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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Un jour, tout sera bien, voilà notre espérance.
Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion."
(Voltaire)

Olga, Macha et Irina. Les trois soeurs de la pièce - peut-être la plus célèbre - de Tchekhov.
Les proses d'Anton Pavlovitch sont amusantes ou douces-amères, faciles et agréables à lire. Mais "lire une pièce de Tchekhov" me paraît presque aussi incongru que lire Marx pour le plaisir dans un hamac. Il n'est jamais aisé de lire une pièce de théâtre, mais chez Tchekhov, de surcroît, il ne se passe en apparence rien du tout, ce qui peut vite devenir décourageant.
Son théâtre manque d'action et de toute cette impulsivité héroïque qui a poussé Antigone à enterrer le corps de son frère, ou Juliette à se transpercer le coeur avec le poignard de Roméo.
Tout se passe à l'intérieur; les personnages souffrent, mais ils n'ont pas la force d'agir ni d'avancer, et ils se laissent faucher par le destin. Ils veulent s'échapper de leur cercle vicieux, mais ils ne peuvent pas, car ils ne savent pas faire. On peut apprendre quelque chose sur eux que grâce aux dialogues, petits signes... et ce n'est peut-être pas pour rien que souvent les conversations éclatent, et tombent en morceaux faits des longs monologues plaintifs.

"Les trois soeurs" est probablement ma pièce préférée de Tchekhov. C'est vrai que parfois on a du mal à comprendre comment un homme aurait pu s'emparer de l'âme féminine et de ses états avec une telle précision, mais Anton Pavlovitch était de toute évidence un génie.
Ses trois héroïnes sont un merveilleux emblème de l'ancien monde de l'aristocratie russe; monde fait de beauté, de foi, de fragilité et de rêves.
Tout comme dans "La cerisaie", ce monde se heurte aux inévitables changements dans la société, et entre en conflit avec le milieu populaire, représenté ici par Natacha, épouse d'Andreï, l'unique frère de nos trois soeurs. Son manque de jugement esthétique, mode vulgaire, enfants bruyants, et envie de tout accommoder selon ses goûts détruisent la personnalité d'Andreï et repoussent au coin le vieux monde d'Olga, Macha et Irina.

Certes, il y a un espoir : le voyage à Moscou ! "Moscou" sonne comme une promesse de purification et d'un nouveau départ, mais ce voyage est comme le Godot de Beckett : on l'espère et on en parle sans arrêt, tout en perdant peu à peu l'espoir. En attendant le bonheur, les soeurs s'engagent dans divers impasses. Macha tombe amoureuse de Verchinine en espérant une relation de valeur, mais cela n'arrive pas et Verchinine s'en va. le fiancé faute-de-mieux d'Irina meurt en duel. La vie avec Natacha pousse Andreï à la frontière (au-delà ?) de la folie, et il perd la maison familiale aux cartes.

On peut toujours trouver quelque chose de neuf, dans "Les trois soeurs". La pièce reflète avec une dangereuse lucidité les différentes étapes de la vie d'une femme. Quand je l'ai vue pour la première fois, il y a bien des années, avec ma copine P. on s'était mis d'accord que la plus "réaliste" et sympathique est incontestablement Irina. Jeune, sans expérience, naïve, mais pleine d'élan, car la vie n'avait pas encore le temps de lui botter le derrière. Après quelques années, la gagnante est maintenant Macha. Elle a suffisamment vécu pour comprendre que tout ne sera pas toujours comme elle l'imagine, et que parfois il faut savoir renoncer à l'impossible, pour ne pas se morfondre encore davantage. J'ai juste un peu peur du jour où Macha sera éventuellement remplacée par Olga, vieillissante et résignée, usée par la vie et terriblement seule.
Mais d'ici-là, je veux en profiter pour voir et revoir encore plein de pièces de Tchekhov. 4,5/5, мастер.
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