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Critiques de Antoine Wauters (374)
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Mahmoud ou la montée des eaux

Quelque peu surprise et déstabilisée par la forme en débutant ce roman, j'ai ensuite été rapidement conquise par la beauté et la poésie de la plume d'Antoine Wauters. J'ai même été saisie par la rapidité avec laquelle je me suis immergée dans ce long poème en vers libres qui décrit le chaos syrien.

Mahmoud, un vieil homme rame à bord d'une barque en bois de pin, seul endroit où il est bien, plonge au fond du lac El-Assad, plongeant ainsi dans ses souvenirs et redonnant vie à ceux qu'il a aimés et perdus.

Essayant d'oublier la guerre qui gronde et l'a anéanti tout comme sa femme Sarah et leurs garçons Salim et Brahim et leur fille Nazafé, pour ne pas se noyer dans un océan de chagrin, muni de son masque et de son tuba, il plonge et s'immerge dans ses souvenirs et c'est sa vie entière qu'il revoit en s'adressant à sa chère épouse à qui il rend un vibrant hommage, l'écriture se révélant salutaire pour fuir la réalité.

Il se remémore ce quotidien simple, naturel empli de petits bonheurs auprès de ses parents, comment il a connu Leila, son premier amour à l'école Baïbba où il enseignait la grammaire avant que sa maison d'enfance comme celle de 11 000 autres familles ne soit engloutie par le gigantesque barrage que fit construire en 1973 le chef d'État syrien Hafez El-Assad. Sans nullement oublier la réalité historique et politique de son pays, qui l'a malheureusement frappé de plein fouet, ce long poème dans lequel reprennent vie également ses enfants tout jeunes fait office d'arme pour le vieil homme, pour tenir à l'écart notamment ses trois années de prison de 87 à 90, où il a subi tortures morales et physiques, mais aussi la répression brutale opérée par le régime lors du Printemps arabe entraînant une guerre civile et toutes les horreurs perpétrées par les hommes de main de Bachar el-Assad, ce timide ophtalmologue devenu un monstre peu après son accession à la présidence de la République.

Ce court opuscule de seulement 130 pages balaie l'histoire de la Syrie depuis la construction du barrage de Tabqa en 1973. Il pourrait être une immersion dans les ténèbres et dans le sang.

Antoine Wauters en allant puiser dans la mémoire de Mahmoud, dans ses souvenirs, ses pensées et ses rêves une forme de résistance à la terrible réalité, en a fait une élégie, un véritable petit bijou !

Je suis ressortie de ma lecture subjuguée par la beauté, la douceur, la tendresse, la délicatesse exprimées dans ce long soliloque et la grande mélancolie qui s'en dégage.

Baignant dans cette splendide écriture, je n'en ai pas moins appris beaucoup sur la Syrie, à commencer par la construction insensée de ce barrage sur l'Euphrate, qui, outre avoir submergé de nombreux villages, a noyé des millénaires d'histoire, même si de nombreuses missions de tous pays sont venues fouiller et en exhumer des vestiges. La région est, en effet, située dans le fameux « croissant fertile », là où les premières formes d'agriculture et d'écriture ont vu le jour, là où sont apparues les premières villes, comme Antoine Wauters l'explique en appendice, dans quelques notes fort instructives et intéressantes.

Des combats ont eu lieu pour le contrôle de ce barrage qui a un intérêt stratégique.

« le barrage fait l'objet d'une lutte incessante.

D'un côté, des fous qui veulent notre engloutissement.

De l'autre, des soldats des Forces démocratiques et de la coalition, qui filent entre les balles afin de colmater les brèches.

Les premiers hurlent, brandissent des drapeaux noirs.

Les autres se cachent et s'aplatissent dans la poussière. »

Et le niveau d'eau ne cesse donc de monter…

Avec Mahmoud ou la montée des eaux, Antoine Wauters, cet écrivain et poète belge s'est remarquablement glissé dans la peau d'un vieux poète syrien offrant au lecteur un texte splendide, riche et dense, un véritable coup de coeur en ce qui me concerne !


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Mahmoud ou la montée des eaux

Mahmoud Elmachi, un vieux poète syrien, se laisse dériver sur sa barque à la surface du lac el-Assad, celui-là même qui a englouti son village natal et bien d’autres lors de la construction du barrage de Tabqa par Hafez El Assad en 1973. Enfilant masque et tuba, Mahmoud aime y plonger afin d’échapper au chaos de la Syrie de Bachar El Assad…tout en laissant ses souvenirs enfouis remonter à la surface.



Au début, ce roman tout en vers libres peut s’avérer déstabilisant. Outre la forme, il faut s’habituer à la présence de ce vieil homme qui semble perdre le fil de son histoire, qu’il remonte par bribes, tout en parcourant l’histoire de son pays en filigrane. S’accrochant à la beauté des phrases, le lecteur démêle finalement le parcours de ce professeur de lettres emprisonné, torturé et dorénavant seul dans une Syrie en proie à la violence. Au milieu de cette barbarie sans fin résonnent heureusement les mots de ce vieux poète incapable d’oublier…



A travers les pages de cette merveilleuse poésie, c’est toute la souffrance du peuple syrien qu’Antoine Wauters parvient à faire ressortir.
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Mahmoud ou la montée des eaux

