Laure, pseudonyme de
Colette Peignot, fille de Georges Peignot célèbre créateur de caractères d'imprimerie, aura une carrière éphémère dans l'écriture comme dans sa vie, courte et tumultueuse. Ce texte très court de 38 pages explose notre âme de cette écriture si poétiquement sombre et glaciale, d'une véracité enchanteresse, une mélopée authentique, si tendre, si douce, si agréable de pouvoir laisser son regard aimanté par ses mots acerbes, bruts, une attraction littéraire incroyablement sulfureuse, comme l'exprime le quatrième de couverture,
Colette Peignot, est un météore dans la vie littéraire. Cette femme aura une vie amoureuse écorchée, sulfureuse, passionnelle, son corps sera le coeur ouvert de ses déchirures, le texte final de son amant, jadis, de
George Bataille ouvre la plaie de la vie sexuelle de sa maitresse, si belle avec ce court texte Vie de Laure, une autopsie amoureuse de sa beauté, de sa fragilité, de ce corps en recherche perpétuel d'amour.
« La beauté de Laure n'apparaissait qu'à ceux qui devinent. Jamais personne ne me parut comme elle, intraitable et pure, ni plus décidément « souveraine », mais en elle rien qui ne soit voué à l'ombre"
Georges Bataille.
Laure ne sera publiée que plus tard, avec l'aide de
George Bataille et de
Michel Leiris, contre l'avis de son frère Charles, à titre posthume,
Colette Peignot trouvera un succès littéraire avec ses écrits manuscrits, le Sacré et d'
Histoire d'une petite fille, en 1939 et 1943, hors commerce, un tirage intimiste. Une nouvelle réédition en 1971, par son neveu, le poète
Jérôme Peignot permettra de mettre en lumière cette femme littéraire tourbillonnante, surtout inconnue.
Histoire d'une petite fille de Laure est un texte d'une jeune femme qui n'oublie pas les prémices de sa jeune vie, un texte brulant, puissant, d'une force cristalline.
« Enfance écrasée sous les lourds voiles de deuil, enfance voleuse d'enfants. »
Ce petit texte de Laure, crie son enfance, cette fille malade, prisonnière de la folie religieuse de sa mère, de cette caste sociale bourgeoise étouffante, de la mort compagne froide et sombre de cette fille, les mots explosent en bouche, la rudesse subit par cet enfant est la prose subtile réaliste, à la saveur poétique de cette jeune fille à l'esprit vagabond et sauvage.
« — Je n'habitais pas la vie mais la mort. »
Laure subit la mort de son père et celui de ces trois oncles lors de la Grande Guerre, une rue portera cette blessure, Rue des Quatre-Frères-Peignot, puis celui de sa jeune cousine, atteinte de la tuberculose, cette maladie rongera la santé de cette jeune fille qui sera le miracle de sa mère, toujours épouse à la dévotion immuable de la religion catholique.
« Ne t'ai-je pas donné la vie une seconde fois ? »
Laure se moque avec beaucoup d'ironie et de vérité des femmes venant pleurer les morts, ce passage est si vivant, si vrai, le sourire naturel vint caresser mes lèvres comme pour accompagner Laure de son regard captant l'insondable, l'invisible mensonger de cette religion ogresse de la misère des autres.
«… C'était du pain béni pour tout un lot de vieilles filles pieuses et inoccupées qui venaient flairer le deuil dans notre maison, …. »
Il y a dans cette prose, une critique froide de la bourgeoisie, cette jeune fille solitaire, de cette caste, regarde les autres avec condescendance, sans comprendre les rouages certains de la société, sa mère forge ce fossé, cette contrainte inutile forge le caractère pure de Laure.
« J'aimais beaucoup la jeune femme de chambre. Un jour, elle me parla de ses espoirs de mariage et de maternité :
— Quand j'aurai un bébé je l'habillerai tout en blanc.
— Tu ne pourras pas puisque tu es pauvre. Son visage s'empourpra.
— Je ne suis pas pauvre, je travaille et mon fiancé est employé au métro. »
De même lorsque la petite fille s'aperçoit de son affection pour un jeune garçon, s'étonnant pour dire.
« Comment pouvait-il être ouvrier puisque je l'aimais bien ? »
Il y a aussi l'horreur des attouchements sexuels subits par la soeur de Laure et elle-même, ainsi que d'autres jeunes filles innocentes par l'abbé, les mots de Laure dénoncent la passivité de leur mère, son dégout de ne pas pouvoir comprendre la situation, de pouvoir en parler….
« J'étais traquée de tous les côtés. À qui parler ? Comment parler ? »
Il y a dans cette coupure, ce sang coulant de l'âme de Laure, ce deuxième prénom de Colette, la plume écarlate écorche une enfance sans joie, juste celle de la nature embrasant les souvenirs avec son père, lui apprenant les fleurs, les oiseaux, cette vie simple qu'elle, enfant ne connait pas.
38 pages venant comme un uppercut vous noircir la beauté de l'enfance, mais aussi éclaircir d'étincelle votre âme littéraire, les mots sont comme des tableaux peints de couleurs des sentiments où chaque mot teinte le regard lucide de cette jeune fille.
Puis, comme une continuité étrange, le texte très court de
Georges Bataille, amant de Colette, Vie de Laure, raconte Laure sexuellement au gré de ses rencontres et amants. La perplexité de ces mots est à l'opposé de Laure, plus raffinée, plus féminine, plus poétique. Il y a comme un déballage pervers de la vie passionnelle de cette femme transpirant l'amour et la vie assassine.
« Mais elle était visiblement la pureté, la fierté même, effacée. »
La guerre lui pèse, Laure comprend, avec stupeur, l'animalité humaine à ne pouvoir vivre que de la guerre, à aimer la mort, le sang pour survivre….
Merci aux éditions du Chemin de fer pour ce bel ouvrage, et pour nous proposer ce texte magistral, pour faire revivre les mots de Laure, cette femme d'amour.