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Marina Skalova (Traducteur)
EAN : 9782882508966
208 pages
Noir sur blanc (18/01/2024)
3.78/5   18 notes
Résumé :
En 1941, le directeur du crématorium de Moscou, Piotr Nesterenko, est arrêté. Il sait mieux que personne ce qui arrive aux victimes des Grandes Purges staliniennes. Opposants, espions présumés, anciens héros de la révolution, tous victimes des répressions – il les a tous incinérés. Au fil des interrogatoires successifs, il doit répondre de sa vie tumultueuse : officier de l’Armée blanche qui a fui les bolcheviks jusqu’en Ukraine, survivant d’un accident d’avion, émi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Moscou, 1941. Piotr Nesterenko, le directeur du crematorium, est arrêté, accusé d'espionnage au profit de puissances étrangères ennemies.

De par son métier, Nesterenko est le témoin malgré lui, depuis des années, des grandes purges staliniennes, puisque des milliers de cadavres de « traîtres » et autres « espions » lui sont littéralement passés dans les mains avant d'être enfournés dans l'incinérateur.

A ce titre, Nesterenko n'est pas étonné par son arrestation, et ne se fait aucune illusion sur l'issue de son propre « procès ». Cependant, la bureaucratie soviétique étant ce qu'elle est, il faut bien en passer par un minimum de semblant de procédure équitable. Et donc Nesterenko est interrogé en long et en large par un commissaire-enquêteur. C'est au fil de ces interrogatoires qu'on découvre son histoire aussi tumultueuse que celle de son pays. Officier dans l'armée blanche du tsar, il fuit les bolcheviks, s'exile à Constantinople, passe par l'Ukraine, la Serbie, la Pologne, la Bulgarie avant d'échouer à Paris où il sera chauffeur de taxi, avant d'être recruté par le NKVD et de rentrer en URSS. Où il postulera au crematorium, et finira directeur de celui-ci et de l'ensemble des cimetières de Moscou. Toute son histoire est liée par le fil (blanc ou rouge) du désir de l'exilé de rentrer au bercail, et celui de l'amoureux éperdu de retrouver la femme de sa vie.

Mêlant documents historiques (Nesterenko a bien existé) et fiction, Sacha Filipenko recrée avec brio et intelligence les dialogues entre Nesterenko et son enquêteur attitré, en les entrelardant d'une ironie et d'un humour noir irrésistibles. Interrogé et interrogateur jouent à un jeu de chat et de souris impitoyable, même si chacun sait parfaitement que les dés sont pipés et l'issue inéluctable.

A travers le destin mouvementé de cet opportuniste de Nesterenko, l'auteur, opposant notoire à Poutine, raconte aussi l'histoire de la Russie totalitaire et de ses dirigeants obsessionnels et paranoïaques pendant la première moitié du 20ème siècle.

Et comme L Histoire, c'est bien connu, repasse les plats, peut-être ce portrait est-il à nouveau/toujours d'actualité...