Dans ce roman écrit en vers libres étourdissant de beauté Antoine Wauters donne la parole à un vieux poète, Mahmoud Elmachi, qui en pleine guerre civile syrienne se remémore son passé en plongeant au dessus des ruines de son village sacré englouti par le lac artificiel el-Assad né de la création du barrage Tabqa dans les années 70. Ce dernier menace de rompre sous les frappes et de provoquer une montée des eaux dévastatrice. Mahmoud s’isole régulièrement dans son cabanon près du lac et de sa barque à la coque bleue plonge dans ses souvenirs nostalgiques. Nageant dans ce monde silencieux, onirique et enveloppant, guidé par sa lampe dans un halo vert et or il rejoint « ce qui s’est perdu ». Ce va-et-vient hypnotique entre profondeurs « Au fond. A l’origine de tout » et surface, entre la violence du monde aérien et la douceur du monde sous marin, entre rêve et réalité, est d’une poésie à couper le souffle. Le calme subaquatique décuple sa mémoire sensorielle et fait resurgir les vestiges de son passé. Sous le lac la vie engloutie pulse à nouveau, le « Mahmoud des prairies » avec son « buisson de lumière dans le cœur » ressuscite et retrouve les champs de pastèques et de fleurs de safran, le sentier aux mûres, la maison d’enfance et ses odeurs d’anis, la terrasse du café Farah, et surtout les siens aujourd’hui disparus ou dissidents, la voix et la présence lumineuse de son aimée Sarah, ses enfants partis au combat. Réapparaît aussi un passé plus sombre et moins lointain marqué par la guerre, son emprisonnement, sa solitude « Vieillir, c’est devenir l’enfant que plus personne ne voit ». Dans ce chant d’amour dédié à son pays et aux siens il évoque les terribles exactions du régime dictatorial de Bachar el-Assad et sa kleptocratie obligeant, sous l’impulsion des Printemps arabes, les Forces démocratiques syriennes et de la coalition à se dresser contre lui et Daesh. Au delà du fond ce qui fait la splendeur de ce livre c’est son écriture au lyrisme éblouissant et l’émotion qui s’en dégage. Avec la poésie comme réponse à la barbarie l’auteur livre un sublime message de paix empreint d’une humanité profonde.« Le monde, cette beauté détruite par la peur ».
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Mahmoud ou la montée des eaux

Ne vous fiez pas à ce titre qui ne dit rien du trésor qu’est ce livre, tel Charon sur le Styx, Mahmoud dans sa petite barque flotte sur le lac. Tous les jours, il part, enfile masque, palmes et tuba et plonge.

Ce lac n’est pas n’importe quel lac, c’est le lac el-Assad, en Syrie, qui dans la folie des grandeurs de son dirigeant éponyme, a englouti de nombreux villages, y compris le village d’enfance de Mahmoud.

Alors Mahmoud plonge dans ses souvenirs, ses douleurs, son enfance, ses petits et grands bonheurs. Plus il le fait, moins il a envie de remonter à la surface. Comme Enzo, il est de plus en plus appelé par les ténèbres, son rivage, son seul horizon, c’est son village englouti.

Alors Mahmoud plonge dans les eaux sombres, et les bulles de ses souvenirs heureux et douloureux remontent lentement pour éclater à la surface.

Qui est Mahmoud, vieux sage ou vieux fou ?

Mahmoud perd le fil, s’enfonce dans sa solitude et nous livre par bribes ce que fût sa vie d’avant alors qu’il était amoureux, poète, enseignant, plein d’espoir et de vie.

Mahmoud plonge dans le liquide amniotique des mots pour anesthésier sa douleur.

Mais la tâche sombre va peu à peu s’étendre sur Mahmoud, sa tumeur va le consumer à petit feu sous le soleil en ravivant douloureusement son passé. Car la vie n’a pas épargné Mahmoud, la mort en couches de sa première femme Leïla, la disparition de ses enfants nés de son amour avec Sarah, la guerre et ses atrocités, la prison pour avoir cru aux rêves de liberté.

C’est un texte incroyable d’une grande beauté que nous livre l’auteur et poète belge Antoine Wauters, qui mêle à ses vers libres des vers de poésie persane.

Ces vers sur le papier, comme un ressac qui vient s’écraser sur nos doigts.

Le cœur se serre à la lecture des pensées de Mahmoud, des tumultes d’émotions et de sensations nous submergent, la description du pays qui étouffe sous la pression de son dictateur est saisissante. Une ode magistrale et magnifique au peuple syrien, à ses espoirs et ses souffrances.

Un coup de cœur immense !



Les mots comme des filets à papillons

pour nos causes perdues.

Une barque à mi-chemin entre

les mondes.

J’ai écrit.

Je me suis allongé sur le miroir

des mots.

L’eau des mots.

J’ai plongé.

L’écriture comme une barque

entre mémoire et oubli. (p.100)

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Le plus court chemin

Rentrée littéraire 2023.



Avec Le plus court chemin, véritable ode à l’écriture, Antoine Wauters, ne plonge pas dans la vie d’un vieil homme pour relater l’histoire de la Syrie dans les soixante dernières années, comme il l’avait fait dans le magnifique Mahmoud ou la montée des eaux mais dans sa propre vie intérieure, en nous relatant des fragments de son enfance.

Une démarche en fait, quasiment similaire comme il le dit lui-même.

Il nous raconte son enfance, du début à la fin des années quatre-vingts, dans un petit village des Ardennes belges, jusqu’à la chute du Mur qui fut pour lui une onde de choc, une fracture.

Comme des bulles qui remonteraient dans son esprit, Antoine Wauters en se promenant dans le passé, nous livre de courtes séquences où il note ce qui lui revient, un mélange de mémoire et d’oubli.

Il évoque cette enfance auprès de ceux qui l’ont tendrement aimé, dans ce coin de campagne wallonne presque coupé de tout.

Pour faire revivre ce quotidien, il parle des arbres, de la nature immense, il nomme les lieux, raconte son père banquier, sa mère enseignante, son frère Charles et plus tard sa sœur Lorraine, Nénène et Papou ses grands-parents, Parrain Jacques et ses oncles flamands, autant de personnes qui, chacune à leur manière ont eu une importance dans sa vie, une influence dans ce qu’il est, l’ont nourri physiquement et intellectuellement.

Le début des années quatre-vingt-dix sera pour lui l’endroit de la cassure et jouer ne sera désormais plus pareil.

Il confie qu’il n’a pas toujours aimé ces lieux et qu’il en est même parti, mais s’aperçoit que les voix des gens du coin ne l’ont jamais quitté, qu’elles sont toujours là et qu’il les écrit...

L’écriture est pour Antoine Wauters le plus court chemin pour rapporter ces fragments d’enfance qui ne sont plus visibles mais tellement importants.

Ce roman qui s’apparente à une autobiographie est un récit très personnel qui engendre d’immenses émotions. Pourtant, il peut être considéré comme universel, tant le fait que pour chacun d’entre nous, nos vies sont nourries par la voix de nos ancêtres, notre passé.

