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Critique de Laureneb


Anette Wieviorka livre ce court essai "à propos de l'Affiche rouge" à l'occasion de la panthéonisation ce mois de février 2024 du couple Manouchian. Il ne s'agit pas de remettre en cause leur présence au Panthéon, elle ne souhaite pas polémiquer sur le bien-fondé de cet hommage national. Mais elle cherche à démontrer que mettre l'accent sur un couple contribue à héroïser et "glamouriser" deux personnes, au détriment de tous les autres : le poète, l'amant, l'orphelin arménien survivant du génocide et venu en France par amour pour les écrivains, et "sa Mélinée, son amour, son orpheline" pour citer les "Strophes pour se souvenir" d'Aragon, où certains vers sont une déclaration d'amour bouleversante, par-delà la mort.
Un groupe, le groupe Manouchian - qui n'en était d'ailleurs pas un au sens strict, les différents résistants ne travaillaient pas tous ensemble, mais par petits groupes spéciaux et spécialisés indépendants - est ainsi réduits à deux figures, alors qu'ils étaient "vingt-et-trois quand les fusils fleurirent", vingt-deux en réalité puisque la seule femme, Olga Bancic, a été guillotinée.
Elle cherche donc à montrer toute la diversité de ces résistants étrangers membres de la MOI, la Main-d'Oeuvre Immigrée : hongrois, polonais, espagnols, italiens... qui ont néanmoins pour point commun d'être presque tous juifs - hormis Missak Manouchian, ce qui est l'argument principal de détestation des Nazis. Ainsi, un véritable "casting" est organisé par les services SS pour composer la fameuse affiche rouge, les brochures et les tracts qui l'accompagnent. Il s'agit de mettre en avant les figures qui correspondent le plus à la conception nazie de "dégénération de la race", les noms qui "sonnent" les plus étrangers, les chiffres des attentats étant de plus complétement faux. Il faut des visages "noirs de barbe et de nuit hirsutes, menaçant".
Anette Wievorka retrace donc les figures de ces résistants - et de cette résistante, sans s'attarder sur le couple Manouchian, qui est déjà au centre de nombreux ouvrages historiques. Et, surtout, ce qui m'a particulièrement intéressée, elle insiste sur la construction mémorielle. On ne devient pas un héros de la mémoire nationale comme ça, c'est tout un processus qui se construit à travers l'histoire. Elle présente donc l'histoire même du poème d'Aragon, commandé par l'Humanité, le grand journal communiste, dans le contexte particulier de la mort de Staline. L'identité juive est dissimulée, le ton est certes patriotique, mais aussi un poème d'amour, et une réflexion sur le sens et la fonction même de la poésie. C'est ensuite la chanson qui va mettre en avant les membres de l'Affiche rouge - le titre de Léo Ferré chantant le poème d'Aragon s'est d'ailleurs imposé, jusqu'à ce que l'affiche elle-même devienne un matériel historique, présent notamment dans les manuels de l'enseignement secondaire.
La mémoire - la légende, le mythe, l'histoire d'amour - a donc surpassé l'histoire, et Anette Wieviorka essaye de lui rendre sa place.
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