En partenariat avec les Editions Noir sur Blanc via Netgalley.
#Kremulator #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Sacha Filipenko est un journaliste et scénariste biélorusse , russophone . Ses prises de position l'opposant à Loukachenko et à Poutine l'ont contraint à quitter la Russie , il vit actuellement en Suisse.
C'est Alexandra Polivanova, qui travaille pour l'ONG Memorial, qui lui met entre les mains le dossier de Piotr Ilitch Nesterenko, directeur du premier crématorium de Moscou.
Kremulator va prendre vie et Piotr va être le narrateur de ce roman. Arrêté en juin 1941 au lendemain de l'invasion allemande, accusé d'être un espion aux services des puissances ennemies, il est transféré à Saratov , les interrogatoires commencent et à travers le récit de sa vie une partie de l'histoire de l'U.R.S.S se dessine. Les grandes purges de 1937/38, la toute puissance de Staline et les évènements évoqués se superposent à d'autres d'avant-hier, d'hier et bien sûr d'aujourd'hui.
" Kremulator, le mot russe pour « crémulateur ». Un mot dans lequel le lecteur entend à la fois un écho du Kremlin et le nom d'un métier qui n'existe pas. le crémulateur est un instrument précis, un broyeur qui pulvérise définitivement ce qui subsiste d'un individu après sa crémation (oui, certains cartilages résistent même à une heure et demie au four). Il me semble qu'il n'y a pas de meilleure métaphore pour désigner la machine répressive soviétique."
Ironie, satyre, farce macabre, morbidité, frisson , suées froides sont au rendez-vous d'un livre qui ne m'a pas laissée indifférente.
Un grand merci aux éditions Noir sur blanc via Netgalley pour ce partage
#Kremulator #NetGalleyFrance !
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Pour commencer, je tiens à remercier Babelio pour la masse critique littérature ainsi que les Éditions Noir sur Blanc de m'avoir fait découvrir cet ouvrage. La quatrième de couverture m'avait interpellé ne connaissant pas cette partie de l'histoire Soviétique.

Le livre raconte la vie invraisemblable, mais vrai, de Piotr Ilitch Nesterenko qui fut le directeur du crématorium de Moscou. Celui-ci a participé aux grandes purges staliniennes dans le milieu des années 30 permettant de faire disparaitre les corps des opposants au régime Soviétique. En novembre 1938 les exécutions prennent fin et le régime de Staline se retourne contre Nesterenko considéré comme un espion à la solde de l'Allemagne nazi. Il fut arrêté à son domicile en juin 1941.

J'ai apprécié comment Sacha Filipenko a construit son roman. Il entremêle les interrogatoires ainsi que des passages du journal de Nesterenko en passant par des monologues adressés à l'amour de sa vie Vera. Malgré un sujet malaisant, l'auteur a réussi à me mettre à l'aise et à captiver mon attention en utilisant avec parcimonie un humour ironique.

Pour conclure, je ne peux que recommander cette lecture. Sacha Filipenko est né en Biélorussie, il est un opposant à Loukachenko et Poutine. Kremulator raisonne tellement avec l'actualité de la guerre en Ukraine. Il mérite d'être connu et reconnu pour son travail de recherche et sa plume agréable à lire.

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Quelques semaines avant de lire "Kremulator", j'avais pu apprécier l'intervention de son auteur, le journaliste biélorusse Sacha Filipenko, sur la chaîne Thinkerview (https://www.youtube.com/watch?v=PXIiR612ghE). Sans être forcément d'accord avec tous ses propos, l'homme m'avait paru sympathique. Puis j'ai lu son premier succès littéraire, "Un fils perdu", plutôt intéressant mais qui m'avait un peu laissé sur ma faim. Au bout du compte, je reste tout aussi mitigé sur sa dernière parution. Tout ce qui peut rendre compte de l'horreur du totalitarisme soviétique est le bienvenu, "Kremulator" est donc un roman utile, mais je n'ai pas été convaincu par les choix narratifs.

Ce qui m'a attiré dans ce roman est d'abord cette idée de mettre en avant un directeur de crématorium pendant les grandes purges staliniennes (oui, j'ai parfois des penchants bizarres)... mais j'ai trouvé que cet aspect était assez peu exploité, on ne saura finalement pas grand-chose de cette singulière activité. le récit s'intéresse à toute la vie d'adulte de Nesterenko, depuis sa participation à la Première Guerre mondiale, son rôle dans la Révolution du côté des Blancs, son émigration dans plusieurs villes étrangères et notamment à Paris, avant son retour au pays... En somme, le parcours d'un Russe ordinaire au cours de ces années de grands bouleversements, et non le portrait d'un monstre comme je m'y attendais.

