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Critique de peloignon


La Mouette est, pour moi, une comédie sur l'écriture et sur l'Art.
Je ne sais pas si certains arrivent à l'apprécier sans y réfléchir et sans préparation, mais ce n'est pas mon cas. On y trouve bien quelques remarques amusantes sur le métier de l'écrivain, quelques quiproquos et plusieurs possibilités amusantes à mettre en scène pour que la pièce soit immédiatement drôle et c'est indéniablement ce qui fait le succès populaire de la pièce. Par contre, si on en reste là, il me semble, qu'à l'instar de Tolstoï, on ne pourra saisir ce qui fait la qualité propre de la Mouette.
(Tolstoï a, en effet trouvé qu'elle était « une absurdité sans valeur à la manière d'Ibsen », où « les mots sont entassés les uns sur les autres, sans qu'on sache pourquoi ».)
Ce que je trouve vraiment génial avec cette pièce et que je suis arrivé à remarquer par la suite en approfondissant les vagues intuitions que j'ai eues en allant voir jouer et en lisant La Mouette, c'est d'abord, qu'il s'agit d'une transposition de la structure narrative de Hamlet. Tchékhov replace en effet tous les éléments et personnages royaux, aux ambitions politiques grandiloquentes de Shakespeare dans une lointaine province, où les personnages sont de petits bourgeois qui veulent voir leurs noms dans les journaux. C'est une répétition historique ironiquement imaginée dans un horizon médiocre, par un artiste qui s'exprime ainsi cyniquement envers lui-même, exactement comme le font les personnages dans sa pièce.
Ensuite, il n'y a aucun fond dramatique réel, aucun menace matérielle. le devenir, le mouvement, comme dans la logique hégélienne, surgit du mouvement purement verbal de l'être vide au néant et du néant à l'être vide. C'est une pure affaire de langage existant pour lui-même en dehors de l'humanité souffrante à partir de besoins réels et concrets. Tout provient du vide de l'intériorité de pauvres riches êtres campagnards qui désespèrent d'atteindre les standards sociaux qu'ils idéalisent candidement.
Je n'avais pas non plus prêté attention à l'aspect symbolique de la pièce. La Mouette y symbolise pourtant la liberté artistique, qui peut bien voler, mais qui reste toujours à portée de fusil du premier chasseur venu. Ainsi, le personnage de Nina, si heureuse et adorée près de son plan d'eau est abattu inconsciemment par Trigorine. Ce dernier, hanté par son besoin d'écrire, vide de leurs substances les êtres qu'il rencontre et agit de manière si nécessaire et innocente qu'il ne se souvient même pas, à la fin de la pièce, d'avoir demandé à Chamaraïev d'empailler la mouette, alors que titube autour de lui, les restes moribonds de Nina.
Enfin, la vanité existentielle du métier d'écrivain et de l'écriture en général est aussi tellement bien mise de l'avant dans la pièce! le pur talent monstrueux qui ronge l'écrivain, qui le pousse follement à ne vivre que pour et dans son écriture, sans se faire d'illusions sur les qualités de ses efforts, car il a perdu tout contact avec leur valeur réelle depuis des lustres. Tout cela convient tellement à une personne comme Tchekhov qui a écrit 600 oeuvres littéraires (dont La Mouette) entre 1880 et 1903! Son cynisme envers lui-même a quelque chose de vraiment grand et de très touchant.
Comme l'a compris, et exprimé mieux que personne Mallarmé, l'artiste, c'est le guignon « mordant au citron d'or de l'idéal amer »...
Bref, plus j'y pensais et plus je trouvais la pièce géniale. Il y a longtemps que je n'avais pas autant creusé autour d'une oeuvre d'art pour mieux la comprendre et l'apprécier. Je me sens maintenant fin prêt pour y retourner. Quelqu'un veux bien venir avec moi?
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