Gustave Akakpo. Chiche l'Afrique.
Un plateau de télé.
Auguste et Elia (qui n'est pas Elia).
Elia : Puis vient le moment du départ.
L'heure de traverser les frontières, de passer tous les postes et de poser sa vie ailleurs.
La fuite a lieu la nuit.
Dans son dos la ville brûle en rouge et or.
Auguste : Ce n'est pas tout à fait exact de dire que la ville brûle. Mais l'image est jolie alors oui nous dirons comme ça. Ce n'est pas exact non plus de dire fuite. Elia : C'est ici en France que débute la vie d'écriture. Un premier roman fulgurant. Les autres qui suivent bardés de prix ou de mentions.
Auguste : Vous essayez de me faire rougir.
Elia : Quand on lit "là-bas" on sait très bien de quel "là-bas" il s'agit si on se fie aux origines de l'auteur. Mais il s'agit en même temps d'un "là-bas" fantasmé. Embelli sans doute.
Auguste : Encore là ce n'est pas exact. Tout a été gardé tel quel.
Il n'y a pas de différence entre l'écrit et le réel, la vérité et la fiction. Les ressemblances même fortuites sont vraies et dépendent entièrement de l'écrivain et du monde qui l'entoure.
Elia : Dans tous les textes un prénom revient. Un seul et même prénom de femme.
Auguste : Le seul que je pourrai jamais écrire.
Elia : Encore là impossible de savoir s'il s'agit d'un fantasme ou pas.
Auguste : Pas de fantasme. Je vous le répète.
Vous ne m'écoutez pas.
Elia : Cette femme c'est Hada.
Un mystère aussi grand que le pays lui-même plane sur elle.
Auguste : Pourquoi vous dites mystère ?
Elia : Dans le dernier texte le prénom de la femme semble s'effacer.
Le mystère s'épaissit plus encore.
Auguste : Dans l'histoire il y a Hada oui mais aussi Elia sa soeur. Qui d'ailleurs vous ressemble étrangement.
Elia : Le texte restera inachevé.
Jamais on ne saura exactement s'il s'agissait d'une femme d'un pays ou bien d'un rêve. C'est là tout le pouvoir de la littérature.
C'est aussi toute l'imposture d'une écriture.
Auguste : Je peux tout expliquer. Tout existe tout est vrai.
Ce pays je ne l'ai pas inventé pas quitté pas fui. Dans chaque livre j'y reviens. Chaque nuit. Je n'ai quitté personne. Je suis ici. Hého. Pourquoi ça sent le feu ?
Elia : C'est l'heure Auguste il est temps de partir.
Auguste : Ah bon c'est l'heure déjà oui. Un avion m'attend je crois.
Elia : Il faut partir maintenant.
On se retrouve de l'autre côté.
Je ne t'ai pas dit, mais j'habite le plus bel endroit du monde.Là où je réside, toutes les maisons ont des pieds.Ces pieds leur permettent de rester hors de l'eau.J'habite un petit village sur pilotis, pas loin de la ville.
Jean à Marcel : « je le sais, le temps ne passe pas ; il ne sera jamais le même pour vous et nous. Pour vous, il est passé ; pour nous, il s’est arrêté. Ton amitié m’aide à croire… non, à toucher le temps présent. »
Toi, ta seule préoccupation, c'est comment traverser cette guerre sans te faire ni tuer ni tronçonner.
Encore qu'on pourrait réduire la liste des choses à éviter.
Violer : tu sais que le pays est en guerre, donc tu distilles en pourparlers à ta tête l'idée qu'être violée, ça fait partie du jeu ! Tronçonner : si on te proposait soit de te couper un bras, soit de te tuer, tu choisirais la vie non ? Donc le tronçonnage n'est qu'un détail en fin de compte ! ... En somme, tu n'as qu'une seule préoccupation : rester en vie. Alors que moi, tu n'imagines pas...
Ces temps-ci, il fait encore plus chaud qu'avant, et je sais pourquoi.
Je vais te dire : avant, il y avait beaucoup d'arbres sur terre.Les arbres savent comment faire pleuvoir, et ils donnent de la fraîcheur.Maintenant les pluies sont de plus en pus irrégulières, parce que les hommes ont coupé et brûlé beaucoup d'arbres, pour construire des villes, aménager des terres à cultiver, fabriquer du charbon ou avoir du bois à vendre.Le problème, c'est qu'ils ne pensent pas à en planter d'autres à la place de ceux qu'ils ont massacrés.
A la nuit tombante, maman est rentrée. Ona va mieux. Mais maman semblait très fatiguée. Elle a dit que nous devions tous quitter le village, sinon nous tomberions tous malades. Elle ne savait même pas où nous pourrions aller. Amivi m'a proposé de venir chez elle, en ville. Dans sa maison, il y a assez de place pour toute ma famille. Elle est gentille mais c'est trop risqué : avant la fin du séjour, j'aurais certainement étranglé son frère.
Bernhard : « Je suis bien, je n’ai pas besoin de mémoire. Je crains que la vérité soit de nature à tuer cette innocence. »
Jean à Marcel pour lorsque ce dernier vient pour lui demander d’accueillir Bernhard en espérant qu’il retrouve la mémoire et avoue les exactions qu’il a commises durant la guerre : « « Pourrait l’aider ». C’est trop de douleur pour un conditionnel. Hypothétique. D’ailleurs, pourquoi je discute avec toi. Je ne suis pas là. »
Grands-pas à Bernhard : « Non, tu n’as jamais dérangé. C’est la décrépitude que tu déranges. Avec tant de vie. Dans cette maison. Morte. »
Jean : « Le temps est une table de jeu que tourne un croupier fou. »