Dans cette période de délires paranoïaques que furent la fin des années 30 / le début des années 40 en URSS, Nesterenko fait partie de l'interminable liste des suspects. Accusé d'espionnage, il est arrêté et cuisiné par le jeune enquêteur Perepelitsa, avec une conclusion déterminée à l'avance : il sera exécuté. Les chapitres du roman sont autant de journées d'interrogatoire. Nesterenko ne perd jamais sa combativité, ses échanges avec son adversaire sont très vifs et donnent lieu à quelques belles passes d'armes. Pendant ma lecture, je me suis demandé ce qu'aurait donné cette confrontation sous forme de pièce de théâtre, un huis-clos opposant Nesterenko et Perepelitsa. Je l'aurais peut-être davantage appréciée.

Sacha Filipenko compose son roman à partir des dialogues entre les deux protagonistes, mais aussi des extraits de journal intime, des monologues de Nesterenko à destination de sa bien-aimée, de documents administratifs, et même quelques photos... J'imagine que la volonté de l'auteur était de dynamiser son récit, mais pour moi cela l'a surtout rendu assez confus. Sans doute est-ce la raison principale pour laquelle j'ai l'impression de n'être jamais totalement entré dans le roman, que j'ai d'ailleurs mis longtemps à lire au regard du faible nombre de pages (un peu plus de 200).

Je remercie Babelio et les éditions Noir sur Blanc, qui ont proposé ce livre dans le cadre de Masse Critique.
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« Kremulator », Un Livre de Sacha Filipenko (Biélorussie, né en 1984). 208 pages. Éditions "Noir sur Blanc". 18 Janvier 2024 ...

Les mots sont là, présents, pleins de sens, sans superflu.

C'est l'histoire d'un certain Piotr Nesterenko. « Une ironie glaçante » On nous présente dans une divine qualité, le parcours haut en couleur de cet homme, ce Piotr Nesterenko, ce personnage Russe, ou plutôt, International.
Les aventures de cet être humain, cet agent double, qui vit sur plusieurs tableaux.
Quel de risques pris sciemment !

Nesterenko est interrogé par les forces ennemies, de façon violente, ils essayent de lui faire admettre des éléments compromettants, mais Nesterenko travaille au crématorium, il sait faire disparaitre les preuves…

« Les gens qui mettent fin à leur vie par un suicide sont un, des faibles, et deux, de grands égoïstes ! le suicide doit rester étranger à l'homme soviétique ! »
Celle là doit vous sembler drôlement en désaccord avec vos valeurs. Et moi aussi je comprends qu'on puisse souffrir au point de vouloir en mourir … Des fois, même, la mort est plus innocente qu'un mensonge.

