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Citation de MegGomar


Au cours d’une enquête menée au Royaume-Uni dans les années
1990, Wendy Langford s’est entretenue de manière approfondie avec une quinzaine de femmes hétérosexuelles (issues de la classe ouvrière ou de la classe moyenne) au sujet de leur vie amoureuse69. Elle s’est aperçue que le parcours de beaucoup d’entre elles suivait le même schéma. La rencontre, le fait de tomber amoureux sont vécus par les deux partenaires comme une
« révolution ». Sous l’effet du coup de foudre, chacun semble s’affranchir des limitations imposées par son conditionnement de genre : les femmes se montrent audacieuses, indépendantes, sûres d’elles, capables de déplacer des montagnes, tandis que les hommes n’ont pas peur de s’ouvrir, de se montrer à nu et de parler de leurs sentiments – « Il n’est pas comme les autres hommes », s’émerveillent alors leurs compagnes. Toutefois, même si
les amoureux connaissent durant cette période un bonheur intense et des évolutions personnelles spectaculaires, bien souvent, la félicité éternelle à laquelle ils s’étaient crus promis n’advient pas. Le miracle se révèle terriblement fragile. La femme s’est senti pousser des ailes, elle a eu l’impression de n’avoir besoin de personne, de pouvoir tout faire toute seule, mais elle devait ce sentiment, paradoxalement, au regard valorisant
qu’un homme posait sur elle. Admiratif de sa personnalité intrépide, cet homme s’aperçoit bientôt qu’elle a néanmoins des demandes affectives à son égard. Effrayé, il se ferme alors complètement. Le conditionnement de genre dont tous deux s’étaient délivrés au cours de cette parenthèse enchantée leur retombe lourdement sur les épaules. À la « révolution » de
l’amour, avec sa grande « libération d’énergies réprimées », succède une « contre-révolution ». Quand le couple n’éclate pas, il s’installe dans une routine d’où le partage et la communication sont absents. La femme, ne voulant pas renoncer au bonheur qu’elle a connu, s’obstine à réclamer à l’homme l’intimité qu’il lui
a accordée au début : « Je sais qu’il y a en lui un homme plus profond, plus aimant », se désespère par exemple Kate. Mais, plus elle insiste, plus il panique et se barricade dans sa forteresse. Cet homme mutique n’est pas l’homme au comportement orageux que nous avons vu au chapitre précédent (même s’il peut dans certains cas finir par se montrer violent, lui aussi), mais il n’en cause pas moins une grande souffrance. À travers son retrait et son silence, il exerce un pouvoir redoutable. Déstabilisée, sa
compagne se remet en question. Elle cherche à rectifier sa personnalité de manière à obtenir à nouveau l’approbation qui l’a rendue si heureuse. Elle s’« auto-objectifie », comme l’écrit Wendy Langford, c’est-à-dire qu’elle tente de se voir de l’extérieur, de son point de vue à lui, pour comprendre ce qu’elle fait de faux. Ses insécurités, que la rencontre amoureuse avait fait taire, sont réactivées et même renforcées. Paradoxalement, dans l’espoir de
retrouver la précieuse reconnaissance de son individualité que cet homme lui avait offerte, elle contrefait et renie son individualité. Elle en vient à taire les sentiments ou les désirs dont elle craint qu’ils déplaisent à son compagnon. Elle se « réduit elle-même au silence ». Elle s’épuise aussi à déchiffrer son attitude à lui, à interpréter le moindre signe qu’il lui donne, à tenter de comprendre ses dispositions ; elle en discute parfois pendant des
heures avec son entourage (en général féminin). Elle se perd en conjectures, jusqu’à l’oubli d’elle-même. Pour tenter de contrebalancer la tristesse et la frustration profondes que
cette situation lui cause – certaines tombent en dépression –, elle trouve refuge dans le maternage : elle prend en charge la logistique du foyer, le soin des enfants quand il y en a, le budget, l’organisation du quotidien, des loisirs, des vacances... Face à Wendy Langford, certaines affichent un plaisir revanchard, teinté d’amertume, à se sentir ainsi compétentes, adultes. Elles décrivent avec mépris la nullité de leur compagnon, son infantilisme : « C’est comme si j’avais trois enfants, sauf qu’il y en a un qui va au travail et deux qui n’y vont pas », lance Diane. Elles en viennent même parfois à en conclure que ce sont elles qui détiennent le pouvoir au sein de leur couple – ce qui semble douteux, puisque leurs conjoints les maltraitent émotionnellement tout en bénéficiant des innombrables services qu’elles leur rendent. Ce sentiment de pouvoir n’est toutefois qu’une consolation
dérisoire pour ce qu’une de ces femmes décrit comme l’«écrasement de sa personnalité ». Même le sexe finit par leur apparaître comme un « devoir maternel », une tâche domestique de plus. « Autrefois, résume Wendy Langford, l’amour semblait un projet partagé, avec des buts communs, mais maintenant, l’héroïne se retrouve à décider quoi mettre dans le sandwich du héros, tandis qu’il s’intéresse davantage à son ordinateur qu’à elle. » Ce type de vie commune, où les conjoints ne font que se côtoyer, hérissés de ressentiment, chacun enfermé dans la prison de son rôle de genre, apparaît très répandu.
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