En contant cette époque, l’auteur nous fait revisiter une époque sur le point de disparaître, le virtuel devenant plus réel que tout : « Un espace de douceur et de cruauté, avant les ordinateurs, avant le règne du porno et des jeux vidéo immersifs, avant que tout se mette à trembler et à aller très vite. Avant que les gens tombent amoureux d’eux-mêmes, abîmés dans leurs téléphones. »

Le plus court chemin m’a fait rêver, rappelé de nombreux souvenirs d’enfance oubliés, m’a évidemment rendue nostalgique de ces temps où comme le dit si bien l’auteur, la vie était placée sous le signe de ce bienheureux ennui...

Tendresse, mélancolie, sensibilité, délicatesse et poésie traversent ce récit intime et universel.


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Mahmoud ou la montée des eaux

Mahmoud est syrien

Mahmoud était professeur

Mahmoud a aimé une première fois

Leïla et leur petite fille sont mortes

Mahmoud a aimé une deuxième fois

Sarah aimait la littérature russe

Ils ont eu trois enfants

Mahmoud écrivait des poèmes

Il est allé en prison pour cela

Le printemps est arrivé

Leurs trois enfants y sont partis

Mahmoud est resté seul



Mahmoud vogue seul sur ce lac

Lac qui a recouvert son village d'enfant

Mahmoud plonge au milieu de ses souvenirs

Dans ces paysages engloutis

Mahmoud est vieux

Mahmoud est triste

Mahmoud ne reconnait plus son pays



Mahmoud m'a émue

Mes larmes sont venues se mêler

A l’eau de ce barrage



Que ce livre est triste

Que ce livre est beau



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Le plus court chemin

Antoine Wauters, auteur que je découvre avec plaisir, nous propose une chronique emplie de nostalgie sur l’enfance avec ses frayeurs, ses rêves et ses regrets. Il y est aussi question de l’écriture, de son exigence et de cette solitude dans l’anonymat. Il y est aussi question de lecture, passage indispensable avant l’acte d’écrire.

« Je crois que quand on vit ça jour après jour pendant longtemps, cette jouissance douloureuse de n’être personne, que quand on vit ça assez longtemps, je crois que oui, on peut écrire. »



Ce livre se feuillette comme un album de famille. A travers les évocations des parents, des grands-parents Nénène et Papou, et des oncles, et, plus proche de lui, son jumeau Charles et c’est un peu comme si on retrouvait certains membres de notre propre famille. Nos souvenirs d’enfance font écho à ceux de l’auteur. Il raconte l’insouciance des jeux.

« Quand il n’y a pas école, j’embrasse prestement mes parents, j’enfile mes vieux habits et je vais jouer. C’est une phrase magique. Tu fais quoi aujourd’hui ? Je vais jouer. »

C’est une enfance simple et ordinaire qui se déroule dans les Ardennes belges, là où on est Wallon, différent des flamands qu’on méprise un peu, il faut le dire. On ne va jamais très loin la vie s’écoule dans ce même lieu, pourtant elle est heureuse

« Aussi loin que je me souvienne, pourtant, mon enfance est un sprint heureux. »

C’est aussi un magnifique portrait de famille et Antoine Wauters pose un regard lucide et tendre sur sa famille. A commencer par la mère qui veille au bien-être de ses enfants tandis que le père, déprimé par la perte de son travail, est plus pudique dans ses sentiments.

Il y a cette phrase que je trouve magnifique « Nous ne sommes pas nés heureux, nous avons appris à l'être » car oui, le bonheur, ça ne tombe pas tout cuit dans la bouche, encore faut-il s’exercer à être heureux pour le devenir.,

En regardant grandir cet enfant à la fois inquiet, coléreux et curieux de tout, on découvre l’écrivain qu’il deviendra car, très vite, l’écriture est là comme une évidence, l’écriture qui autorise une certaine solitude, ce qui convient bien à l’enfant devenu l’adulte qui se pose en marge du monde.

« Je sais qu’écrire, c’est se traverser de part en part en acceptant tout ce que l’on croisera, tout ce que l’on touchera du doigt et que l’on entendra. Même ce qu’il y a de plus terrible. »



« Le plus court chemin », c’est une écriture qui va à l’essentiel, une poésie du quotidien, le tout condensé en paragraphes brefs, ce qui rend la lecture facile et fluide. Mais ne vous y trompez pas, malgré la brièveté des chapitres, le sujet est profond et universel, c’est pour cela qu’il nous touche autant.



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Mahmoud ou la montée des eaux

Mahmoud ou la montée des eaux est un récit poétique d'Antoine Wauters écrit en vers libres, d'une incroyable beauté. Il nous raconte l'histoire d'un vieillard poète comme je les aime.

Nous sommes en Syrie. Tous les matins, Mahmoud enfile un masque, des palmes et un tuba, plonge dans le lac el-Assad né de la construction du barrage de Tabqa. Dans les années soixante-dix, ce lac a recouvert de ses eaux des villages qui se trouvaient dans la vallée de l'Euphrate... C'est un lac dont les eaux ont recouvert la vie d'avant.

Mahmoud, en plongeant, retrouve sa maison d'enfance, retrouve des souvenirs, ceux d'avec sa première femme. Les sensations vécues dans sa jeunesse remontent à la surface. Une cour d'école lorsqu'il était enseignant, la place centrale d'un village, l'ombre d'un prunier où il faisait si bon de s'assoupir, une maison tout près avec une chambre où il aimait... Peut-être en plongeant voit-il réellement ce paysage submergé à jamais... En tous cas, moi je l'ai vu en plongeant dans ce très beau texte...

Bien sûr un poète de soixante-dix ans aura envie de nous parler de la vie d'avant.

La vie d'avant, c'était quoi déjà ? Comment se souvenir d'une existence quand un peuple a toujours été piétiné ?

