Ce récit de l'ascension tragique du
Nanga Parbat par les frères Messner rappelle que la vérité, tant qu'elle dépendra de l'homme, se heurtera toujours aux ambitions et aux faiblesses de celui-ci. Les ambitions d'un chef d'expédition hanté par la mort de son frère sur ce sommet, la crédulité et l'idéalisme d'un alpiniste passionné.
Pour établir sa vérité et exorciser le traumatisme,
Reinhold Messner se livre intimement sur sa participation avec son frère, Günther, à l'expédition menée par Herrligkoffer en 1970 sur
la Montagne nue, montagne sacrée pour les allemands depuis l'ascension de Buhl en 1953. Montagne sacrée et maudite puisque le sommet haut de 8125m a connu six ascensions avortées ou tragiques jusqu'à 1970, dont celle de 1938 avec la disparition du frère de Herrligkoffer. Tragiques encore puisque Reinhold reviendra seul de cette expédition, perdant son plus fidèle compagnon de cordée.
C'est un témoignage fascinant, entier, nébuleux compte tenu de l'état de confusion et d'épuisement extrême dans lequel s'est retrouvé Messner. Sans omettre la préparation rigoureuse de l'ascension, les stratégies, les tensions entre les individus sur les choix de voie, Messner dirige toutes les émotions vers le sommet et la descente tragique qui s'est transformée en chemin de martyr pour le survivant.
L'histoire est à l'image de la haute montagne dans toute sa discordante splendeur, dangereuse et trépidante. On se laisse envahir par l'impatience, la fébrilité, l'espoir, l'attente, la déception, le vertige du dénivelé, la sérénité de l'immensité, la solitude de l'effort…bref par l'idée de se confronter à ce qui nous dépasse. Car l'ascension par le versant du Rupal c'est « 4500m de dénivelé. La moitié supérieure est d'une raideur monstrueuse, soutenue par des piliers sauvages, des ressauts barbares et des glaciers suspendus. Même l'alpiniste le plus optimiste, le plus déterminé, ne saurait songer à y aller, ne serait-ce que pour une reconnaissance ».
On est submergé par l'impuissance, le sentiment d'irréversibilité lorsqu'à défaut de cordes, l'instinct de survie s'accroche à de simples crampons et à un piolet sur une paroi verticale et verglacée de 3e voire 4e degré.
On est ébahi face à une descente incertaine, désespérée sans camp d'altitude, sans cordes fixes pour échapper à une tempête de neige.
Imprudence, incompréhension, orgueil démesuré … quoi qu'il en soit dans ce récit très personnel, pudique et vrai,
Reinhold Messner se livre et analyse son parcours. Dans un style mesuré, avec l'appui des rapports officiels, cartes, photos et journal intime de son frère, l'alpiniste tyrolien fait de ce témoignage presque un docu-fiction éclatant de force et d'intensité.
Très bel hommage au magnétisme de la haute montagne.