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Critique de AgatheDumaurier


La maison dans laquelle est une plongée dans la psyché des enfants et des adolescents, rendue extrême par l'enfermement des protagonistes dans leur pensionnat.
Il ne faut tout d'abord pas croire,impression première et contresens à mon avis, que les jeunes de cet institut sont livrés à eux-mêmes, que les adultes ne font que passer. Ils sont perpétuellement là, professeurs, éducateurs, directeur, et même, on le comprend peu à peu, parents. Ce n'est pas un orphelinat à la Dickens, c'est juste que, dans l'esprit des enfants et des jeunes adolescents, ils ne comptent pas, ils n'existent pas. Seuls importent leur monde, leurs chambres, leurs couloirs, les salles de classes, abandonnées la nuit, la salle des professeurs, tout l'espace leur appartient, la maison leur appartient, dans leur galaxie parallèle, elle est entièrement à eux.
Dans ce monde, nul adulte ne peut pénétrer, et l'irrationnel, la violence, les sentiments forts d'appartenance à un groupe, la colère,la soif de pouvoir, l'amitié indestructible, la loyauté, les allégeances éternelles, l'amour, règnent en maitre sans aucun frein.
Dans ce monde, vous perdez votre identité civile, et vous gagnez un nouveau nom, vous renaissez, pour le meilleur ou pour le pire. Vous étiez Érik Zimmerman ( le seul personnage dont on connaitra l'État civil, il me semble), vous devenez Fumeur. Il y a aussi Sphinx, l'Aveugle, Chacal Tabaqui, ex Putois, Vautour, GrosLard, Sirène, Rousse, Roux, Loup ... à la mode indienne, votre parrain ou marraine vous rebaptise pour votre existence dans ce huis-clos de plus en plus étouffant.
L'auteure nous entraine et nous enferme dans la maison à la suite de Fumeur, projection du lecteur innocent et ignorant dans ce monde étrange, régi par des lois non écrites, au passé lourd et secret.
Comme Fumeur, nous ne comprenons rien, nous découvrons, nous voudrions poser des questions, mais on ne nous répond pas, ou de façon oblique, en mode Pythie de Delphes. Il faut décrypter les messages cachés des anciens, détecter les anciens, les reconnaitre à leurs dix-huit ans par rapport aux flash-backs d'une histoire plus ancienne, où les personnages principaux ( Aveugle, Sphinx, Noiraud, Vautour, Roux, Rousse) étaient des enfants âgés de 5, 6,7 ans occupés à poser les fondements de l'histoire principale.
L'histoire principale est la marche chaotique vers la sortie, vers l'extérieur, le monde réel. C'est là que le récit prend une dimension universelle et initiatique.
Le roman demande au lecteur une immense participation. Il faut du temps pour le lire, on ne peut pas survoler. Toutes les scènes, les dialogues, sont énigmatiques, et demandent interprétation. Car, j'ai oublié de le dire, ces enfants ne sont pas " normaux", ils sont handicapés moteurs, malades, et pour certains très déséquilibrés psychologiquement...D'où cette impression de perte de contrôle par les adultes. Et cela arrive parfois...Mais il faut voir les gonz auxquels ils ont affaire...
Le secret et la folie forment les fondations de la Maison. Les adolescents vivent une Maison qui n'est pas forcément la réalité, mais une projection de leurs fantasmes, voire de leur folie pour certains ( l'aveugle, le Macédonien, Lord...) le lecteur, comme son guide le pauvre Fumeur, doit constamment démêler le vrai du faux, la réalité des contes que l'on se raconte, et la mort omniprésente, due à quoi ?
Les adolescents vivent dans un univers fantastique. À chacun d'essayer de comprendre ce qu'est un Log ( un messager ? Un attardé léger ? ...) un sauteur ( à mon avis, un capable de sauter dans un monde encore plus lointain, qui n'est ni l'extérieur ni la Maison) un tombant ( ça, j'ai pas compris, peut-être un apprenti sauteur qui n'y arrive pas) ...Mais de nombreuses énigmes demeurent.
Le texte est remarquablement bien écrit. Il est d'une pureté granitique. Tout est en focalisation interne, à quelques passages près, et au lecteur de se débrouiller. Pas une trace de mièvrerie, d'incohérence, tout se répond, sans forcément s'expliquer.
Le handicap n'est pas le sujet du livre. Il est une métaphore de nos faiblesses structurelles, et de la capacité que nous aurons ou non de nous fondre, avec notre folie, notre Maison, notre enfance, dans l'extérieur où nous ne serons plus le prince ou la princesse de notre royaume, où nos lois ne seront plus les lois, et nos vassaux et nos seigneurs des gens rangés- ou pas.
Désolée d'avoir été longue, mais c'est un livre remarquable, rare, et sur lequel je n'ai pas dit le quart de ce que j'aurais voulu.
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