C'est une poésie simple et sensible pour dire la souffrance et les atrocités du régime syrien. Vous l'aurez compris, libres sont ces vers, libre est ce coeur épris d'azur, libres sont les mots qui sortent du coeur de Mahmoud, malgré les grillages, les geôles, les coups sur le dos, sur les mains, sur les doigts, sur les parties génitales, libres sont les vers malgré la guerre d'un tyran contre son peuple. Libres sont les mots d'un poète.

Les eaux de ce lac ne sont pas seulement là pour engloutir des villages et des souvenirs. Il y a aussi la perte des siens.

J'ai découvert cette barque si fragile d'où Mahmoud plonge chaque matin... C'est comme si j'étais à ses côtés... Quand il ne plonge pas il est en prise avec le paysage, en prise avec un monde devenu chaotique, et ce monde est celui d'une guerre en Syrie... C'est un monde où le passé et l'avenir s'effacent pour laisser place au chaos, à la destruction, aux bombes russes tombées sur Alep, à l'absence d'espoir...

J'ai éprouvé le mouvement de cette barque fragile dans le mouvement de ces vers libres. La déflagration des malheurs du monde est capable de faire bouger une barque posée sur les pages d'un livre.

Un jour peut-être les souvenirs de Mahmoud seront eux-mêmes engloutis. Il faut qu'il se dépêche de nous les transmettre.



« Mahmoud.

Il faudra que tu rentres, tu sais.

L'eau monte et elle t'emportera.

Elle coulera jusqu'aux plaines de l'Irak, noyant

les femmes et les enfants, emportant les barques

des pêcheurs et le dernier rire des bergers. »



Coudre, découdre les mots, les phrases, le ventre qui écoute la guerre qui vient, la mort est sans doute terrée comme une hyène plus loin là-bas au bord du lac, mais la vie et les mots d'un poète même vieux sont à l'affût comme une citadelle.



« Quels mots pour dire une terre qui survit au massacre de l'enfant ? »



J'écarte les pages, je voudrais venir parmi le vent qui souffle entre les roseaux et capter les mots de Mahmoud sur sa barque.

« Une ville anéantie aux mains de fous », on croirait entendre un cauchemar qui se répète comme un jour horrible sans fin, l'histoire qui bégaie qui se répète de guerre en guerre, avec toujours la même amnésie après...

C'est une barque à mi-chemin entre deux mondes.

Est-ce que ce lac saura dénouer les rêves d'un poète fou ? Est-ce lui le fou d'ailleurs ? Je ne le crois pas un seul instant. Ce sont eux autres les fous, ceux qui font la guerre, tuent les civils, disent après cela que toutes ces images ce n'était que de la mise en scène.

Le monde est tenu encore par des fous, pas nombreux, mais ils n'ont pas besoin d'être nombreux pour faire du mal.

Les mots sont-ils vains devant le malheur ? Je ne cesse de me le demander. de penser l'inverse. D'observer l'inverse de l'inverse. de croire que tout pourra changer un jour. C'est trop tôt sans doute, le monde n'est pas prêt, je voudrais être là pour cet envol...

La lumière est là dans ce roman, je vous assure, elle transperce chacune des pages, aussi sombres que limpides. Elle est une résilience contre le mal.

Mahmoud ou la montée des eaux est aussi un dialogue comme on pousse une barque d'un rivage à l'autre. Un dialogue avec l'être aimée, Sarah.

L'écho d'une autre guerre et de sa barbarie résonne en moi ce soir. Ce sont les eaux d'un lac qui engloutissent des villes, des paysages que je croyais paisibles, des rires d'enfants, des rires de personnes âgées... Ce sont les eaux d'un lac qui pleurent en moi.

Il y a comme une oralité saisissante dans ce texte, une parole qu'on voudrait saisir à notre tour, la transmettre pour ne pas oublier, jamais.

C'est la parole d'un monde abimé, d'un monde détruit, des êtres humains qui détruisent les leurs, ça il ne faudra jamais l'oublier, c'est la folie du monde qui permet cela. Même les bêtes ne savent pas faire cela...

La poésie peut-elle s'ériger comme un rempart contre la cruauté, peut-elle aider à ne jamais oublier ?

C'est une ode bouleversante dédiée aux peuples opprimés. Dédiée à la vie. Merci à son auteur Antoine Wauters d'avoir permis de mettre cette lumière sur cette douleur, tenter de l'effacer, apaiser les blessures, consoler. Aider à espérer aussi...

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Le musée des contradictions

Hum, hum, me voilà bien ennuyée à l’heure de rédiger cette chronique.

Les contradictions se sont muées en consternation pour ma part. Hélas, j’avais tant aimé Mahmoud ou la montée des eaux, un de mes coups de cœur de ce début d’année. J’étais enthousiaste à l’idée de continuer à découvrir l’œuvre d’Antoine Wauters. Patatras, je n’ai pas retrouvé la plume poétique de l’auteur dans ce musée des contradictions.

En 107 pages et 12 nouvelles, Antoine Wauters m’a perdue, désorientée dans ce qui ressemble à 12 manifestes, 12 diatribes révoltées, appelant à la rébellion contre notre société actuelle ou ce qu’elle sera dans un avenir trop proche. Les sujets foisonnent : surconsommation, maltraitance des personnes âgées en ehpad, pollution, violences intra-familiales, …

Si les thèmes sont forts, puissants, le discours m’a paru abscons. Il n’y a le plus souvent pas de personnages clairement identifiés dans la plupart des textes. J’ai été gênée par le fait que les protagonistes ne soient pas des personnages précis mais des « nous », des « on », des entités nébuleuses, « les filles de la marge », il faut attendre parfois plusieurs pages avant qu’Antoine Wauters nous en dise plus sur qui s’exprime. Cela m’a gênée dans ma lecture, je n’arrivais pas à me projeter, à m’identifier.

De même, il n’est pas toujours facile de comprendre à qui s’adresse le pamphlet, « des maris », le Président (on suppose Macron), Dieu, un Juge, un Docteur…

Tout cela m’a paru terriblement nébuleux et confus, et l’auteur trop détaché de ses propos pourtant virulents. Cette contradiction m’a perturbée, je n’ai pas réussi à adhérer aux discours, pourtant très habités.

