C'est très long d'attendre en silence, à côté des adultes qui chantent tous ensemble et qui s'occupent pas de moi. C'est comme si j'étais une potiche, un objet inutile qu'on a posé dans un coin. Quelquefois, quand même, j'ai des frissons quand le clan des moustaches chante avec des voix très graves. Les vibrations envahissent la pièce et tout mon corps. J'aimerai tant que les mots sortent du puit-silence eux aussi, qu'ils s'envolent dans le ciel, avec le chant des oiseaux. Mais j'ai beau essayer, c'est peine perdue.
Moi, je me bouche les oreilles quand tout le monde crie. Les gens rient pour n’importe quoi, pour des bêtises de grands et papa se croit toujours plus malin que les autres, il dit : « Ne vous inquiétez pas pour Mick, c’est pas elle qui ira le répéter. » Alors, ça me fait mal d’entendre de telles méchancetés, surtout de la part d’un adulte qui est censé montrer un peu de compassion. Ce mot aussi, je l’aime beaucoup, bien qu’on le pratique pas vraiment avec moi.
J’ai eu beaucoup de peine à cause d’un lion qui tournait lentement dans sa cage sur ses coussinets, comme un vieux papi en chaussons.
Je crois que maîtresse a raison. Je m'ennuie. Je regarde de plus en plus souvent par la fenêtre. Je pourrais refaire le puzzle, les yeux fermés. J'aimerais bien faire les autres mais ils sont plus gros. Soizic veille au grain. Il y a un âge pour tout, une case pour chaque individu, une prison pour chaque cobaye.
Moi, j’ai des tas de choses à révéler, à extirper de mon ventre. Un jour, tous les mots s’envoleront de la boite-silence. Ils seront précis, directs, en plein dans la cible. Personne me coupera la parole parce que les gens devant moi seront interloqués.
Les étoiles scintillent dans la froidure de l’hiver. Je repense à papa, à toutes ces nuits, où nous avons observé le silence en imaginant la promesse d’un ciel plus clément. Ce soir, on distingue nettement la grande Ourse, et Vénus appelée communément l’étoile du berger. Contrairement à la croyance populaire, l’étoile du berger n’est pas une étoile. Il s’agit d’une planète et pas n’importe laquelle car c’est la plus proche du soleil. Elle scintille, guide les bergers et les navigateurs mais il faut se méfier des apparences. Sa température est de quatre cent soixante-degrés et sa pression, quatre fois plus importante que sur la Terre. Parfois, les apparences sont trompeuses. J’en ai fait les frais.
Je ne pouvais plus être complice de cette faute que j'avais pas commise.
Alors, j'ai eu de nouveau ce sentiment que j'avais essayé de dissimuler au fond de moi et qui est sorti comme un gros bouton plein de pus. Ce sentiment , c'est la honte. Je savais qu'on pouvait avoir peur, je l'ai su certainement dès ma naissance mais la honte, c'est pas pareil. Elle soulève le cœur, elle prend les tripes, les intestins, elle tord l'estomac et quelquefois, elle fait vomir. Les jours suivants, on a plus entendu de symphonie. On ne pouvait plus rien partager. A part la peur.
j'écoute de la musique classique car c'est une musique qui raconte des histoires sans parler.
Elle avait dans les yeux cette tristesse infinie des femmes qui subissent.