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Critique de karmax211


Il est très rare que je commence la présentation d'une de mes lectures par des remerciements, mais une fois n'est pas coutume.
Il est sur Babelio une lectrice et une critique très prolifique qui, lorsque vous avez le privilège de pouvoir consulter sa page et ses mises en ligne, vous donne accès à des livres et à des auteurs de qualité.
Vous n'avez que l'embarras de vos goûts, et cette personne dont le pseudo est Kirzy, les bouscule, remet quelquefois mon agenda de lecteur en question.
C'est donc avec estime et reconnaissance que je remercie Kirzy d'avoir suscité chez moi la pressante curiosité de découvrir qui et quoi se cachaient derrière - Friday Black - et Nana Kwame Adjei-Brenyah.
J'ai eu ces dernières années, comme beaucoup d'entre vous, des coups de coeur pour de "jeunes" auteurs américains, au rang desquels je place au tout premier plan Jesmyn Ward et Ta-Nehisi-Coates.
Adjei-Brenyah, cadet de ces déjà grands noms de la littérature américaine, appartient à ceux dont René Char aurait pu dire qu'ils méritent égards et patience parce qu'ils ne sont pas venus au monde pour ne rien troubler... au contraire !
S'il est un genre dans lequel beaucoup d'auteurs trouvent confort et une certaine forme de tranquillité, c'est la nouvelle.
Que n'a-t-on pas essayé depuis que ledit genre existe ?
Tout et rien en fait... sauf de la (le) sortir de son ronron au coin du feu pour en faire une arme massivement désarmante, massivement dérangeante.
Adjei-Brenyah est assurément l'auteur, le nouvelliste qui ringardise beaucoup de ceux qui avaient oublié que la nouvelle s'empoussiérait à force de lui refuser ce à quoi elle aspirait depuis longtemps : le renouveau.
- Friday Black -, c'est ou ce sont douze nouvelles qui font voler en éclats les codes, les conventions, le ronron.
Ce sont douze histoires que je qualifierais de dystopies réalistes, de fictions fantastiques lucides et glaçantes... dont les deux thèmes majeurs, prédominants sont la déshumanisation de notre monde et son corollaire la violence.
Un recueil de nouvelles, lecteurs et auteurs le savent, a parmi ses caractéristiques, l'inégaliqualité des textes.
Peu de recueils, vous pouvez vous référer aux 200 nouvelles De Maupassant ou aux quelques dizaines de Francis Scott Fitzgerald dans un recueil comme - Un diamant gros comme le Ritz, peu d'entre eux n'hébergent que des pépites.
Il y an d'excellentes et... de moins excellentes.
Dans - Friday Black -, ma préférence est allée ( l'ordre n'est pas, lui, préférentiel ) à :
- Les 5 de Finkelstein -, un massacre à la tronçonneuse perpétrée sur cinq enfants noirs par un blanc qui s'est senti menacé... par leur simple présence.
La justice va évidemment prendre parti pour...
Avec une maestria narrative bluffante, Adjei-Brenyah jongle avec l'absurde jusqu'à la nausée.
Vous savez que ce n'est pas vrai, qu'on ne peut pas aller jusque-là, et pourtant... vous pensez à ces gosses dont un flic crible leur dos de balles et l'acquittement du flic qui s'ensuit... et vous vous vous surprenez à vous dire que l'incroyable, l'impensable épouvante... est presque à nos portes.
- Lark Street - m'a profondément remué.
Un homme jeune assoupi est réveillé par deux mini êtres, deux tout petits foetus qui l'appellent "papa", l'interpellent et le questionnent : pourquoi, comment... est maman ? Quel aurait été notre avenir ?
Ce n'est évidemment pas une remise en cause du droit à l'avortement, mais les dérives, la désinvolture avec lesquelles la société s'en est emparée et la banalisation subséquente.
- Zimmerland - est un parc d'attractions où, sous prétexte de psychologisation à bon marché, on fait du business en offrant aux blancs, enfants comme adultes, de tuer du noir synonyme de menace.
- Friday Black -, frère jumeau de ce que risque de devenir le Black Friday *
Pour mémoire : "Aux États-Unis et au Canada, le Black Friday, littéralement le Vendredi noir, parfois traduit par Vendredi fou, est un évènement commercial d'une journée qui se déroule le vendredi suivant la fête de Thanksgiving (le quatrième jeudi du mois de novembre). Ce vendredi marque traditionnellement le coup d'envoi de la période des achats des fêtes de fin d'année. Plusieurs commerçants profitent de ce moment pour proposer des remises importantes, mais les modalités sont contestées.
En 2015, 67,6 milliards de dollars ont été dépensés aux États-Unis au cours du week-end du Black Friday, une somme en augmentation quasi constante depuis 2005, ce qui en fait le jour le plus lucratif pour les commerces de ce pays. Les consommateurs américains ont effectué 100 millions de déplacements dans des commerces le vendredi même4. Cet évènement commercial s'est depuis propagé hors du continent américain, pour arriver notamment sur le continent européen dans les années 2010 où il est de plus en plus mis en avant par les diverses enseignes commerciales.
En réaction à ce qui est dénoncé comme un évènement poussant à la surconsommation, divers acteurs (comme Youth for Climate et Extinction Rebellion) ont mis en place des actions pour s'opposer au Black Friday."
Friday Black pousse ce surconsumérisme jusqu'aux limites de sa logique : tuer et être prêt à tuer pour obtenir à moindre coût le dernier écran plat de vos rêves ou les fringues dernier cri...
Comme au Colisée, les munera tombés au champ du déshonneur capitaliste, sont ramassés par des tractopelles et empilés dans un coin du grand complexe commercial. Pas même le temps de la sciure que la deuxième vague des nouveaux gladiateurs du Grand Marché laissent leurs instincts et leurs pulsions se ruer sur les objets idolâtrés de leur convoitise et de leur avidité.
Si Adjei-Brenyah n'est pas à proprement parler un styliste, son écriture est vive, brûlante, tranchante, imaginative, authentique, lucide, déstabilisante et percutante.
La structure narrative de ses textes ne souffre d'aucune faiblesse.
Un recueil grâce auquel, en grossissant le trait, en le noircissant, en déraisonnant par l'absurde, le lecteur peut entrevoir ce vers quoi le monde dans lequel il vient d'entrer, l'entraîne inexorablement.
Ce jeune homme fait, lui, une entrée remarquable dans les élites de la littérature contemporaine.
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