Dénoncer, c’est nécessaire, le premier pas, la première pierre indispensable, mais il m’a manqué la suite, des propositions de solutions, comment voir la lumière au bout du tunnel …

De superbes idées, mais leur traitement n’a pas résonné en moi, l’auteur s’est trop éloigné de ma zone de confort (le roman) et je n’ai pas réussi à rentrer dans sa bulle de rage et d’invectives, sous une forme trop conceptuelle à mon goût.

Je retiendrai cependant le « Discours d’une troupe en pyjama » et le « Discours du château en cendres » qui dénonce, pour le premier, le regard méprisant de notre société sur ses vieux en ehpad, et, pour le deuxième, les violences faites aux enfants dans la cellule familiale avec un voisinage qui ferme trop facilement les yeux.



La majorité des lecteurs est enthousiaste, j’en suis sincèrement ravie, c’est donc moi qui semble être passée complètement à côté de ce livre, et qui n’ait malheureusement pas été touchée cette fois par la plume brillante d’Antoine Wauters.

Je ne peux donc que vous encourager à lire ce livre s’il vous tente afin de vous faire votre propre opinion.

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Mahmoud ou la montée des eaux

Mahmoud Elmachi, un vieux syrien, se promène en barque sur le lac el-Assad, sous lequel son village natal a été englouti lors de la construction du barrage de Tabqa. Il n'hésite pas à y plonger avec masque et tuba, et c'est l'occasion de prendre du recul sur sa vie, d'en faire une sorte de bilan.



Un roman, même aussi court que celui-ci, écrit en vers, c'est assez rare et ce peut être déroutant. Ici, la fluidité de l'écriture d'Antoine Wauters rend la lecture assez facile, même si l'on est dans le registre de la contemplation plutôt que dans celui de l'action.

L'auteur nous fait traverser un demi siècle d'histoire (et de psychologie ?) syrienne : les espoirs placés en Hafez el-Assad, puis en son fils Bachar, l'ophtalmologue qui deviendra tyran ; les croyances dans la technologie qui sauve, ici représentée par le barrage ; la dureté de la vie, symbolisée par Leïla, le premier amour de Mahmoud, morte en couche avec son bébé ; la beauté, représentée par Sarah, la mère des enfants du vieillard, amoureuse de poésie ; la guerre civile qui fait rage et et à laquelle Sarah ne survivra pas, emportée par la violence des sbires du régime...

Les plongées de Mahmoud dans le lac résonnent ici avec celles de l'auteur dans les racines contemporaines du peuple syrien.

Un beau roman en vers.




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Mahmoud ou la montée des eaux

J'ose rarement parler de « coup de coeur » en littérature : Ca semble si absolu et définitif, alors que je sais qu'un roman a tôt fait d'en éclipser un autre, dans nos coeurs inconstants et frivoles de lecteurs avides, en perpétuelle évolution. J'ai pourtant bien du mal à retenir ces mots en refermant ce très beau livre. Que d'émotions dans ce roman en vers libres ! Que d'intelligence dans la construction de ce récit qui raconte et dénonce, à fleur de coeur, une histoire éminemment politique ; Et quelle beauté dans ces vers libres, libres comme ce narrateur Syrien aurait voulu l'être du temps de Bachar : libre de penser et de s'exprimer, libre d'aimer et de profiter de sa famille au lieu d'être emprisonné pour ses idées, libre de ne pas quitter son village qui va sombrer comme lui, être englouti avec sa joie de vivre par le projet de barrage, à l'arrivée de ce fameux printemps révolutionnaire… libre comme seule la mort peut désormais le rendre. Alors moi aussi, j'ai fait barrage à mes larmes durant cette lecture, m'émerveillant d'en relire les vers, luisants et colorés, malgré les horreurs suggérées et disséminées, qui vont tout emporter.





« Je me suis allongée sur le miroir

Des mots

(…)

L'écriture comme une barque

Entre mémoire et oubli »





Avec le narrateur, « Je prends une grande, une profonde respiration, et tout ce que je connais mais que je fuis, tout ce que je ne supporte plus mais qui subsiste, tout ce qui nous tombe dessus sans qu'on l'ait demandé, je le quitte. »





Alors il plonge

Plonge et nous entraine

toujours plus profond

Et c'est dans ses souvenirs qu'il plonge

littéralement

Et sombre

car sans lumière ce sont les ténèbres

là-dessous

sous l'eau

celle qui a englouti

sa ville

sa vie

ses souvenirs





« Quand on a perdu un enfant, ou plusieurs enfants, ou un frère, ou n'importe qui comptant follement pour nous, alors on ne peut plus avoir un buisson de lumière dans le coeur. On ne peut plus avoir qu'un ridicule morceau de joie. Un fétu minuscule.

Et on se sent comme moi depuis tout ce temps :

séparé

Détruit.

Je continue de palmer, souple, toujours plus souple, pour ne pas blesser l'eau. (…)

C'est si beau.

Des poissons.

D'autres algues, gonflées comme la chevelure des morts.

Les couloirs verts et or de ma lampe torche.

Et, plus haut, comme une aile d'insecte dans le vent,

ma petite barque qui se dandine, ma petite tartelette de bois.

Sans oublier le soleil qui, même ici, continue de me traquer. »





Bien mieux qu'une madeleine, cet ouvrage se savoure lentement pour laisser les mots s'épanouir, leur sens émerger à notre conscience.





« Je suis bien.

Ce n'est pas une distance physique. C'est du temps.

Je rejoints ce qui s'est perdu.

Je rejoints le temps perdu.

A la terrasse du café Farah, cherchant une table libre,

je ne trouve que des bancs de boissons. »





Car Mahmoud, seul, a survécu

à sa famille,

femmes et enfants,

à son « déplacement »

à la guerre dans son pays

à la prison

à la torture

politique.





« Je redescends sous l'eau.

Voir ce que ma mémoire n'a pas retenu.

Les arbres.

Les arbres subsistent au fond du lac. Mais il est impossible de les reconnaître. Certains ont conservé leurs bourgeons, de pauvres petits grelots mauves

comme des doigts de pied d'enfants.

