Greer Macallister Gaithersburg Book Festival 2015
Puis c'étaient les bancs.
Je redoutais les bancs. De longues planches en bois sans dossier, disposées dans une salle nue sans décoration, sans fenêtres, sans confort. Il y avait tout juste assez d'espace entre elles pour ne pas donner des coups de genoux à la femme assise sur la rangée de devant, à condition de ne pas être trop grande. Quelqu'un avait pris le soin de ponce le bois, si bien qu'il nous arrivait rarement de retrouver des échardes dans nos robes. C'était bien le seul compliment qu'on pouvait trouver à faire. Les bancs était boulonnés au plancher de façon que personne ne les déplace et à part eux. rien ne venait accrocher le regard. À côté de la porte, les becs de gaz étaient réglés au plus bas dans une pénombre perpétuelle, et une odeur de renfermé saturait l'air. À peine entré dans la pièce, on avait hâte d'en repartir. Manifestement, le sort voulait qu'on y reste des heures.
Quand l'infirmière aboyait derrière moi, je suivais le troupeau. Les deux premières journées passée sur les bancs avaient été d'une monotonie sans nom. Je cernais la philosophie à l'œuvre, bien que personne n'eût pris la peine de me l'expliquer ; l'immobilité du corps était supposée apporter la paix et l'esprit. À la place de quoi j'étais à deux doigts d'exploser. Nelly Bly avait écrit "Personne ne peut se douter à quel point ce sont de longues et lentes heures que celles que l'on passe à l'asile.¹" Entre le lire et en faire l'expérience, il y avait un gouffre.
1 - "Dix jours dans un asile", Nellie Bly, traduit de l'anglais (États-Unis) par Hélène Cohen. Editions Points/Documents, 2016. page 95
Nellie Bly avait écrit " Peronne ne peut se douter à quel point ce sont de longues et lentes heures que celles que l'on passe à l'asile ". Entre le lire et en faire l'expérience, il y avait un gouffre.
Il suffit de deux choses pour qu'une femme soit folle : la parole d'un homme qui a tout à y gagner et un médecin disposé à donné son aval.
Ce lieu était d'une logique implacable, dès lors qu'on partait du principe que toutes ces femmes étaient folles et qu'elles avaient de la valeur tant qu'on pouvait les mettre au travail ou les faire taire. Et de préférence les deux.
J'avais vu... Un monde qui prétendait offrir un lieu de guérison, mais qui n'était en réalité qu'un lieu de détention bien pratique pour des femmes bien gênante, au service exclusif des gens de l'extérieur, jamais des intéressés.
"Pour celles qui parlent et celles qui ne le peuvent pas." (ÉPIGRAPHE)
J'avais trouvé des amies ici, parmi celles que la bonne société avait jugées folles pour mieux les écarter. J'étais arrivée ici dans l'idée fixe de libérer Phoebe, pourtant mon passage en ce lieu avait fait de moi une meilleure personne. Jamais je ne pourrais faire marche arrière et reprendre ma petite existence où je l'avais laissée. Aussi aberrant que cela puisse paraître, l'asile était peut-être le meilleur endroit pour moi.
C'est sans doute pour cette raison que Nora ne fit rien pour me réconforter. Elle ne voulait pas nous trahir. Ou peut-être essayais-je de m'en convaincre, mais au fond cela ne portait pas à conséquence. Une petite tape dans le dos n'aurait rien changé. J'étais seule, véritablement seule, et personne n'y pouvait rien.
_Sainte Marie, c'est pas l'envie qui m'en manquait. Mais la chaise de tranquillité, c'était encore mieux. Ils finiront par la retrouver, elle n'aura pas une égratignure, mais ça va leur prendre un sacré moment. Et elle, en attendant, elle se rendra compte qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre elle et nous.
Je fis de mon mieux pour ne pas me laisser perturber par l'énormité de cette découverte.