«
Suis-je le gardien de mon frère ? » nous interroge le titre sans nous dire d'emblée si on est sur un terrain plutôt biblique ou purement et geôlièrement (?) terre-à-terre.
« Brothers & Keepers » pour le titre original.
Par quel bout qu'on le prenne, une chose est sûre : on est devant une histoire de famille. Jamais simple, mais si en plus cette famille est africaine-américaine et que l'un de ses membres purge une peine de prison à vie, ça devient carrément une affaire dramatique.
John Edgar Wideman, à l'ouverture du livre, ça faisait un moment qu'il n'avait plus trop de nouvelles de Robby, de dix ans son cadet. Un éloignement, des routes différentes, des vies diamétralement opposées. Malgré tout, tacite et invisible, le lien n'est pas rompu, raison pour laquelle
Wideman sait que des nouvelles, il ne va plus tarder en à avoir après un coup de fil de la matriarche l'informant que Robby est en cavale à la suite d'un de ses multiples plans foireux qui cette fois s'est conclu par la mort d'un homme. Dès lors l'auteur pressent, devine, sait que son frère va essayer d'entrer en contact avec lui. Et en effet, peu de temps après, Robby et sa petite bande de losers passent la nuit chez lui, puis repartent, puis se font serrer.
Procès - Jugement - Prison à vie.
Le décor est posé et
Wideman peut défiler la contexture de son livre-témoignage.
Visiter régulièrement son frère en prison, l'interroger, l'écouter, écrire son histoire. Celle d'un jeune homme particulièrement beau et intelligent, mais en rogne, tout le temps. Une colère qui va tout dévaster, qui le portera vers les mouvements Noirs, espérant une révolution libératrice qui ne viendra pas. A la colère, se mêlent alors l'impuissance et la déception, autant dire qu'un boulevard à une vie faite de drogues, pertes de travail occasionnel et banditisme de bas-étage est tracé. Jusqu'au coup (minable lui aussi) de trop.
Ce qui, au départ, avait l'ambition d'être un livre qui revenait sur un fait divers tragique, y exposant les tenants et aboutissants, minutes du procès à la clef, finit par prendre un chemin parallèle,
John Wideman s'interrogeant sur l'extrême différence des parcours que son frère (truand) et lui (universitaire) ont empruntés, leur éducation, leurs attentes respectives, les espoirs déçus d'un côté, une certaine réussite de l'autre, pour ne plus se consacrer qu'à une auto-introspection, en tant que proche, protecteur, n'ayant en définitive pas su être le gardien de son frère.
Un livre-document intéressant qui pose de bonnes questions mais dont malheureusement les bonnes réponses arrivent souvent trop tard. La voie que suivait Robby et ce qu'il allait y trouver au bout semblait (à posteriori, soyons honnêtes) une évidence. Avec le recul finalement,
John Edgar Wideman, en pointant les faiblesses de son frère prend conscience des siennes, des manquements familiaux et de la dure expérience d'être Noir et pauvre dans l'Amérique des années 70.
PS : le livre ne le précise pas mais juste comme ça, de manière informative, Robby est finalement sorti de prison en 2019 après 44 ans d'incarcération. Souhaitons-lui de trouver la paix dans cette nouvelle vie.