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Critique de VincentGloeckler


Et si demain, fruits d'une étrange fusion, les bébés naissaient une feuille au bout du nez ? Si les végétaux, à force d'être taillés et décimés, prenaient leur revanche, en croissant plus vite que tous nos gestes pour les couper et les abattre, en prenant lentement possession de nos corps mutants ? Si ce qui semblait, à l'origine, effrayante épidémie devenait l'aventure d'une métamorphose heureuse, le monde vert imposant dans la douceur ses lois d'harmonie à l'univers gris des hommes ?
C'est cela que conte, et c'est merveille, la bande dessinée « Verts » (Rue de Sèvres, mai 2024) à l'histoire et au texte imaginés par Patrick Lacan, au dessin plein de finesse de Marion Besançon, glissant, au fil des quatre saisons d'une année, des ombres de l'automne au vert lumineux de l'été.
Dans un monde saturé de lignes – quadrillage des rues dans les villes, mailles serrées des réseaux routiers – et de bruits, une petite fille médite au pied d'un arbre géant, isolé dans un parc, et semble forger un pacte avec lui, en caressant le bout de ses branches. Lorsque plus tard elle quitte ce jardin par une ouverture dans le grillage pour rejoindre le monde des rues, l'arbre paraît saisi d'une poussée de fièvre, allongeant comme à l'infini ses racines et ses branches…
Cette ouverture onirique du récit, qui annonce la lente évolution du paysage humain au cours de l'histoire, précède un retour brutal aux réalités du monde urbain. Un père et son fils tentent d'oublier leur chagrin d'avoir une compagne et une mère enfoncée dans le coma à l'hôpital, en se promenant dans les allées d'un hypermarché, environnés d'agressifs messages publicitaires. de retour chez eux, le père s'agace de constater l'excessive croissance d'un pyracantha au-dessus du mur qui sépare leur jardin de celui des voisins. S'emparant de sa tronçonneuse, il entreprend d'en scier les branches, lorsqu'il surprend un bébé dans les bras de la voisine, un enfant que celle-ci s'empresse de cacher en rentrant chez elle. Un nourrisson dont nous observerons bientôt l'étrange beauté… Ailleurs, c'est un couple d'hommes qui s'inquiètent devant leur téléviseur d'un accroissement conséquent et bizarre des végétaux dont font état les informations, accompagné d'une mystérieuse contagion de leurs propriétés aux humains, dont certains se mettraient à bourgeonner, à fleurir. Rapidement, une panique s'empare de la société, et des groupes, armés de taille-haies et de tronçonneuses, se constituent en milices d'auto-défense contre l'envahissement des plantes et l'aberrante transformation qu'elles semblent vouloir imposer à l'espèce humaine… La solution, pourtant, ne sera peut-être pas dans la violence.
« Verts » est une fable fantastique, qui invite à remettre en cause l'absurde prétention de l'humanité à vouloir régenter la nature, plutôt que d'en écouter les leçons d'harmonie. Comme dans « Rousse » ou « Border la bête », deux romans admirables qui, en ce début d'année 2024, imaginaient un monde où l'homme avait disparu ou bien reprenait place raisonnable au milieu des autres vivants, ce livre, sous sa splendide couverture, offre le plus beau des hommages à la modestie. Une vertu à redécouvrir, grâce à une BD pleine de sortilèges ?
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