AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kirzy


Voilà très exactement le genre de roman que j'adore lire lors des grandes vacances d'été ! Les Déracinés est un de ces romans qui a le charme et le souffle des grandes sagas populaires, accessible à tous les lecteurs qui ont envie de se laisser entraîner sur les traces de personnages forts, amenés à traverser le tragique de l'Histoire. Si l'écriture, fluide et soignée au demeurant, manque de créativité et d'intensité, ce n'est finalement que pour mieux accompagner un récit qui, lui, en regorge.

J'ai été immédiatement embarquée dans le destin du couple charismatique Almah / Wil que l'on suit de 1921 à 1961 : elle, riche héritière, future dentiste, lui journaliste critique d'art, ils vivent une histoire d'amour flamboyante, d'autant plus vibrante qu'elle se déroule dans le contexte terrible des années 1930-40, et qu'ils sont juifs autrichiens.

Les talents de conteuse de Catherine Bardon sont évidents. Elle a l'intelligence du dosage subtil romanesque individuel / contexte historique collectif. Toute l'histoire des Juifs vivant dans le Grand Reich est brillamment restituée, sans lourdeur, parfaitement intégrée aux destins d'Almah et Wil : montée de l'antisémitisme, à partir de l'arrivée au pouvoir de Hitler, Anschluss ( annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie en 1938 ), persécutions antisémites culminant dans la Nuit de Cristal, immigration massive de la population juive européenne, mise en place de la Shoah.

Surtout, en en faisant son coeur, ce roman dévoile un épisode méconnu de la Deuxième Guerre mondiale : comment la République dominicaine devint une terre d'asile offrant 100.000 visas à des juifs européens, son dictateur Trujillo étant motivé par des intérêts géopolitiques et économiques plus que philanthropiques : restaurer son image après les massacres de milliers d'Haïtiens en 1937, relancer l'économie de l'île, « blanchir » sa population, tout cela sous le regard bienveillant des Etats-Unis. Au final 650 visas seront distribués : la colonie de Sosua se développera comme une communauté agricole de type kibboutz.

Cet incroyable épisode m'a rappelé le très beau roman de Louis-Philippe Dalembert, Avant que les ombres s'effacent, construit autour du décret de naturalisation voté par l'Etat haïtien autorisant ses consulats à délivrer, non pas des visas, mais carrément des passeports à des centaines de juifs fuyant le nazisme.

A partir de cette trame historique très forte, le roman fait la part belle aux enjeux à hauteur d'hommes et de femmes avec une force d'évocation assez enthousiasmante. Difficile d'oublier Almah, Wil et tous les autres personnages. Il y a beaucoup d'ampleur à les voir évoluer dans le chaos de l'histoire, des cafés viennois à la colonie ingrate de Sosua, en passant par les camps de réfugiés suisses, le Portugal ou le jeune Etat israélien, à mesurer toute la richesse des relations humaines dans l'adversité. On vibre avec eux autour de la question centrale de l'identité du déraciné : comment réinventer sa vie dans les épreuves et se mesurer face à soi au fil des amours, des amitiés, des drames et des rencontres ?

Une fresque très prenante que je compte bien poursuivre avec le deuxième volet : L'Américaine, centrée sur Ruth, la fille d'Almah et Wil, à New-York de 1961 à 1967. Je m'en délecte par avance.
Commenter  J’apprécie          14512



Ont apprécié cette critique (120)voir plus




{* *}