L'autre jour, ma fille regardait
le Livre de la Jungle de
Walt Disney à la télévision et un
passage m'a incroyablement frappée. Il s'agit, vers la fin du film, du moment où les quatre vautours sont en train de s'ennuyer ferme en ce demandant : « - Et Max, qu'est-ce qu'on va faire ? - Je n'en sais rien, que veux-tu faire ? » et ainsi de suite.
Oui, incroyablement frappée car on croirait cet extrait tout droit sorti d'
En Attendant Godot. Cette pièce dans son entier est une sorte de dilatation à l'extrême de cette scène qui dure trente secondes dans le dessin animé et malheureusement un peu plus ici.
Samuel Beckett y est allé de bon coeur dans ce registre, éveillant au
passage un certain sentiment de vacuité (pour ne
pas dire un sentiment certain !).
Alors voilà,
Beckett nous chante que la vie n'a aucun sens, qu'on
passe son temps à y attendre la mort sans savoir quoi faire ni pourquoi : vivre à deux ? voyager ? avoir du pouvoir ? croire en quelqu'un ? réfléchir ? avoir des richesses ? bref, que tout ça ne rime à rien.
Certes, messire
Beckett, mais cela dit, c'est un peu court jeune homme, il n'y aurait peut être
pas de quoi écrire une thèse, quoique, je vous en sens bien capable au jugé de votre aptitude à délayer le rien avec du rien au fond d'un grand pot à rien.
Mais tu ne comprends rien ma pauvre Nastasia, c'est ça le génie de
Beckett, nous montrer tout le vide contenu dans nos vies, l'absurdité fondamentale de tout et de toute chose. Estragon et Vladimir, avec leur amitié de pacotille, attendent l'heure de leur mort avec un mélange de terreur et de soulagement, Pozzo et Lucky aussi, bien qu'entretenant des relations individuelles très différentes, de type exploiteur-exploité.
Ouais, ouais, ouais, c'est bien beau tout ça, mais ça me rappelle étrangement de vieux souvenirs de musées d'art moderne, de carré blanc sur fond blanc et autres hautes subtilités dans le même genre, auxquelles je reste décidément hermétique.
C'est vrai que dans le premier acte, j'avais tendance à prendre du plaisir à lire ce théâtre très scénique, très « visuel » si j'ose dire. C'est vrai que le propos me paraissait très intéressant mais assez vite, et surtout au deuxième acte, j'ai compris que
Samuel Beckett n'avait absolument plus rien à dire, il faisait son remplissage réglementaire, histoire que la pièce ait un format acceptable, car cinq pages aurait fait un peu frugal.
Ce n'est
pas mal fait et il fallait que quelqu'un le fasse dans l'évolution naturelle de l'histoire de l'art dramatique, un peu comme le carré blanc sur fond blanc de Malevitch et les merdes d'artiste de Manzoni, un peu comme
Peter Handke et son Outrage Au Public, mais bon, vous dire que ça étanche la soif, quand on a vraiment soif, je ne sais
pas, c'est à vous de voir… D'ailleurs, ceci n'est
pas une pomme, ce n'est que mon avis, un tout p'tit avis de rien, c'est-à-dire,
pas grand-chose, messieurs, dames.