réseau si compliqué qu'ils nous mènent à des vies différentes, voire diamétralement opposées.

Autant de familiarités en un laps de temps si court me grisent. Je n'ai pas l'habitude d'être aussi intrusif avec les gens et je n'aime pas qu'on le soit avec moi. Bizarrement je me soumets volontiers à leur joyeux interrogatoire. Je ne me rappelle même plus la dernière fois qu'on s'est intéressé à moi de la sorte.

Alors que je suis dans mon bureau, je prends du bout des doigts le téléphone d’Élise. Un petit ange et un diablotin prennent place de part et d'autre de ma conscience. L'ange tente quelques arguments très convaincants :
- Julien, tu ne peux pas faire ça... C'est une atteinte à la vie privée !
Mais le diable, un sourire carnassier au coin des lèvres ne va pas en rester là :
- Juste un petit coup d’œil, personne n'en saura rien ! Et tu auras toutes les réponses à tes questions. Niark niark...
- Ne fais pas à autrui ce que tu n'aimerais pas qu'on te fasse. (L'ange aimait bien jouer aux cartes avec Jésus et le citait souvent.)
- N'écoute pas ce maudit chérubin ! Comment peux-tu lui accorder la moindre crédibilité ? Il n'a même pas de sexe !
La pique était totalement hors de propos, mais à sa décharge on doit se poser la question sur la légitimité des anges à donner leur avis sur les relations entre un homme et une femme.
A la réflexion, il est vrai que le monde irait beaucoup mieux, et s'affranchirait de nombreux problèmes si nous étions tous privés de nos attributs.

Pendant toute la durée du rendez-vous, j'ai des bouffées de bonheur. Je n'ai qu'une envie : raconter à mon client ma fabuleuse rencontre. Je me réfrène, mais j'aimerais lui dire :
- Ce qui est important dans la vie ce n'est pas votre maison, encore moins votre prêt... Ce qui est important, c'est l'amour monsieur De Sousa, L'AMOUR.

L'herbe parait toujours plus verte ailleurs. La mienne est déjà bien roussie et je n'ai aucune perspective de la voir reverdir, si tant est qu'elle ait été verte un jour... je voudrais juste trouver un peu d'engrais et de pluie pour ne pas finir en terre desséchée pleine de crevasses

Je suis dans ce qu'on appelle la fleur de l'âge, même si les pétales sont déjà bien fanés.

Au bout de cent mètres, j'ai le souffle court. La partie de mon cerveau dédiée au sport est visiblement aux abonnés absents. Elle n'envoie que des bribes d'informations à mes muscles atrophiés qui organisent immédiatement une cellule de crise :
- Mais qu'est-ce qu'il nous fait le patron ?
- On passe en alerte maximale ! Ramenez tout le glucose dans les quadriceps ! On passe à 220 battements par minute !
- C'est trop ! Il va crever sur le trottoir !
- Ok... Stoppez les machines ! Envoyez un message à la volonté.

Après trois cents mètres, ma motivation me lâche, et j'arrête cet effort ridicule.

-C'est bien ! On voit la tête ! Monsieur, vous voulez regarder ?
Cette question me prend au dépourvu. Ai-je vraiment envie de voir le sanctuaire sacré d'Elise transformé en rampe de lancement ? A vrai dire non...

Tout le monde pense que les pauvres oisillons qu'on retrouve au pied des arbres sont victimes d'un malheureux accident. Mais ils se trompent ! Personne ne connaît l'ambiance dans les familles oiseaux. Qui sommes-nous pour juger l'acte désespéré d'un oisillon mal dans sa peau ? On peut imaginer un papa oiseau absent qui part chanter aux quatre vents pour séduire des femelles célibataires. Une maman oiseau débordée qui n'arrive pas à trouver des brindilles pour consolider le nid ni à rapporter assez de vers à becqueter. Il n'en faut pas plus pour traumatiser sa progéniture.