Pendant que les adultes tuaient et étaient tués, nous dessinions dans un coin. Pendant que le pays s’effondrait par morceaux, nous, nous apprenions à parler, à marcher, à plier les serviettes en forme de bateaux, d’avions.
Mieux vaut apparaître dans aucun livre
Que les phrases se refusent à abriter
Notre vie sans musique et sans paroles
Notre ciel sans les nuages d'aujourd'hui
Tu ne sais pas s'ils reviennent ou s'en vont
Les nuages quand ils changent si souvent
De forme et que nous croyons continuer
A habiter ce lieu que nous avions quitté
Quand nous ne connaissions pas les noms
Des arbres
Quand nous ne connaissions pas les noms
Des oiseaux
Quand la peur était peur et que n'existaient pas
L'amour de la peur
Ni la peur de la peur
Et que la douleur était un livre interminable
Que nous feuilletions quelquefois au cas où
Nos noms y seraient écrits à la fin.
Lire, c'est se cacher le visage. Et écrire, c'est le montrer.
"Tantalia" est l'histoire de deux amants qui décident d'acheter une petite plante et de la conserver comme un symbole de l'amour qui les unit. L'un et l'autre comprennent trop tard que, si la plante meurt, avec elle mourra aussi l'amour qui les unit. Et que, comme l'amour qui les unit est immense et qu'aucune raison ne saurait les amener à le sacrifier, ils décident d'aller perdre la petite plante au milieu d'une multitude de petites plantes identiques. Vient ensuite le chagrin, le malheur de savoir qu'ils ne pourront plus jamais la retrouver.
Julio esquivait les histoires sérieuses, se cachait non pas des femmes, mais du sérieux, puisqu'il savait que le sérieux était autant sinon plus dangereux que les femmes.
Au lieu d'écrire, j'ai passé la matinée à boire des bières et à lire Madame Bovary. Aujourd'hui, je me dis que c'est ce que j'ai fait de mieux ces dernières années, boire beaucoup de bière et relire un certain nombre de livres avec dévotion, avec une étrange fidélité, comme s'il y palpitait quelque chose de personnel, une piste pour trouver un destin. D'ailleurs, lire lentement, nonchalamment, rester couché dans son lit pendant des heures, sans jamais laisser se reposer ses yeux qui brûlent, c'est le parfait alibi pour attendre la tombée de la nuit. Et c'est tout ce que j'attends : que la nuit tombe vite.
Mais je suis contre la nostalgie.
Non, ce n'est pas vrai en fait. J'aimerais être contre la nostalgie. Où que je regarde, il y a quelqu'un qui renouvelle son serment au passé. Nous nous rappelons des chansons qu'en réalité nous n'avons jamais aimées, nous revoyons nos premières petites amies, des camarades de classe avec lesquelles nous ne sympathisions pas. Nous ouvrons les bras à des gens que nous bannissions.
Parmi tous ceux qui étaient là, j’étais le seul à venir d’une famille sans morts et cette constatation m’avait rempli d’une étrange amertume : mes amis avaient grandi en lisant les livres que leurs parents ou leurs frères, leurs sœurs morts avaient laissés chez eux. Mais il n’y avait pas de morts dans ma famille, ni de livres.
Julio esquivait les histoires sérieuses, se cachait non pas des femmes, mais du sérieux, puisqu'il savait que le sérieux était autant sinon plus dangereux que les femmes.
A la fin, elle, elle meurt et lui reste seul, même s'il était en réalité resté seul plusieurs années avant sa mort d'Emilia. Mettons qu'elle s'appelle ou s'appelait Emilia et que lui s'appelle, s'appelait et continue à s'appeler Julio Emilia. A la fin, Emilia meurt et Julio ne meurt pas. Tout le reste est littérature.