Lorsque je braque ma lampe et tends la main

en leur direction je voudrais que tu voies ça,

ils remuent faiblement, imperceptiblement.

Comme de petites menottes disant adieu.

Je pense alors à nos enfants. »





Quelle poésie dans cette tristesse, mais quelle lumière aussi dans ces vers souvenirs, qui éclairent le fond de l'eau, les ténèbres, tel le passé éclairant ce présent : Mahmoud, sur ce lac-miroir qui reflète désespérément les tenants et aboutissants de sa solitude. Et puis ces métaphores comme fil d'Ariane, « une barque à mi-chemin entre les mondes », entre les sphères familiales et politiques, la vie et mort, le passé et le présent. Mais le futur n'est-il pas toujours la mort, aussi ?





« Le poids de l'eau sur mon coeur, je le sens,

comme la masse qui appuie sur la base du barrage,

prête à le rompre. »





Des triples, quadruples sens aux phrases, aux vers, aux mots. Cette masse d'eau qui pèse de plus en plus au fur et à mesure que le plongeur s'enfonce, ses larmes qui recouvrent ses souvenirs, ce barrage qui menace de s'effondrer, de se faire exploser par l'ennemi, cette digue artificielle qui contient, pour combien de temps encore, la menace de sombrer.





« Les bras contre le corps, je palme vers la lumière.

Le monde, cette beauté détruite par la peur. »





Et les souvenirs remontent à la surface,

avec lui.





Et j'ai replongé

moi aussi





Dans ce lac de mon enfance, ce village de vacances

aux mystères engloutis ;

Près des fantômes mélancoliques des profondeurs glacées,

sous les soirées caressantes

de nos étés.

Avec ses larmes de fond qui nettoient tout,

Et mes souvenirs,

aussi.
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Mahmoud ou la montée des eaux

Le chant d’adieu du vieux sage



Dans son nouveau roman, Antoine Wauters s'est glissé dans la peau d'un vieux Syrien qui voit son pays mourir. Une oraison poétique autant que funèbre qui vous prend aux tripes.



C'est magnifique. C'est du moins la première impression que l'on peut avoir au bord de ce lac, oasis au bord du désert dans un pays de culture et de tradition millénaires. C'est là que vient se ressourcer Mahmoud Elmachi, usé par les années de guerre et de peur, par la solitude aussi. Il vit dans un cabanon au bord du lac al-Assad, l’étendue d’eau que forme le barrage de Tabqa au bord de l’Euphrate. De là, avec masque et tuba, il plonge régulièrement vers ce village englouti où il a grandi et où se trouvait l’école où il a fait ses débuts comme enseignant.

Il plonge à la chasse aux souvenirs, mais aussi aux rêves engloutis, à commencer par celui d’Hafez El-Assad qui a ordonné la construction de l’ouvrage, promettant ainsi la prospérité aux habitants expropriés. En lieu et place du lait et du miel promis, c’est plutôt la désolation. Quand Bassel, le successeur désigné du Président meurt, c’est Bachar qui quitte Londres, rentre en Syrie et, s’il n’a pas d’intérêt particulier pour la politique, va se métamorphoser: «Les monstres naissent dans la nuit. Il range ses habits de médecin, se forme à l’Académie militaire de Homs et éclipse peu à peu, bye-bye, le jeune homme timide de Hyde Park.

Maintenant, il regarde les gens dans les yeux quand il leur parle. Au fond des yeux. Et se tient droit comme le fil d’une épée. C'est un capitaine, un gradé. Il nous a pris nos vies, Sarah. Il est toujours trop tard quand on ouvre les yeux. Penchés au-dessus de nous, les monstres tiennent de longs ciseaux glacés et les pointent en notre direction. Tchak! Voilà comment ils font. Ils nous prennent nos rêves et les coupent en menus morceaux.»

Entre Daech, l’armée de résistance et les forces gouvernementales, sans oublier la coalition internationale, c’est désormais une pluie de bombes qui s’abat autour du lac où rodent des soldats aux abois. On comprend que Mahmoud préfère se réfugier dans ses souvenirs, écouter la voix de sa femme disparue, de ses enfants qu’il n’a pas revu depuis qu’ils ont rejoint l’armée rebelle et chercher, au fond du lac un peu de calme et de sérénité.

Son chant d’amour résonne d’autant plus fort que le contraste entre la violence et la douleur avec la poésie qu’il défend du tréfonds de son âme est fort.

C’est aussi la raison pour laquelle Antoine Wauters a construit ce somptueux roman en vers libres, arme redoutable contre la barbarie. Comme pendant les années où il était enfermé et que son esprit vagabondait, se nourrissant de la poésie de son épouse, le vieil homme a compris que le temps et les mots forment une armure de grâce et de dignité, même si elle vous tue, elle vous aura aidé à vivre.




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Mahmoud ou la montée des eaux

Ecoute.

Je ne suis plus qu'une épave

sur cette mer déchaînée,

mon coeur meurtri par tant de souffrances accumulées,

mon coeur dévasté par ton absence.

Un vieil homme fou, affirment certains.



L'eau du lac ne cesse de monter, inexorablement.

J'ai beau m'agripper

Au bord du radeau qui m'emporte,

Mon corps glisse dans l'obscurité du lac,

Attiré par la profondeur de ses abysses.



Mes yeux étaient pleins de rêves.

Aujourd'hui, mes larmes ne peuvent redonner vie à tout ce que j'ai perdu.

Mes souvenirs remontent jusqu'à moi, m'emprisonnent,

et la douleur m'étreint dans ses anneaux.

« Qui a dit que la mémoire est rongée par le temps ? »



Muni de mon masque,

je plonge et redeviens enfant,

insouciant, bercé par l'amour de mes parents.

Je n'ai rien oublié de ces jeunes années,

Les vergers, terrain de mes jeux

Les fruits gorgés de sucre et de soleil

« Cette beauté détruite par la peur. »

Leïla et notre premier enfant,

Toi, Sarah, belle, généreuse, amoureuse de poésie,

Nos beaux enfants.

Nazifé, notre rayon de soleil.



Je plonge dans l'immensité du lac à ta recherche.

