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Critique de DianaAuzou


La scène est presque désertique, un intérieur sans meuble, une lumière grisâtre, un personnage dans son fauteuil roulant, couvert d'un drap, un autre qui le découvre et découvre en même temps deux poubelles. C'est tout ce qui reste de quelques vies, le "tout" est rien, et le rien est encore une chose. Hamm est aveugle et immobilisé, Clov, son valet, ne peut pas s'asseoir, mobilité et immobilité, les deux engendrées par la douleur. Nagg et Nell, les parents de Hamm sont cul-de-jatte, enfermés dans des poubelles, ou bien dans leur corps, dans leur âme peut-être ? Tous touchés par un handicap, une impuissance physique et relationnelle, des vivants sans vie.
Fin de partie, fin de jeu, "la fin est dans le commencement et cependant on continue", pas de fin, sans fin, ennui et inutilité. Est-ce l'absurdité de la vie ? Elle nous impose son jeu cynique et pourtant il faut l'accepter et s'y accrocher et continuer. Pourquoi les choses arrivent-elles de telle ou telle manière ? C'est la règle du jeu. On naît pour mourir, et on accumule au cours de l'existence des joies et des peines sans aucune utilité. le but ultime de la vie est-il donc la mort ? Passe-t-on la vie à attendre la fin ?
Rendez-vous du tragique et du douloureux, relation entre le faible et le fort, le dominant et le dominé, c'est ainsi la vie, et Samuel Beckett prend de la distance avec lucidité, se prendre au sérieux c'est enfoncer le clou, vaut mieux en rire.
Fin de partie, créée en 1957, a été écrite en français et puis traduite en anglais par l'auteur lui-même. Une dizaine d'années après la fin de la guerre, le théâtre de l'absurde, le manque de sens qui trouve tout son sens dans des écrits comme ceux de Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Jean-Paul Sartre, Arthur Adamov, Albert Camus.
Beckett, homme intense érudit passionné, était habité par un souffle que ceux qui l'avaient connu appelaient "divin" (Comment c'était, souvenirs sur Samuel Beckett, Anne Atik). "Certains auteurs", disait Anne Atik à Beckett, "écrivent au rythme de leur pouls et de leur respiration", et Beckett de répondre "Dans ce cas, je serais haletant."
Il a rendu dans son oeuvre l'essence humaine même, celle qui accouche du tragique et s'en plaint après.
Son regard, comme celui d'un peintre, cherche la forme, la lumière, le mouvement, l'espace, et son théâtre est essentiellement à regarder, les personnages et leur corps, leurs gestes et mimiques, en silence pour que le silence prenne la place et l'importance qui lui sont dues, essentiel chez Beckett. A la lecture, la didascalie enlève à l'image sa force et aux instants leurs enchaînements et leur cours.
Le langage du corps est réduit à l'essentiel, il parle muet, les mots percutants, ironiques jusqu'au cynisme, s'habillent d'un humour noir, grinçant, proche de la violence. Des mots forts, car "la vie est un alcool fort", selon les propres mots de Christian Bobin.
Multiple crise, celle de l'homme, celle du langage, celle de toute relation humaine qui paralyse et handicape, dans une attente sans fin de quelque chose qui ne vient pas, dans des répétitions sans fin des gestes et des mots qui se cherchent, crise de l'espoir mal nourri en voie de disparition, crise de sens. Profusion de solitude. Dans l'espace qui les cloisonne plus rien ne se passe, ne serait-il leur espace intérieur ?
Mais, nous sommes acteurs, des clowns, et devons faire rire et nous faire rire, et avec de l'outrance.
Minimaliste, Beckett extrait l'essentiel qui, tout nu, franchit difficilement les codes du théâtre classique. Poète sensible et lucide, ciseleur des mots et de leurs rythme et agencement, il peint les âmes et dessine les corps dans l'espace de l'existence avec ce qui leur est propre : souplesse rigide, pause mouvementée, rapidité lente, multitude solitaire, l'un ne va pas sans l'autre, ils se définissent réciproquement, des douceurs violentes, des pleins vides, absurde tout ça ? Non. Juste les oxymores et les paradoxes de notre vie.
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