Dans les camps de prisonniers, Piotr s'accommode de la mort « ni plus ni moins » …
J'avais été séduit par un Billet sur Babelio, pensant que mon non intérêt pour les périples de guerres serait supplantés par ma curiosité sur le monde actuel.
Phoenix
++
Lien : https://linktr.ee/phoenixtcg
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critiques presse (1)
LeFigaro
03 mai 2024
La tragique histoire soviétique racontée comme une folle comédie par un écrivain biélorusse frondeur.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
[Dans les années 30]:
- Vous aimeriez réussir à comprendre pourquoi la Russie en est arrivée là où elle est...
- Je crois que démêler cela est assez difficile... Sans doute qu'il y a beaucoup de raisons...
- Eh non, mon petit gars! En réalité, tout est très simple! Comme deux fois deux! En Russie, mon ami, les choses sont ce qu'elles sont car on y admet l'inadmissible! Vous et moi, nous avons quitté un pays où personne ne tire jamais la sonnette d'alarme. A chaque fois qu'il faudrait dire "ça suffit", l'homme russe dit: "Oui, c'est vrai qu'on ne peut pas continuer comme ça, mais à bien y réfléchir..." L'un des plus grands problèmes de la Russie, c'est l'alliance du "mais" et de la virgule. Nous avons l'habitude de tolérer des virgules là où nous aurions dû mettre un point depuis longtemps!
- Excusez-moi, mais je ne saisis pas très bien où vous voulez en venir...
- Vous saisissez très bien! Je veux dire qu'au lieu de mettre un point final nous ajoutons des virgules sans fin! Oui, tuer est interdit, mais... Oui, la torture est interdite, mais... Oui, nous savons bien que les criminels ont tort, mais... Mais, mais, mais! Après le meurtre de la vieille et de sa soeur enceinte, Dostoïevski aurait dû mettre un point, mais il a commis un crime, un crime pas moins ignoble que celui de son personnage! Dostoïevski a décidé de justifier l'acte de Raskolnikov. Le voilà, notre drame! Trop souvent, nous voulons comprendre, quand il n'y a rien à comprendre! Nous justifions l'injustifiable! Nous creusons et creusons, là où il ne faudrait plus creuser du tout! Il y a des limites que même le désir de philosopher ne justifie pas de franchir! L'inadmissible est inadmissible!
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– Vous aimeriez réussir à comprendre pourquoi la Russie en est arrivée là où elle est…
– Je crois que démêler cela est assez difficile… Sans doute qu’il y a beaucoup de raisons…
– Eh non, mon petit gars ! En réalité, tout est très simple ! Comme deux fois deux ! En Russie, mon ami, les choses sont ce qu’elles sont car on y admet l’inadmissible ! Vous et moi, nous avons quitté un pays où personne ne tire jamais la sonnette d’alarme. À chaque fois qu’il faudrait dire « ça suffit », l’homme russe dit : « Oui, c’est vrai qu’on ne peut pas continuer comme ça, mais à bien y réfléchir… » L’un des plus grands problèmes de la Russie, c’est l’alliance du « mais » et de la virgule. Nous avons l’habitude de tolérer des virgules là où nous aurions dû mettre un point depuis longtemps !
– Excusez-moi, mais je ne saisis pas très bien où vous voulez en venir…
– Vous saisissez très bien ! Je veux dire qu’au lieu de mettre un point final nous ajoutons des virgules sans fin ! Oui, tuer est interdit, mais… Oui, la torture est interdite, mais… Oui, nous savons bien que les criminels ont tort, mais… Mais, mais, mais ! Après le meurtre de la vieille et de sa sœur enceinte, Dostoïevski aurait dû mettre un point, mais il a commis un crime, un crime pas moins ignoble que celui de son personnage ! Dostoïevski a décidé de justifier l’acte de Raskolnikov. Le voilà, notre drame ! Trop souvent, nous voulons comprendre, quand il n’y a rien à comprendre ! Nous justifions l’injustifiable ! Nous creusons et creusons, là où il ne faudrait plus creuser du Cinquième interrogatoire #
– Après Constantinople, tu es parti en Serbie, n’est-ce pas ?
– Oui…
– Pourquoi en Serbie précisément ? Pourquoi n’es-tu pas revenu en Union soviétique tout de suite ?
– Avoir servi dans l’armée des volontaires de Denikine était une tache particulièrement honteuse dans ma biographie, citoyen directeur. Je m’étais rendu gravement coupable envers le pouvoir soviétique. À Constantinople, j’ai compris que je n’étais pas digne de devenir citoyen de l’Union soviétique. De ce fait, j’ai été contraint à renoncer au chemin du retour…
– Nesterenko, tu ne vois pas que je prends des notes ? Pourquoi tu commences à chaque fois par me raconter toutes ces hérésies ? Il faudrait que je te casse la gueule avant chaque interrogatoire ?
– Je dis la vérité, citoyen directeur…
– La vérité ?! Donc tu me demandes de croire et de noter tout ça ?!
– Oui…
– Sale con ! Je sais que tu es parti pour la Serbie avec une haine profonde pour la patrie ! Espèce de petit enfoiré, je sais aussi que tu y as travaillé pour les services étrangers, et c’est de ça que tu vas me parler aujourd’hui, compris ?!
– Oui…
 
