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Critique de gerardmuller


Éloge de la folie /Érasme (1466-1536)
Bien que né à Rotterdam, c'est en Angleterre qu'Érasme mit la dernière main à cette satire qu'il avait méditée tout au long de ses voyages. Dans l'Éloge de la Folie, il passe en revue toutes les sociétés de son temps et en détaille les vices et les ridicules avec un bon sens de tous les instants. Cette oeuvre, condamnée par la Sorbonne a eu une influence considérable sur la littérature du monde occidental et a été un des catalyseurs de la Réforme, dont Érasme fut un partisan.
L'examen satirique, qui fait constamment référence aux mythes de l'Antiquité, va porter non seulement sur les superstitions et les pratiques pieuses dans l'Église, mais aussi, faisant parler la déesse de la Folie, il développe une critique acerbe non seulement des diverses professions et catégories sociales, notamment les théologiens, les maîtres, les moines et le haut clergé, mais aussi de façon féroce des courtisans.
Malgré tout, il faut bien voir qu'Érasme, ayant conservé toute sa vie un fond de prudence extrême issu de son éducation monacale, avance à pas feutrés et fait montre à fleuret moucheté d'un humour redoutable et bienvenu. Et s'adressant à son ami fidèle Thomas Morus, il déclare que si l'amour-propre ne l'aveugle, il pense qu'il n'est pas tout à fait fou en faisant l'éloge de la folie, et affirme qu'il cherche plus à faire rire qu'à mordre :
« À l'exemple de Juvénal, je ne suis pas descendu dans la sentine des vices pour la remuer, j'ai plutôt passé gaiement en revue les ridicules que les turpitudes. »
Il ridiculise tous ces penseurs et ces sages, les hypocrites stoïciens, qui retenus par une fausse vergogne, se contentent de suborner quelque rhétoricien flagorneur ou quelque poète songe-creux, leur débitant, à beaux deniers comptants, leur panégyrique, autrement dit de gros mensonges !
L'absence de sagesse rend seule la vie agréable a dit Sophocle. Car les dieux les plus austères savent eux-mêmes sacrifier à la Folie ! Diane elle-même, oubliant tout à fait la modestie de son sexe, ne chassait plus rien dans les forêts que le bel Endymion pour qui elle mourait d'amour !
Aux stoïciens cependant, l'auteur concède qu'ils n'ont pas tort quand ils disent que la sagesse consiste à suivre la raison et la folie, au contraire, à suivre ses passions.
Il avoue sans honte mettre en pratique le proverbe populaire qui conseille de se louer soi-même si on ne rencontre personne d'autre pour le faire. Vive l'amour-propre, la flatterie, l'oubli, la paresse, la volupté, la démence, la bonne chère, la fête de la dive bouteille, en bref la Folie ! Rabelais plus tard s'en souviendra !
Évoquant sa naissance, Érasme reconnait qu'elle n'a pas été marquée par des pleurs et que sa vie ne connut que des délices : « car mes lèvres ont pressé le sein de deux nymphes complaisantes, l'ivresse, fille de Bacchus, et l'ignorance, fille de Pan, que vous pouvez voir parmi mes suivantes. »
Et les femmes alors ? « La femme est, il faut l'avouer, un animal inepte et fou, mais au demeurant plaisant et gracieux. » écrit l'auteur., et d'ajouter que ce qui recommande plus particulièrement les femmes aux hommes, c'est leur folie ! « Les hommes permettent tout aux femmes, pourvu qu'elles leur donnent en retour le plaisir ; or, qu'est-ce que le plaisir, sinon la Folie, le source du plus grand plaisir de la vie Sans les plaisirs, l'existence ne saurait échapper à l'ennui. !
Plus loin, Érasme écrit avec malice : « Deux obstacles sont à vaincre : la timidité, qui obscurcit les idées et amoindrit les moyens, et la crainte qui, en exagérant les dangers, détourne des grandes actions. La Folie pare merveilleusement à toutes les deux…Les hommes s'éloignent d'autant plus du bonheur qu'ils possèdent plus de sagesse. »
Plus loin, ce sont les comédiens, les musiciens, les orateurs et les poètes qui sont la cible, de par ce qu'il appelle « leur orgueil, leur jactance et leur morgue qui sont en raison directe de leur ignorance, ce qui ne les empêche pas de trouver chaussure à leurs pieds, car il ne faut jamais oublier, une chose a d'autant plus d'admirateurs qu'elle est inepte. »
« de tous les mortels, la classe la plus folle est sans contredit celle des marchands. le mensonge, le parjure, le vol, la friponnerie, l'imposture, ils mettent tout en oeuvre. » Gloire à eux !
Platon disait que la folie des amants est la plus douce des félicités. Érasme y souscrit en ajoutant par ailleurs que la vie des dévots est une espèce de folie. le passage sur les moines, les évêques, les cardinaux et les papes est des plus savoureux…
La dernière phrase adressée au lecteur : « Adieu donc, applaudissez, vivez en joie, et buvez sec, illustres adeptes de la Folie. » Magnifique !
Un grand texte humaniste et impertinent, d'une grande liberté d'expression, anticonformiste au possible, qui connut un immense succès à l'époque de sa parution, et que l'on lira tel un entremet avec délectation, même si certains passages touchent à l'ennui par leur longueur. Un exercice à haut risque que cet ouvrage provocateur plein d'insolence qui surprit nombre de ses contemporains, en des temps où l'hérésie se voyait condamner durement, temps de schismes et chasse aux sorcières. On peur supposer qu'en demandant l'assentiment de son amis Thomas More qui faisait alors autorité, Érasme cherchait une justification, une protection. Car oser ouvertement s'opposer aux excès mondains d'alors de la religion et de l'Église chrétienne tout en dénonçant le dogmatisme ainsi que le fanatisme religieux de son époque, aurait pu valoir le pire à l'écrivain. D'ailleurs en 1545 lors du Concile de Trente, le livre fut comme l'ensemble de son oeuvre mis à l'index. Cela n'a pas nui à sa popularité, bien au contraire.
On a pu dire à juste raison que ce petit livre subversif écrit en 1509 fut un texte fondateur de l'humanisme européen.






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