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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"This is the end, beautiful friend..."

Pas de titre, pas de générique... mais les premières notes de la chanson emblématique des Doors hérissent déjà l'échine, comme prémices au festival pyrotechnique dans les tonalités rouges et oranges, à la chaleur, la brume, la folie, la mort. Un avant-goût des hélicoptères, transformés en Walkyries de Wagner... et de colonel Kurtz, qui chuchotera "The Hollow Men" de T.S. Eliot - poème glaçant et apocalyptique dédié au roman de Joseph Conrad - avant d'expirer avec les mots "l'horreur, l'horreur..." sur les lèvres.
L'odeur du napalm au petit matin. Voyage au coeur des ténèbres...
On a tous vu "Apocalypse Now" de Francis Ford Coppola, et on sait aussi que le tournage de ce film culte (placé 28ème parmi les 100 meilleurs films du cinéma américain) n'était pas une promenade paisible dans une roseraie.
Palme d'Or à Cannes en 1979 (ex aequo, pour la toute première fois dans l'histoire du festival, avec "Le Tambour" de Schlöndorf) et deux Oscars, le film a explosé (entre autres explosions) tous les budgets et a mené son réalisateur au bord de la folie.

Les fieffés cinéphiles seront probablement déjà au courant de tous les détails de ce "tournage en enfer" : l'internet n'est pas avare d'informations, et les plus mordus ont dû se jeter sur le "making of", réalisé par Eleanor Coppola lors de ce mémorable tournage aux Philippines.
Quoi qu'il en soit, cela n'enlève rien au mérite de cette bande dessinée (ou de ce "roman graphique", pour ceux qui insistent), qui raconte l'aventure d'Apocalypse Now à travers les yeux de la jeune Sarah Evans, embauchée par American Zoetrope en tant qu'attachée de production.
Le dessin simple et réaliste (l'aquarelle réhaussée de crayons de couleur) de Florent Silloray me semble être un support visuel idéal pour retracer tous les moments marquants du tournage : les ignares s'en sortiront instruits, et les instruits ne pourront qu'apprécier cette somme d'information rassemblée sous une forme graphique. Il faut dire que l'histoire est prenante, et rappelle parfois en quelque sorte le film lui-même.

"Nous étions dans la jungle. Nous étions trop nombreux. Nous avions accès à trop d'argent et de matériel, et, peu à peu, nous sommes tous devenus fous..." confie le démiurge Coppola, dont le but original était de tourner un succès commercial sans prétention excessive, d'après le scénario de John Milius. Scénario qui vivra sa propre vie au fur et à mesure du tournage, et dont Francis Ford cherche encore désespérément la fin idéale.
Etait-ce une bonne idée de faire revivre une fois de plus la guerre du Vietnam, au moment où elle n'était encore que trop présente dans toutes les mémoires ? Est-ce que ce film parle vraiment du Vietnam ?
Ou plutôt de la démesure, de l'outrage, d'un état d'esprit indescriptible où la guerre et la mort ne deviennent qu'une coulisse, un arrière-plan devant lequel le lieutenant-colonel Kilgore se croit invulnérable, et s'adonne au surf, aux vins français et aux spectacles des pin-up et des villages en feu ? Devant lequel se promènent les reporters, disant "faites comme si de rien n'était, c'est pour la télé...". Où la perception de la réalité est quelque peu altérée (ce que l'esthète Coppola gère assez génialement par des fumigènes, qui apparaissent toujours au moment où la raison recule) et ne commence à se cristalliser que pendant la remontée du fleuve à la recherche de Kurtz ? Pour ceux qui se demandent de quelle façon bat le coeur des ténèbres, Kurtz - qui a contemplé le fond de l'abîme de Nietzsche - aura une réponse.

La BD vous apprendra tout, depuis l'acceptation du scénario, en passant par l'aventure aux Philippines, jusqu'à l'aboutissement controversé à Cannes.
Vous saurez pour quelle raison Harvey Keitel ne convenait pas dans le rôle de Willard, avant d'être remplacé par Martin Sheen. Combien de kilomètres de pellicule il a fallu à l'intraitable Coppola avant d'immortaliser les palmiers flambants au napalm et la formation des hélicos prêtés par le dictateur Marcos, dont la femme était une grande admiratrice de Marlon Brando. Vous assisterez à l'arrivée de Marlon, qui mettra Coppola au désespoir : non seulement il n'a pas perdu son charmant embonpoint comme convenu, mais il n'a même pas lu son Conrad, et connaît à peine son rôle. Ce sera Francis Ford qui perdra des kilos (plus de quarante, pour les curieux) : le budget initial maintes fois dépassé, la pression montante, les décors détruits par un typhon, les caprices du charismatique Brando au crâne rasé, qui apprivoise la population locale à l'instar de son personnage. Sans oublier l'infarctus de son acteur principal, dû aux mêmes excès sur le plateau de tournage que sur la pellicule, et surtout la crainte omniprésente... de ne pas trouver sa fin parfaite (est-elle parfaite, d'ailleurs ?), d'y laisser sa famille, sa fortune et sa raison, et de ne pouvoir proposer au public, après tout cela, qu'un pauvre navet esthétisant. Les participants au tournage vont se souvenir d'un réalisateur le plus mégalomane, dépensier, paranoïaque et perfectionniste qui soit.
Son talent l'a sauvé du désastre.
A l'époque où la façon de tourner les films a changé de façon radicale, et où les images numériques remplacent avec succès les litres de sueur produits par l'équipe italienne de Joe Lombardi, affectée aux effets spéciaux d'Apocalypse Now, cette BD gagne encore une valeur supplémentaire - comme témoignage de la gloire passée d'Hollywood.
Je n'ai aucune raison de lui accorder moins que 5/5.
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