À ce moment-là, je ne sais pas pourquoi, je perds pied pour la première fois. Perepelitsa change soudain de visage. Ou de masque. Ce n’est pas l’accusation, qui n’a rien de nouveau, qui me désarçonne, mais plutôt son intonation typiquement soviétique, creuse et agressive. Je recommence à avoir l’impression que ce Perepelitsa est complètement stupide. Et je doute : est-il vraiment le bélier entêté pour lequel il se fait passer ? Ou me teste-t-il pour la énième fois ?
Je suis sur mes gardes depuis tant de mois maintenant, mais si je l’avais complètement surestimé ? J’ai peut-être pris trop de précautions… Et si Perepelitsa était vraiment cet homme nouveau soviétique un peu demeuré ? C’est probablement juste un abruti… Et je me suis menti à son sujet. Il ressemble de plus en plus à un imbécile de la pire espèce. Serait-ce à mon avantage ? Non ! Il vaudrait mieux qu’il soit intelligent, car s’il s’avérait que j’ai un crétin soviétique élémentaire face à moi, je devrais jouer une comédie différente. Le courage, la sincérité et l’humour ne peuvent suffire à faire changer d’avis un personnage pareil. En répétant ses accusations vides de sens comme un mantra, Perepelitsa fait le chien dévoué, capable de servir son maître jusqu’à la fin. J’avais cru que nous avions un petit peu avancé, qu’il m’avait reconnu, s’était imprégné de mon ironie et avait compris que je n’aimais pas le genre humain en général, mais que je n’avais rien contre le pouvoir soviétique en particulier… et voilà que c’est reparti comme en quatorze ! En le regardant attentivement, je sens maintenant poindre l’angoisse. Pas facile de savoir ce que ce petit homme étriqué a vraiment en tête…
 
– Vas-tu, Nesterenko, cesser de te braquer inutilement et me parler enfin de ton activité d’espion et de traître de l’Union soviétique ?
 
Je vois… La voilà, sa méthode. Des coups de pioche, encore et encore. Ce n’est pas un enquêteur, c’est un mineur ! Tous, dans ce pays, aspirent à devenir d’illustres travailleurs. Répéter la même chose tous les jours, des mois durant, comme pour extraire une vérité de mes profondeurs, aussi opaques que les couches de la terre…
 
