Geneviève Cloutier

- Allô, ma chouette ! Est-ce que t'aimes ce qu'elles ont fait ? La maquilleuse appelle ça un monkey eyes.

Seigneur, ma mère a l'air d'une cougar dans une boîte de nuit.

- Euh, maman, c'est plutôt un smoky eyes. C'est certainement différent. Toi, est-ce que trouves ça beau ? lui demandé-je avec un ton qui laisse place à l'interprétation.

- Ben, c'est peut-être un brin excessif pour l’occasion, admet-elle en se regardant dans le miroir de l'entrée, manifestement pas très convaincue de son nouveau look.

- Tu sais quoi, maman, je pense qu'on pourrait juste l'estomper. Je ne suis pas une experte, mais je crois que, si ont en enlevait une couche, tu te reconnaîtrais un peu plus.

Il place une main au mur, au-dessus de ma tête, et je me retrouve donc coincée entre lui, les ballons de basket et la porte fermée. Si je baisse les yeux, que je parle très rapidement et que je prends mon air de directrice adjointe hyper professionnelle, je peux encore y arriver.

- Ben oui, c'est le rêve de toutes les femmes de se retrouver dans un local qui sent la sueur avec un homme qui se prend pour la huitième merveille du monde, répliqué-je avec le plus d'aplomb possible. Ah ! et puis arrête de sourire comme ça, je suis en train de t'insulter ! Je suis seulement là pour te dire que, pour samedi, ce n'est pas une bonne idée, et j'ai plein d'excellentes raisons.

- C’est un mauvais numéro à propos d’une partie d’hockey remise. Veux-tu que je l’efface?

- Pourquoi dis-tu que c’est un mauvais numéro? j’attends l’appel d’un gars de l’équipe pour qu’il me transmette les nouvelles heures de jeu.

- Ah, il s’est peut-être seulement trompé de nom, alors, il t’a appelé Jeepee.

Christian arbore un grand sourire et m’informe qu’il n’y a pas d’erreur, C’est un surnom que lui donne ses chums de hockey depuis des années. Je ne vois pas le rapport et je ne comprends pas son air satisfait. Il finit par me dire qu’un de ces jours je devrais comprendre toute seule.

Je déteste les énigmes comme ça...

— Je te ramène, Caroline?

C’est trop, ma tête et mon corps sont en grand conflit. J’ai chaud, encore, le surplus de libido accumulé pendant les trop longs mois d’abstinence menace d’exploser d’une seconde à l’autre. Physiquement, c’est un calvaire de le sentir aussi près sans pouvoir le toucher… avec ma langue. Ma tête réussit à prendre les commandes avec tout l’aplomb que la frustration de la retenue charnelle peut apporter, puis je sors de mon mutisme.

— Ben là, franchement ! William, t’exagères ! Tu penses que tu vas me ramener chez ta mère pour une nuit torride ? Nous pourrions déjeuner avec tes parents, aussi ! Je suis certaine qu’ils seraient ravis de me voir sortir de ta chambre, demain matin.

— En fait, je proposais seulement de te ramener chez toi, comme tu habites à côté… tu te rappelles ? J’ai ma voiture et, de la terrasse, je n’ai pas vu la tienne dans le stationnement. Et je ne crois pas que tu sois en état de conduire.

Outch ! Non mais, faut le faire, s’humilier de la sorte toute seule, sans aucune aide ! Je suis en plein délire de projection. Je prête à William des intentions que j’essaie, moi, de refouler ! Retour rapide sur les faits : absolument rien de ce que Will m’a dit n’était une tentative claire de séduction…

Eurêka, je l’ai trouvé. J’ai trouvé son défaut. Il n’est pas juste organisé, c’est un perfectionniste contrôlant. Il a tout planifié au détail près et ça le rend furieux que tout ne se déroule pas parfaitement. Bon, ça et sa blonde cachée, il ne faudrait quand même pas l’oublier. Je souris, pouvant enfin le voir comme un être humain normal et arrêter de l’idéaliser. Il me regarde d’un air interrogateur.

— Est-ce que tu ris de moi, par hasard ?

Je m’approche de lui pour l’entourer de mes bras.

— Pas du tout, je suis seulement heureuse de constater ton humanité !

Il ne comprend pas ce que je dis, mais se décide à changer d’humeur et à poser ses magnifiques lèvres sur les miennes. Puis, il continue à s’inquiéter.

- Ça risque de prendre un peu de temps. Qu’est-ce qu’on va faire si la réparation n’est pas terminée aujourd’hui ?

— Eh bien, si c’est le cas, je vais appeler au travail pour les avertir de mon absence demain, et on va prolonger de quelques heures notre aventure américaine.

— T’es toujours aussi calme ? me demande-t-il.

— Absolument pas, mais j’ai vécu pire qu’être coincée dans un trou perdu avec toi.

Il faut juste que tu aies la volonté de sortir de ton confort et de prendre des risques. Et, bonne nouvelle, je pense que t’es rendue là !

Mon amie a raison, j’ai seulement moi à blâmer pour mon quotidien tiède.

— Je ne m’attendais pas à une psychanalyse ce soir, mais au moins je comprends mieux pourquoi William m’attire autant, outre ses attraits physiques évidents. Il représente une partie de moi que j’ai perdue il y a longtemps. Je veux retrouver la fille décontractée, allumée et amusante que j’étais.

Béatrice, en tant que fan de livres de développement personnel, me suit tout à fait.

— Tu sais, Caro, je pense que tu entres dans une période de transition. Quand tu es avec lui, tu peux te permettre d’être insouciante et légère, ce que tu ne fais pas normalement. Étant seule à assumer toutes les responsabilités, tu laisses tomber cet aspect de toi. Mais peut-être que cette expérience va t’aider à jumeler ton côté givré à ton côté blé entier.

- Pouah, > ! Une manière polie de dire que, malgré tous les efforts, elles ne sont pas si hot que ça, dans le fond ! se bidonne Mel.

- Effectivement, je pense que personne de cette gang-là ne va devenir mannequin pour Victoria's Secret ! Quoique ça vaut pour nous aussi, précisé-je.

— Je me sens mal. Tu vois bien que je peux seulement te décevoir. Sérieusement, William, j’abandonne. Sors avec une fille de ton âge, ce sera pas mal moins compliqué et probablement beaucoup plus amusant.

— Justement, tu te trompes. Des aventures pas compliquées, il n’y a rien d’amusant là-dedans. Si tu penses que je vais laisser tomber au moindre obstacle, c’est mal me connaître !

C’est donc bien attirant, un gars aussi persévérant ! J’ai l’impression d’être la huitième merveille du monde en ce moment.

Nos souliers à la main, nous marchons dans le sable tapé par la marée.

— Tu te rends compte que j’ai pensé toute la soirée à tes sous-vêtements, m’avoue Will.

— Pourtant, tu étais entouré de pitounes à moitié nues.

Il sourit.

— J’avais remarqué, mais, selon mon expérience, c’est le genre de filles qui se préoccupent plus de ce qu’elles ont l’air pendant la baise que de ce qui se passe réellement.

Note à moi-même : passé la soixantaine, éviter les sex-shops !