Sivić – Travailler chez vous ? Et monsieur Herzog ?
Klaus – Monsieur Herzog est maintenant un Juif sénile à la retraite.
Sivić – Qui l’a mis à la retraite ?
Klaus – Le Troisième Reich.
Ils passent à côté de nous, cachés derrière leurs vitres fumées, et ils nous regardent comme si nous étions des mouches tombées dans le yaourt. Ils sont pressés d'arriver quelque part. Après le petit déjeuner ils vont déjeuner. Et ils repassent. Ils passent pendant des siècles. Ils nous tiennent dans la peur par des phrases, par des mystères et des dogmes. Ils nous tiennent dans la peur de nous prendre notre pain, de détruire notre maison, de nous casser la gueule. Et nous nous écartons de leur chemin en les saluant. Et tant que nous aurons peur, ils nous piétineront.
La liberté viendra quand nous vaincrons la peur. La liberté, c'est quand on renversera dans la rue toutes les malles moisies des greniers, tous les matelas de coton humide, quand on détruira tous les cafards, tous les rats et moustiques ; quand toutes les maisons seront repeintes en blanc, les fenêtres ouvertes, tous les vêtements seront bouillis et lavés dans l'eau de source et séchés au soleil du printemps.
Dimitrija – Quelle foutaise, votre jeunesse ! Vous détruisez tout. Vous ne reconnaissez ni Dieu ni Diable. Aucun ordre, ni dans vos têtes ni dans vos corps. Vous faites tout comme ça vous chante, sous le souffle du premier vent, comme des mouches sans tête. Vous pensez que tout ce qui vole se mange. L’Europe vous demande ! Elle se fout pas mal de vous l’Europe. Vous soupirez pour l’Allemagne ! Et votre père qui a perdu ses jambes pour vous construire une maison, n’est qu’un débris qui ne sait pas combien font deux et deux et qui empêche les Européens de faire carrière. Vous ne savez pas vous défendre. Vous vivez à crédit. Vous périrez dans des trous, vous serez mangés par des toiles d’araignée, votre nom sera effacé, vos racines seront arrachées, pas une trace ne restera de vous. Je n’ai pas assez de larmes pour vous pleurer.
« Selon un vieil adage populaire des Balkans, il est impossible de naître et de mourir dans le même pays. En l’espace d’une vie, la maison te tombera sur la tête et tu devras la reconstruire. «
« Toujours la même chose ». C’est inscrit, comme une catastrophe naturelle ».
« Je suis fier de notre ténacité. Malgré notre identité détériorée, les mains liées, la bouche bâillonnée, la négation de ce que nous sommes et le morcellement de notre terre, je suis vivant et j’ai soif de la vie. Je sais que j’existe grâce à leur acharnement à vouloir me faire disparaître. Ma ténacité surgit du mortier dans lequel on m’écrase et de la poêle où l’on me fait frire. Ce mortier et cette poêle sont justement les lieux de mon pouvoir. »
(Marija) Avec une gorge enflée on ne peut ni respirer ni chanter. Il faut arracher cette chair avec les ongles, il faut brûler la blessure avec des braises. Et vous, vous vous disputez. Vous ne vous faites pas de souci. Je vous regarde et je ne vous reconnais pas. Je ne reconnais plus personne.