– Très cher citoyen directeur, je vous répète n’avoir jamais eu aucune activité d’espionnage préjudiciable à l’Union soviétique, et je vous dis la vérité depuis des mois !
– La vérité ? Je sais, Nesterenko, que tu es parti pour l’étranger après t’être vu confier des missions spéciales de la part du commandant en chef des forces armées du sud de la Russie. Pourquoi ne me parles-tu pas de ce travail pour les Blancs ?!
– C’est faux ! Je dis la vérité ! Si vous parlez de Belgrade, à mon arrivée en Serbie en 1921 j’ai décidé de commencer une nouvelle vie et ai cherché un emploi dans mon domaine d’activité, dans l’espoir de me remettre à voler un jour ou l’autre…
– Et qu’est-ce qui t’a empêché de voler ?
– Je n’ai jamais réussi à trouver de travail en Serbie. Alors, je suis parti pour la Bulgarie, où on m’a proposé de travailler temporairement comme gérant d’un hôtel.
– Et tu crois que je vais gober ça ?
– Écoutez-moi ! C’est facile à vérifier ! Cet hôtel appartenait à l’armée de Denikine. C’est là que j’ai travaillé. Un jour, l’adjoint du dirigeant de l’aviation de l’Armée blanche, Baronov, s’est présenté à la réception de l’hôtel. Il m’a raconté que du matériel d’aviation, exporté de Russie pendant la révolution, était stationné en Serbie et en Bulgarie. Baronov m’a proposé d’immatriculer les avions et de les envoyer à l’Armée blanche dans le Sud, ce que j’ai accepté…
– À ton avis, ce n’est pas de la trahison, ça ?
– À mon avis, en de pareilles circonstances, pas du tout…
– Mais puisque tu t’apprêtais à faire la guerre contre l’Union soviétique !
– Non. Je voulais simplement trouver de quoi m’occuper. En tant qu’officier et aviateur, passer ma vie à surveiller que l’hôtel reste entier m’intéressait peu.
– Tu as accompli cette tâche confiée par le général Baronov ?
– Non.
– Pourquoi ?
– Parce que les autorités serbes et bulgares ont refusé de transmettre les avions à Denikine avant que des relations diplomatiques normales avec la Russie n’aient été rétablies…
– Et comment t’es-tu occupé ensuite ?
– Les deux premiers mois, comme je l’ai déjà indiqué, j’ai servi en tant que gérant de l’hôtel…
– Leurs gérants avaient les mêmes fonctions que chez nous ?
– C’est-à-dire ?
– Comme Blokhine ?
– Oh mon Dieu, bien sûr que non ! Qui auriez-vous voulu exécuter dans cet hôtel ? Non, en Bulgarie, je ne faisais rien d’autre que ce qu’on me demandait – résoudre des petits soucis pratiques…
– Je vois, continue !
– Ce travail n’avait rien de réjouissant. Je n’aimais pas la ville, ni les Bulgares. Par conséquent, après quelque temps, je suis revenu en Serbie et me suis engagé comme agent mécanicien auprès de l’aviation militaire serbe, mais dès 1923 j’ai pris la décision de partir pour la France…
– Pourquoi ?
– Parce que j’ai compris que, tout comme autrefois en Russie, je n’avais plus rien à faire en Serbie. Les Serbes n’étaient pas pressés de nous aider…
– Donc, tu es parti en France ?
– Exactement.
– Qu’as-tu fait là-bas ?
– Les premières semaines, j’ai travaillé au noir, car je n’avais qu’un visa de transit. Puis, je me suis installé à Versailles où, après avoir reçu un vrai titre de séjour et le statut de réfugié politique, j’ai été embauché dans une usine de produits électroniques. Ensuite, j’ai travaillé à l’usine Renault, où je me suis même plu car pendant quelque temps j’ai fabriqué des pièces d’avion, je n’y ai cependant pas fait de vieux os car quelqu’un m’a proposé le travail de mes rêves…
– Ah bon, lequel ?
– Je suis devenu chauffeur de taxi.
– Travailler comme simple chauffeur de taxi, tu appelles ça le travail de tes rêves ?
– Oui, car un travail pareil, on ne peut qu’en rêver…
– Les chauffeurs de taxi avaient tellement la cote là-bas ?
– Je gagnais de quoi m’acheter du pain et un verre de lait.
– Je vois. Raconte-moi maintenant à quelles organisations de Russes blancs tu as appartenu à Paris.
– Vous ne lâchez toujours pas l’affaire, hein ? Je répète que je n’ai fait partie d’aucune organisation de l’émigration blanche !
– Tu es sûr ?
– Oui ! La seule chose, c’est que… avant Paris, vers la fin de l’année 1921, quand le représentant de Savinkov 1 est arrivé en Serbie depuis la Pologne pour recruter des spécialistes issus de l’Armée blanche, j’ai donné mon accord pour intégrer ses rangs, parmi d’autres officiers. J’ai ainsi pu me rendre à Varsovie…
