Vidéo de Christina Mirjol
Et le temps qui est long dans ces cas-là, mon Dieu, qu'est-ce que le temps est long quand il n'y a plus d'espoir !
Une présence occupée n'importune personne. Il n'y a rien de plus naturel qu'une présence occupée. Mais une présence inoccupée ? Comment la regarder ? Personne n'est habitué.
Cri n°18
Le bûcheron
Il était vieux. Alors, je l'ai cogné. J'ai cogné, j'ai cogné et parce qu'il résistait, je l'ai cogné encore. Je l'ai cogné longtemps. Jusqu'à ce qu'il tombe. Sa sève coulait à flots sur ma lame comme du sang. Éclaboussait mes manches. Et quand il est tombé, l'arbre, son grincement nerveux m'est entré dans l'âme. C'est un cri, j'ai compris, qui ne vient ps du tronc mais vient droit de la cime.
C’est à travers des formules toute faites, indifférenciées même des rêves de pacotille, que surgit le désir d’émancipation, dont on subodore l’échec à venir. Et c’est sur cet échange pathétique que se clôt la pièce Haute-Autriche [de Franz Xaver Kroetz], dans laquelle toute l’action est portée par le langage.
Ma première lecture de ce texte fut pour moi un choc au moment où je le découvris tardivement dans les années 2000. Il réactivait les questions que je me posais dans mes mises en scène, et venait percuter mes premiers pas en écriture. Exploiter la matière orale de toutes les façons possibles s’était imposé naturellement dans l’écriture de mon premier texte, Les cris. Le monologue intérieur, tel que Joyce l’avait sublimé dans Ulysse, les jeux polyphoniques, la voix rhapsodique telle que définie par Jean-Pierre Sarrazac, résultat de métissage des formes épique, dramatique et lyrique « cousues » entre elles, etc.. avaient été autant d’exercices à explorer pour ce texte. Mais, assez vite, c’est la voix, la voix métaphorique, représentative de l’Autre au singulier, propre à chaque Autre et irréductible à lui, abstraite en vérité, qui s’imposa dans mon écriture, au point que je puis dire que la « voix du texte », son style, inséparable de l’auteur et cependant « insaisissable » par lui-même, selon la formule de Jon Fosse, serait le résultat pluriel, polyphonique, de voix qui me sont étrangères.
Quand quelqu’un crie, sept huitièmes des gens qui traversent entendent les cris dans toutes les positions, sauf la tête en bas, et un huitième n’entend rien. Surtout s’il promène un chien.
(page 10)
Sur les terres les plus riches et donc les plus enviées, se développe en effet de façon synchronique une très grande méfiance à l'égard de l'intrus.
(p. 19)
Il est l'homme anonyme au destin criminel, sentinelle transparente que l'on montre du doigt, responsable, cela va de soi, de son mauvais départ, responsable de sa honte, coupable de toutes les fautes.
Le soleil n’entre pas là où les chiens pissent. Là où les chiens pissent, ça ne sèche jamais. C’est très mouillé et ça pue. Sinon, les chiens ils pisseraient ailleurs.
(page 15)
Dix ans.
Tout ce qui nous arrive, les choses qui nous arrivent, entraine des petits cataclysmes, même les choses minuscules on ne s'en méfie pas. Elles nous blessent, elles nous blessent, continuent de nous blesser, et sont aussi cruelles qu'elles étaient ordinaires au moment d'arriver ; ainsi sommes-nous la proie de tristesses dérisoires...
(Incipit)
Cri n°94
Un résistant de l'an deux mille :
Mon père n'avait pas de téléphone. Ni mon grand-père. Ni mon arrière-grand-père. Ni aucun de mes ancêtres. Je n'aurai pas de téléphone.
Mais monsieur, puisqu'on vous l'offre !... C'est gratuit !
Je n'en veux pas.