Je revois notre maison engloutie par le lac el-Assad,

« Une ville morte aux mains de fous brandissant les fusils de Dieu. »

et la guerre telle une déferlante

emportant tout,

charriant son lot de barbaries,

frappant, fauchant, égorgeant, décapitant.



Ma rage n'est qu'une cage pour ma peine.

Je suis libre, mais prisonnier de mes pensées, de votre absence.

Je vous ai enterré

et avec vous, nos rêves, nos projets, notre soif de liberté.



« Sous l'arbre où je te retrouverai bientôt.

Est-ce cela, vieillir ?

Mieux voir hier qu'aujourd'hui ?

Mieux voir jadis que maintenant ?

Chercher à oublier mais voir tout revenir ?

Le passé est une bombe. Il explose. »



Je suis

Dépouillé.

Apeuré.

Seul.



*

Voici un roman que je gardais précieusement pour pouvoir le déguster tranquillement, et je le finis au bord des larmes.

Comment décrire cette plume si délicieuse qui m'a emportée au bord du lac artificiel d'el-Assad au nord de la Syrie ? Comment ne pas se laisser entraîner par la mélodie des mots, la profondeur de ce récit ?



La prose sublime d'Antoine Wauters illumine le texte en vers libres. L'écriture poétique pour rendre compte de la souffrance de ceux qui subissent la guerre donne à ce drame intime, une infinie délicatesse, une sensation de douceur, tout en démultipliant les émotions. Comment construire une vie nouvelle sur les fondations pourrissantes de l'ancienne ?



« Toute ma vie, j'ai écrit parce que je souffrais de voir se briser ce pays : celui des rêveries de l'enfant.

Toute ma vie, je l'ai passée à me battre pour conserver le privilège de pouvoir respirer auprès de vous. »



Je me suis retrouvée au côté de Mahmoud le poète, plongeant dans les eaux sombres du lac, né en 1973, lors de la construction du barrage de Tabqa sur l'Euphrate. Totalement immergée dans cette atmosphère où se mêlent lieux, senteurs, douleurs et terreur, j'en ai oublié le temps qui passait, totalement absorbée par la beauté, le désespoir et la force du récit de Mahmoud. J'ai ressenti de plein fouet, la puissance de son amour pour sa famille, mais aussi l'extrême tristesse qui monte et inonde ses souvenirs de famille et son passé.

Mon coeur s'est serré à ses côtés, sa solitude m'a touchée, sa douleur m'a bouleversée, la mort des siens m'a attristée.



« Mes poèmes ne sont pas des poèmes.

Ce sont des vers remplis de peur,

et de rage et de peine. »



L'histoire de ce vieil homme se mêle à celle de la Syrie, faisant remonter des images monstrueuses de son beau pays dévasté par les horreurs de guerre, et la responsabilité du régime syrien dans les atrocités commises.

« Ils nous prennent nos rêves et les coupent en menus morceaux. »



« Et tout ce qui restera, ce sera une vaste étendue d'eau avec, peut-être, embossé dans sa barque comme dans une coquille de noix, un vieux sage qui parlera, mais que plus personne n'entendra. »



*

Pour conclure, « Mahmoud ou la montée des eaux » est un récit d'une extrême justesse qui nous fait ressentir au plus profond de nous-mêmes, le bonheur d'une vie simple, les peines et les tourments d'un vieillard qui reste seul à contempler les ruines de sa vie.

Mahmoud ou le portrait d'un homme bouleversant, intense de chagrin et d'amour.

Une écriture merveilleuse.

Un roman à ne surtout pas manquer.

Un très gros coup de coeur.
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Mahmoud ou la montée des eaux

IMMENSISSIME COUP DE COEUR



Un homme

Mahmoud

Sur une plage

Qui empile les

Tartines au concombre et au sel

sur une pierre

Trois tas un pour

Chacun de ses enfants



Mahmoud qui plonge

Dans l'eau des souvenirs

Les champs de pastèque

Le chant du père, toujours

Verdi

Le café Farah et aussi Leïla

Qui riait

Et embrassait la lumière

Et Sarah toujours là



Un pays

La Syrie

Là où la lumière se retire

Ville

Après

Ville

Là où naquit

La civilisation

Et des poètes multiples

Bayrakdar, opposant au père Assad

Et beaucoup d'autres

Encore





Un écrivain

Antoine

Maître magicien qui

D'une histoire sombre

Fait une poésie

Et sème

Des graines de lumière



Un prix

Le prix Wepler-Fondation la poste

Qui récompense Mahmoud et

Antoine

Pour cette forme

D'écriture

Ces phrases courtes qu'on entend

Entrecoupées de

Silence et de

soupirs

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Mahmoud ou la montée des eaux

Un roman incroyable, tout en vers libres, un vieil homme, ancien enseignant, poète, plonge dans le lac el-Assad où se trouve le village de son enfance, ensevelis suite à la construction du barrage de Tabqa, c’est aussi l’occasion de plonger dans ses souvenirs, de l’enfance à ses vieux jours, ses joies mais aussi ses drames.

L’auteur par petites touches, par des allusions nous fait entrer dans l’Histoire de la Syrie.

C’est un grand roman réaliste, criant de réalité, de vérité, un vrai grand roman poignant, puissant, j’ai été émue par Mahmoud je n’avais pas envie de le quitter. A lire et relire, une perle.
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Mahmoud ou la montée des eaux

Un beau poème sur un « vieux fou », un poète qui fut la « Grande Ourse du petit monde des lettres » qui fut emprisonné, et qui perdit les siens



Un poème sur la vieillesse



Un poème sur un village englouti peu à peu par un lac artificiel



Un poème sur la mémoire et l'oubli



Un poème sur l'amour





Mais aussi un poème sur la Syrie,

un poème sur l'espoir que suscita le printemps arabe,



un poème sur la répression féroce entreprise par le régime de Bachar el-Assad



un poème qui renferme une violente charge sur ce dictateur



Ce livre m'a touché, m'a ému.

Il est empli d'amour, de tristesse, de solitude, de sensibilité et de résilience.