– Dis donc, un vrai globe-trotter, ce Nesterenko ! Tu as aussi trouvé le temps de faire un saut à Varsovie alors ? Pour quoi faire ?
– On m’a proposé un salaire, et puis Varsovie c’était presque la maison. Je croyais alors que je pourrais y passer un peu de bon temps, me rapprocher de la Russie et enfin rentrer au pays. Mais à peine arrivé en Pologne, j’ai vu que l’Armée blanche était exsangue et, au bout de deux jours seulement, j’ai rebroussé chemin et suis retourné en Serbie…
– La Serbie, la Bulgarie, la Pologne, et partout, Nesterenko, tu as tenté de combattre le pouvoir soviétique !
– Pas du tout. Partout, j’essayais de recommencer ma vie ! Que de tentatives, citoyen directeur, avortées, incessantes… À l’époque dont nous parlons ici, je ne cherchais plus à combattre personne depuis longtem
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[Préface de l'auteur]
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En 1941, le directeur du crématorium de Moscou, Piotr Nesterenko, est arrêté. Il sait mieux que personne ce qui arrive aux victimes des Grandes Purges staliniennes. Opposants, espions présumés, anciens héros de la révolution et autres ennemis du peuple – il les a tous incinérés. Au fil des interrogatoires, il doit répondre de sa vie tumultueuse  : officier de l’Armée blanche ayant fui les bolcheviks jusqu’en Ukraine, survivant d’un étrange accident d’avion, émigré à Istanbul puis à Paris, amoureux fidèle à la passion de sa jeunesse – voici un parcours qui ne plaît pas aux autorités soviétiques…
[...] Tu parles d’une vie  ! Un officier blanc, mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, qui a trouvé le moyen de servir pour l’Armée blanche et pour l’Armée rouge, pour les Allemands et pour la Rada ukrainienne. Un pilote ayant survécu au crash de son avion, combattant de l’armée de Denikine, contraint à émigrer, transitant par plusieurs pays européens, travaillant comme chauffeur de taxi à Paris avant de revenir à Moscou, où il est devenu le premier directeur du crématorium de la ville, édifié dans l’enceinte du monastère de Donskoï. Une destinée loin d’être triste, bien que couverte de cendre. Une girouette-modèle  ? Un vrai caméléon  ? Ou un pauvre type, qui a juste eu le malheur de venir au monde dans l’Empire russe de la fin du XIXe   siècle  ?
[...] Le matin, il incinérait les têtes du régime soviétique  : Ordjonikidze, Gorki et Maïakovski. La nuit, il réceptionnait les cadavres des fusillés qu’il devait brûler pour faire disparaître la trace des crimes rouges. Mais quand donc dormait-il  ?
[...] Kremulator, le mot russe pour «  crémulateur  ». Un mot dans lequel le lecteur entend à la fois un écho du Kremlin et le nom d’un métier qui n’existe pas. Le crémulateur est un instrument précis, un broyeur qui pulvérise définitivement ce qui subsiste d’un individu après sa crémation (oui, certains cartilages résistent même à une heure et demie au four). Il me semble qu’il n’y a pas de meilleure métaphore pour désigner la machine répressive soviétique.
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– À ton avis, cette guerre n’avait aucun sens ?
– Quel sens aurait-elle pu avoir ? Quel sens ont toutes ces guerres, si cent ans plus tard les gens n’arrivent même plus à se souvenir quand et pourquoi elles ont commencé ? Par exemple, pourquoi les soldats ont-ils donné leur vie, si sur tout le territoire de l’Union soviétique il n’y a pas un seul monument d’hommage aux disparus de la Grande Guerre ?!
– Il n’y a pas de monument pour ne pas graver dans le marbre des siècles une guerre qui était une erreur.
– Et les vies des soldats ?
– Il ne faut pas exagérer la valeur de la vie d’un soldat. Tu es bien placé pour savoir que le rôle du soldat est de partir au combat !
p 56
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[...] Les arrestations ne sont pas si nombreuses – tout juste mille soixante-dix-sept individus.
[...] Une quantité dérisoire, le sort de la plupart ayant été réglé dès 1937, où le seul soupçon de travailler pour la Pologne a condamné plus de cent mille personnes à être fusillées (très exactement : cent onze mille quatre-vingt-onze citoyens).
[...] « Mieux vaut trop de zèle que pas assez », commente l’un des tchékistes.
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