Salomé Parent-Rachdi nous offre une bande dessinée émouvante sur les amours contrariés au coeur de l'intimité de seize hommes et femmes, palestinien.nes et israélien.nes, arabes et juif.ves. Correspondante dans la zone pendant trois ans, la journaliste est le fil rouge de ces récits, le lien vers des témoignages sans tabous qui nous aident à comprendre petit à petit comment la guerre et la religion s'immiscent dans la vie amoureuse et sexuelle.
En préambule, les événements du 7 octobre sont résumés. Puis au téléphone avec son illustrateur Deloupy, elle nous annonce que cette bande dessinée peut faire du bien malgré l'actualité. Que cette bande dessinée est un contre pied à l'actualité…
On suit Salomé, en temps réel, à la rencontre de personnages très différents les uns des autres, qui nous instruisent avec beaucoup d'humilité au détour de leur conversation.
Les thématiques qui se dégagent de ces témoignages sont passionnantes et poussent à la réflexion sur nos privilèges en démontrant que la structure du pouvoir dans laquelle on vit nous influence jusque dans nos lits. Que la religion dicte avec une emprise malsaine le corps des femmes au profit des hommes et parfois de la guerre.
Une bande dessinée très instructive menée avec talent. J'ai particulièrement apprécié le sens du cadrage, le mouvement créé tout au long de ce périple d'interviews. On sent réellement le reportage. Les idées créatives surréalistes sont très bien dosées comme le bateau en papier qui navigue sur une rivière de paperasse pour accentuer la pression des documents demandés par une administration oppressante.
Les illustrations et la mise en couleurs sont trop digitalisées pour moi mais j'ai cependant aimé les petites touches de changements de procédé par moment.
Ce que j'en retiens :
Les gens sont obsédés par les origines en Israël, qu'il y a beaucoup de discrimination et de pressions sur le sexe, que le rapport est quasi schizophrénique entre origine et sexe. Les Palestiniennes ne parlent pas de sexe entre elles, même si elle savent qu'elles sont beaucoup à coucher avant le mariage. Il y a une vraie omerta autour de la sexualité avant le mariage.
La rencontre avec la gynécologue, loubavitch, orthodoxe juive, qui nous apprend que les ultra orthodoxes n'ont pas de mots pour parler de la sexualité. Les jeunes femmes non mariées consultent des éducatrices censées les préparer à la vie conjugale, pour leur parler des hormones, d'anatomie ou encore du déroulement de la nuit de noces. Les femmes ont une pression immense sur leur grossesse, des hommes répudiant encore leurs femmes qui n'enfantent pas. La pilule peut être prescrite avec l'accord du rabbin seulement quand elles allaitent pour éviter un retour de couche et espacer les grossesses ou pour stopper les règles de celles qui ne veulent pas être nidda (impures) le jour de leur mariage car les jours de règle et sept jours après les rapports sexuels sont interdits selon la loi juive (halakha). L'insémination en cabinet est autorisée uniquement si le sperme est celui du mari. Impossible de faire appel à un donneur. Bien que ça évolue pour les orthodoxes modernes, le corps des femmes orthodoxes semblent encore énormément soumises aux jugements et intérêts des hommes et de la religion.
Je découvre la photographe Tanya Habjouqa, moitié texane, moitié jordanienne qui a remporté le prix du World Press Photo en 2014. Selon elle, l'une des conséquences de l'occupation israélienne des territoires palestiniens est le manque d'espace. La colonisation des territoires occupés réduit chaque jour un peu plus l'espace réservé aux Palestiniens et c'est toujours quand les libertés personnelles diminuent y compris celle de se déplacer librement que les gens deviennent réactionnaire. L'occupation s'immisce alors jusque dans la vie privée des gens.
Une activiste féministe, alerte sur la question d'honneur et sur le harcèlement des femmes dans l'espace publique. La société encourage les hommes à un harcèlement en quelque sorte car les peines de crimes d'honneur sont très faibles et les femmes ont très peur d'être jugées, voire tuées. Elles sont conditionnées par la société. Les crimes d'honneur sont effectués autant par la famille que pas la société.
le témoignage de Fathia m'a beaucoup perturbé. On est au coeur de la notion de la « guerre des ventres ». Les femmes de prisonniers se font inséminer. Une fatwa a rendu la pratique religieusement correcte, officiellement la peine de prison du mari doit être suffisamment longue pour que la femme n'ait plus l'âge d'enfanter à sa libération et le couple ne doit pas avoir d'enfant mais les règles sont décidées aux cas par cas. La plupart du temps, les femmes ont bientôt 40 ans ou veulent avoir un troisième enfant. Ces inséminations ne sont pas qu'une histoire de désir d'enfants…pour beaucoup de ces couples, avoir un enfant alors que le mari est en prison est un acte politique qui se veut un affront à l'occupation israélienne.
La société à Gaza est fondée sur la diabolisation de la sexualité, ce qui renforce l'hypocrisie et le danger. Être ouvertement homosexuelle à Gaza signifie la mort. Les crimes d'honneur concernent aussi les homosexuels qui sont tués par leur famille, la justice ne s'en préoccupe pas. Si ce n'est pas la famille qui tue c'est la société. Les rencontres se font sur applications.
Tous les Palestiniens ont un statut de résident, pas de citoyenneté quand ils vivent à Jérusalem.
Jean-Marc est sioniste mais libéral, c'est à dire par exemple qu'il est pour l'accès des femmes aux textes. Les FIV sont gratuites jusqu'à deux enfants. Avoir des enfants a tout prix, est en lien direct avec l'idée qu'il faut recréer la génération effacée par la Shoah. La société israélienne est très religieuse et conservatrice sur certains aspects mais en même temps ultra ouverte sur d'autres.
** Lu dans le cadre du Grand Prix de la BD ELLE
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