Benoît Coquil est un enseignant mais il vient de publier son tout premier roman, "
Petites choses", édité chez Rivages. Cette histoire date de la nuit des temps, mais l'auteur la commence au début des années 50, dans un petit village isolé du sud du Mexique, où l'on y trouve des champignons étonnants. Des
petites choses qui, si vous les goûtez, vous permettront de toucher l'au-delà. Les anciens les appelaient la chair des Dieux, et un jeune couple américain va les découvrir, les étudier, puis les apporter en Occident... où tout le monde voudra les goûter, au risque de leur faire perdre leur dimension sacrée.
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On ignore ce qui se dit au téléphone, cette semaine de mai 1957, dans les rédactions de Life et This week. Mais il est certain que les Wasson viennent d'éveiller une folle curiosité qui n'est pas près de s'éteindre, saupoudrant leur récit de deux ingrédients dont la jeunesse américaine se croyait privée pour toujours : la magie et l'aventure.
Le bouquet qu'il observe gonfle imperceptiblement, se gondole et devient char impérial. Le baroque repousse comme du chiendent sur tout ce qu'il voit, le char croule sous les ors, il est tracté par des créatures mythologiques indescriptibles, des chimères de chimères. Encore une fois les quatre murs s'écartent, et derrière le bouquet devenu char, c'est tout un convoi de dorures, colonnes torses, baldaquins, chaires de cathédrales qui revient à la charge. Tout cela est absolument neuf, clinquant, sans patine, comme tout droit sorti d'une manufacture céleste.
Découvrent qu'il y a quelque part, pas si loin de chez eux, de l'autre côté de cette frontière sud, accrochée à une chaîne de montagnes au nom exotique, une cabane au toit de chaume où une vieille femme, pour peu que vous puissiez l'atteindre, vous ouvre la porte de nouveaux mondes surnaturels, vous offre une rencontre avec le divin, vous fait entendre ses étranges litanies - "I am a star woman, a moon woman, I am a cloud person", dans la traduction de Gordon Wasson.
Allan aussi est en pleine quincaillerie. Mais son univers à lui est plus cristallin, sorte de palais de verre ou de glace, aux formes fractales, comme celles des flocons de neige, a frozen land, comme il le dit à Wasson. Car les deux hommes arrivent à se parler au cours de l'expérience, à échanger sur ce qu'ils voient, comme deux astronautes commentant dans le micro de leur scaphandre les territoires d'une planète lointaine qu'ils explorent pour la première fois.
Sur les terres hallucinées où mène le champignon mazatèque, Masha et vous [Valentina] n'êtes pas les premières à marcher. Mais, cet après-midi-là, vous êtes les premières de l'histoire, peut-être, à le consommer sans cérémonie, sans chamane ni prière, sans fumée de copal, à titre de pure expérience. Le trip sorti du rituel. Vous ne serez pas les dernières.
Sans doute aussi qu'on crie au scandale dans le combiné en bakélite, qu'on s'insurge, c'est indécent un tel article, une telle apologie des drogues, vous n'avez pas honte de mettre ça dans le crâne des jeunes, de les éloigner du droit chemin de Dieu avec vos histoires de sorcellerie, de faire d'une intoxication un doux rêve.
Plus tard, pour Sandoz, Hofman a isolé les principes actifs de la vénéneuse fleur digitale, puis s'est consacré à l'ergot de seigle, un champignon responsable d'abominables intoxications collectives au Moyen-Age, connues sous le nom de "mal des ardents" ou de "feu de saint Antoine". En 1938, il est parvenu à isoler l'un des acides de l'ergot, qu'il a appelé lysergique, et en a produit une série de dérivés de synthèse. Le vingt-cinquième de cette série est le diéthylamide. En abrégé : LSD-25. Mais s'il a fait s'agiter plus que de raison les animaux du laboratoire, le composé n'a pas eu l'air de servir à grand chose dans la pharmacopée. Il est tombé aux oubliettes, comme des milliers d'autres molécules jugées improductives.
Pourtant Hofmann y revient.
Que faites-vous, Tina, à ce moment précis où votre découvreur de mari, celui qu'on appellera bientôt le Christophe Colomb des champignons hallucinogènes, pose le pied, pour la deuxième fois déjà, sur la terra incognita des visions offertes par le champignon mazatèque ?
Non : le pouvoir est dans les yeux. Dans les deux yeux noirs qui, avec une infinie douceur mais sans ciller, sans relâche, le scrutent. Des yeux qui ont vu plus loin, se dit-il. Des yeux qui se sont ouverts sur des rivages insoupçonnés.
Avant le décollage, Cayetano est passé vous transmettre un message de Maria Sabina. Elle vous demande de tenir votre langue. De ne pas trop raconter ce que vous avez vu ici. De taire le nom de Huautla et celui des Mazatèques, de taire son nom à elle. De ne pas pointer du doigt le village sur une carte et, surtout, de ne pas trop faire voir les photographies que l'ami de Gordon a prises quand elle était sous l'effet des petites choses. Ne les montrez pas à plus de personnes que vous avez de doigts sur une main, et avec cette main posée sur le coeur, jurez.