Quelle bande dessinée !
Oui, faites excuse, mais je ne dis pas « roman graphique », pas plus que je ne dis « belle journée ». La novlangue, ce n'est pas mon truc…
Bon, je reviens à
Satchmo qui, de toute éternité, a signifié pour moi un petit gars de la Nouvelle-Orléans dont les notes de trompette et la voix m'accompagnent depuis un bon bout de temps, des enregistrements de The Hot Fives jusqu'aux hits immortels comme Hello Dolly, l'indispensable What a Wonderful World, Mack the Knife, sans oublier We Have All the Time in the World – chanson du James Bond Au Service secret de sa Majesté. Et ne pas oublier ses duso avec Ella Fitzgerald !
Mais si l'oeuvre irréprochable et combien visuelle de
Léo Heitz s'inspire de la biographie du seul et unique Satch – une mère qui, par nécessité, se prostitue, une rencontre avec King
Joe Oliver, un passage par le Colored Waifs'Home, maison de correction pour les enfants noirs abandonnés, etc. – il ne faut pas s'attendre à la vraie vie de
Louis Armstrong. C'est librement inspiré, suivant la mention consacrée.
Dans ce monde où tous les personnages sont des souris – peut-être un clin d'oeil au Maus, de
Art Spiegelman ? –,
Satchmo se montre vite un prodige du jazz, dans une atmosphère de Grande Dépression et de Prohibition, le tout couvert du voile des malheurs et du sort contraire. Car ce n'était pas évident, on s'en doute, d'être un petit Noir du Sud à cette époque de Ségrégation décomplexée. Ce que rend parfaitement la bande dessinée de Leitz.
Côté dessin, tout est mouvement chez Leitz, qui, dans un quasi monochrome où seul le sang donne des couleurs, confère à son histoire une atmosphère oppressante. Une histoire digne de L'homme aux bras d'or, d'
Otto Preminger, quand l'exceptionnel Franck Sinatra interprète un batteur de jazz toxicomane dans les bas-fonds de Chicago. D'ailleurs,
Satchmo est une bande dessinée très cinématographique, avec des cadrages propres au Septième Art.
Le dessin de Leitz joue aussi beaucoup avec la lumière : voir la scène particulièrement violente entre la mère de
Satchmo et son souteneur à travers leur ombre sur le mur. Qui dit jeu de lumières dit clair-obscur, qu'on retrouve tout au long du récit, dont cette planche page 167 où le personnage principal est étendu parmi les choses brisées, images de sa vie, avec un filet de lumière venu d'une fenêtre et qui symbolise l'espoir. En effet,
Satchmo, accablé dès son plus jeune âge par une existence sordide, navigue entre rêves et cauchemars. La musique devient alors sa planche de salut.
Seulement voilà, on reste sur sa fin, voire sa faim, car on ne saurait admettre que tout s'arrête là et, sans divulgâcher l'histoire – comme le disent si joliment les Québécois –, il nous faut une suite, qu'on espérera identique au destin de celui qui disait à propos de sa musique : « Ce que nous jouons, c'est la vie. »
Une vie entrecoupée de chagrins, qui lui faisait chanter si sincèrement ce gospel puisque des troubles il en avait connu :
« Nobody knows the trouble I've seen,
Nobody knows but Jesus !!
Nobody knows the trouble I've seen,
Glory hallelujah !! »
(Remerciements aux éditions Jungle et bien entendu à Babelio)