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Critique de H-mb


H-mb
10 février 2024
Ce livre de Lahire est un gros pavé de 960 pages pour établir les fondements des sociétés humaines. Il est passionnant et révolutionnaire et j'en ai complètement abandonné mon polar !

L'ouvrage est divisé en trois parties :
1) Critique des sciences sociales (sociologie, ethnologie) qui, aujourd'hui, en sont venues à renoncer au réalisme et prônent un relativisme culturel absolu et donc un statut particulier dans le monde scientifique. A l'inverse, Lahire va poser des principes et des invariants à partir desquels il organise les connaissances acquises. Surtout, il s'appuie sur d'autres disciplines que les sciences sociales, la biologie évolutive, l'éthologie, la paléoanthropologie pour faire un pas de côté et permettre des comparaison inter-espèces qui sont très révélatrices.
2) La deuxième partie "Ce que les sociétés doivent à la longue histoire du vivant" est la plus intéressante à mon avis et montre les grands faits anthropologiques, les lignes de forces et les lois sur lesquels on peut s'appuyer pour comprendre les sociétés. J'y reviendrai.
3) Il étudie enfin un certain nombre de faits sociaux concrets qui illustrent ces lois dans le foisonnement des expressions sociales.

Lahire pose cinq grands faits anthropologiques avec leurs conséquences :
- l'altricialité secondaire i.e. le fait que le nouveau-né humain naisse dans un état d'absolue dépendance vis-à-vis de ses parents et que cela se prolonge pendant plusieurs années. Cet état de fait a d'énormes conséquences : la nécessité d'un groupe parental resserré avec une stabilité relative du groupe familial, la nécessité de prendre soin des enfants et des mères, avec donc le développement de l'altruisme, la nécessité d'une socialisation de l'enfant, l'omniprésence des rapports de domination (parents-enfants d'abord, hommes-femmes ensuite car c'est sur les femmes que repose malgré tout l'essentiel du soin des enfants)
- le fait de la séparation des deux sexes, avec la division du travail reproductif, différenciation sexuée des rôles, différences comportementales et statutaires
- La socialité de l'espèce, due pour une bonne part à l'altricialité
- L'historicité de l'espèce, avec une culture cumulative et la transmission culturelle intergénérationnelle
- La longévité, avec la possibilité d'accumuler des expériences et la possibilité de transmettre ses expériences à deux générations

A partir de ces faits anthropologiques, Lahire relève dix lignes de force qui structurent les sociétés :
- Des moyens de production profondément collectifs
- Des rapports de parenté sous le signe de la dépendance et de la domination, avec un rôle important de socialisation par les parents
- Des rapports hommes-femmes marqués par la division sexuelle du travail et la domination des hommes sur les femmes
- de la socialisation et transmission culturelle
- de la production d'artefacts. La faiblesse physique de l'homme entraîne une compensation culturelle et surtout artefactuelle
- de l'expressivité symbolique, avec le développement relativement autonome du religieux, politique, juridique, esthétique.
- Des rites et des institutions : il existe des rites chez les animaux (parades nuptiales, rituels de réconciliation, de soumission…). Leur fonction est de fixer certains comportements avec les obligations et les sentiments qu'ils impliquent. L'institution est une association de pratiques (rites) et de discours (mythes) et est un puissant moyen de stabilisation des rapports sociaux
- Des rapports de domination : plus la société se différencie, plus les rapports de domination se différencient (notamment la nature de cette domination)
- du magico-religieux qui renvoie aux capacités symboliques de l'être humain. Il a partie liée avec l'immaîtrisable et la conscience de l'impuissance de l'homme
- de la différenciation sociale des fonctions/division sociale du travail : cela entraîne une altricialité tertiaire car les hommes sont dépendants de choses qu'ils n'ont pas fabriquées et ne savent pas fabriquer

Il dégage ensuite presque une vingtaine de lois sociales, qui permettent de voir comment et dans quelle mesure les sociétés humaines varient autour de ces invariants.

Pour reprendre un peu les discussions entamées avec les critiques de 4bis et michel69004, je dirai que "malheureusement", Lahire est très convainquant dans ses argumentations. Je suis très attachée à la nécessité d'avoir recours à la biologie évolutive et à l'éthologie pour savoir d'où l'on part éventuellement, y compris pour des faits qui semblent spécifiques à l'espèce homo - et qui ne le sont pas. Il faut donc faire avec les rapports de domination omniprésents, en particulier hommes-femmes, avec la préférence du nous contre le eux, et autres éléments gênants. Cependant, je pense qu'on peut s'appuyer sur le développement de l'altruisme, autre conséquence de l'altricialité et sur le fait qu'il y a une boucle rétro-active du social/culturel et du biologique. On le voit bien avec les inventions (biberon, lait maternisé, crèches, etc.) qui ont pu permettre un desserrement des rapports de domination hommes-femmes, du moins dans certaines sociétés. Il ne faut donc pas abandonner !
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