J'ai aimé le personnage de Mahmoud, ses journées passées sur sa barque, ses plongées au-dessus de ce qui était son village.



J'ai aimé le voir ressasser ses souvenirs, son impuissance à ne pas les oublier



J'ai aimé sa délicatesse devant la nature



J'ai ressenti une véritable empathie envers lui.



J'ai aimé ces vers libres et simples



Ce livre m'a rappelé que la Syrie continue à être sous la coupe d'un dictateur alors que nos gouvernements se sont hélas résignés à l'accepter.
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Le plus court chemin

Quand une personnalité introvertie, presque autistique, débouche sur l’écriture…



Antoine Wauters, dans ce roman qui n’en est pas un, nous dessine à coups de chapitres d’une page ou moins son enfance dans les Ardennes belges, avec ses parents, son frère et sa sœur, ses oncles et tantes, ses grands-parents. Nous sommes dans les années 80 et les gsm, les jeux vidéo n’ont pas encore contaminé le monde, l’innocence et la nature.

J’ai aimé cette évocation pleine de nostalgie.



Il y mêle le rapport à l’écriture, il y décrit le processus qui l’a transformé en écrivain. Transformé ? Non, à vrai dire. Car dès l’enfance, tout est là. Les mots se bousculent dans sa tête, et ils vont sortir à gros bouillons un peu plus tard.

Disons que cette réflexion sur l’acte d’écrire m’a quelque peu ennuyée.



Et puis il parle de son présent d’écrivain, replié dans la petite maison d’Ardenne, au point de ressentir un malaise à l’idée de « vendre » ses livres.

L’enfant mutique s’est révélé un adulte économe de mots.

Le plus court chemin vers l’enfance, c’est l’écriture.

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Moi, Marthe et les autres

Hardy et sa bande quittent la grotte et vont vers la mer. De la vie d'avant la 'cassure' ils ne savent que ce que le Vioque racontait, les canettes de Coc-Cla, les clopes Malbro, les chansons de John Holiways, 'Que je t'aime' ils fredonnent.

La terre est pourrie, les animaux rares et ils mangent l'inconnu qu'ils ont rencontré.



Au milieu de cette bestialité qui est en fait normalité, il y a la horde, le sexe libre, l'amour plein de poésie et de tendresse de Hardy aussi bien pour Marthe, avec son désir hystérique d'enfants, que pour son ami Ossip, l'amitié du jeune Frog qui se cache dans la bouche de 'métr'.



A sa manière, ce récit post apocalyptique est un monument.

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Mahmoud ou la montée des eaux

Prenez place sur la barque de Mahmoud, vieux fou ou vieil homme désabusé ? Préparez vous à plonger, pas seulement dans le lac, non, c’est aussi une plongée dans ses souvenirs.



C’est la guerre, vous entendez les combats comme un bruit de fond, et Mahmoud raconte son premier amour qu’il n’a jamais oublié, sa femme Sarah qu’il va falloir rejoindre, ses enfants partis se battre, ses années de prison, son enfance engloutie au fond du lac. Alors il plonge, Mahmoud, pour retrouver des fragments de sa vie d’avant le barrage, son village, la maison de ses parents…



Aller, au début on écoute les digressions de ce vieil homme par politesse, il radote le vieux ; et puis la nuit remplace le jour, on comprend que ce n’est pas que sa vie qu’il raconte, il nous parle aussi de politique, de guerre, de désillusions, de combats personnels, d’une vie d’épreuves, d’infortunes…



N’oubliez pas de remonter à la surface de temps en temps, de reprendre votre souffle, parce que la fin est déchirante…



Un magnifique roman, plaidoyer contre les régimes totalitaires et la guerre et une véritable ode à l’amour.



Bref, un condensé d’émotions à consommer sans modération.



À lire près d’un lac ou d’un bassin, les pieds dans l’eau, en écoutant une musique apaisante (Mille colombes?) et en grignotant des Makroudh, des Samsa ou des Baklawa avec du thé à la menthe…



Mon compte Instagram : @la_cath_a_strophes
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Le plus court chemin

Ce livre est un puzzle littéraire.

A chaque page, Antoine Wauters, par petites touches, nous raconte des souvenirs de son enfance passée dans les Ardennes belges, là où les Wallons se sentent bouseux par rapport aux flamands.

Dans les années 80 Antoine Wauters vit avec son jumeau, Charles, entre ses parents et ses grands-parents. Un temps où le dictionnaire était la seule source de culture, où les habits étaient portés jusqu'à usure complète, où les jeux étaient en plein air.

Un père qui travaille beaucoup...déprime aussi...mais qui est capable de dire à son fils" Merci d'être qui tu es, garde bien précieusement cette clé que tu as découverte. La clé du ciel, du brouillard, du bruit du vent dans les arbres."

Sa mère est obsédée par le bonheur de ses enfants "Nous ne sommes pas nés heureux, nous avons appris à l'être...plus on expérimente des moments de bonheur plus ça devient une façon de vivre, je te souhaite le meilleur." (Tout parent normalement constitué devrait dire ça à ses enfants !!!)

Nénène et Papou sont des grands-parents charmants, elle une grand- mère gâteau, lui un grand- père pieux, silencieux, un peu bizarre.

Malgré cette douceur ambiante, à dix ans, Antoine Wauters a envie de se jeter contre un mur. Il comprend ce jour-là qu'il ne peut pas se détruire, qu'il va être obligé de vivre et c'est ce jour-là qu'il "cesse d'être un enfant". Il cherche le pourquoi de la vie. Alors il va écrire, l'écriture est l'un des thèmes principaux du livre, l'écriture ET la lecture.

"Celui qui écrit doit avoir une qualité...celle de se souvenir des voix qu'il porte en lui, et qu'il faut entendre, puis faire parler". Toujours avant d'écrire Antoine Wauters lit, parce que "lire est une armure de sens" et "il ne va nulle part sans avoir lu".

C'est un livre poétique, drôle, nostalgique, profond.

N'ayez crainte, ce n'est pas un livre nombriliste, si Antoine Wauters parle de lui c'est pour mieux comprendre les autres...ou le contraire !







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