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Critiques de Louis Aragon (368)
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Aurélien

« Aurélien » est un roman d'amour mais il est surtout un roman sur l'amour et les difficultés d'aimer. Sur l'amour impossible.

Dans le Paris des années vingt, encore meurtri par la première guerre mondiale, baigné dans une ambiance artistique (Montmartre, des peintres comme Picasso, Monet, des écrivains, des musiciens et le jazz), autour de la relation principale entre Aurélien et Bérénice, d'autres personnages vont se croiser, s'aimer, se désaimer.

C'est pour Aragon l'occasion dans ce roman de nous faire nous interroger sur ce que c'est qu'« aimer », sur ce qui fait qu'on est et/ou qu'on tombe amoureux.

Qu'est ce qui nous fait nous éprendre de quelqu'un plutôt que d'un autre ? Avec cette conscience des défauts (beauté, caractères, différence sociale) de cet autre qui ne nous auraient pas attirés normalement, de manière rationnelle ? Mais l'amour, bien sûr, n'est pas rationnel car ''l'amour a ses raisons que la raison ignore''.

Se laisse-t-on croire qu'on aime l'autre alors que ce n'est peut-être que le besoin de ressentir une émotion, l'envie d'aimer ? Aime-t-on l'autre juste parce qu'on a envie d'être aimé(e) en retour ? Aime-t-on l'image que l'on se fait de l'autre, ce qu'il représente à nos yeux et non pas ce qu'il est véritablement ? (la cristallisation de Stendhal : ''en un mot, il suffit de penser à une perfection pour la voir dans ce qu'on aime''.)

Par l'entremise de la relation entre Aurélien et Bérénice, Louis Aragon nous expose tout le cheminement amoureux, décortiquant les étapes, les paliers, et analyse avec justesse tous les sentiments et actes qui peuvent en découler. de la naissance de l'amour, de ces moments de bien-être, de félicité aux pires souffrances.

La première fois qu'Aurélien voit Bérénice, il n'y prête presque pas garde, la trouvant mal apprêtée, provinciale, peu jolie. La construction de cet amour n'est donc pas ici « telle une évidence », induite par une attirance physique classique. Plus complexe ou retors, c'est son entourage qui sera le déclencheur de son attention pour elle : son ami, Edmond, avec qui il a fait la guerre, lui parle de Bérénice -sa cousine- et lui fait maintes fois sous-entendre (pour servir ses propres intérêts) que celle-ci est attirée par lui, et fait germer ainsi son intérêt pour elle, telle une chrysalide qui, peu à peu, va se transformer en véritable passion. Sans parler peut-être aussi d'une sorte de défi personnel de se faire aimer d'une femme mariée.

Tout l'amour avec un grand A et ses variantes sont présents, interprétés par les différents personnages du roman : la femme qui n'est plus dans la fleur de l'âge et qui cherche encore à séduire. La femme fatale. Le mari infidèle qui reste avec sa femme pour son argent ou le statut social. Celle qui aime l'autre parce que celui-ci la repousse ou ne l'aime pas (''Fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis''). Le désir physique avec les filles de joie. L'asservissement ou l'acceptation des infidélités du conjoint, jusqu'à s'en faire mépriser (le mari médecin de Rose Melrose ou encore le mari pharmacien de Bérénice). L'amour interdit (avec Bérénice).

Ce roman n'est pas un roman à l'eau de rose, les deux personnages principaux ne sont pas forcément ni beaux ni sans défauts. Et ils ne se marièrent pas et n'eurent pas beaucoup d'enfants.

Parce que, si Aragon nous montre les instants de bonheur : les étincelles dans les yeux, le sourire aux lèvres toute la journée, les petits papillons dans le ventre (Ahhh, ''vertige de l'amour'')…, il sait tout autant nous rappeler, si besoin est, qu'il y a tous les autres moments plus douloureux, toutes les affres quasi obligatoires autour de l'amour.

Celui qui rend jaloux. Celui qui rend fou (''Aimer à perdre la raison...''). Cette passion vécue qui fait mal, qui nous malmène, nous enferme, nous plonge dans la tristesse et la dépression. Ces lieux où l'on erre dans l'espoir de croiser l'être aimé. Cette envie de mourir pour l'absence de l'autre, du non-amour de l'autre. Cette attente perpétuelle d'un message, d'un appel, d'une entrevue. le silence qui ronge.

L'auteur décrypte aussi tous les effets, les causes et conséquences : les émois, les emballements, les égarements, les actes manqués, les quiproquos, les mensonges qu'on dit même pour plaire à l'autre, les attentes, les bleus à l'âme, les états d'âme, les mille réflexions qu'on se ressasse, les tourments, les accès de rage, les excès de violence, les vengeances, les espoirs, les actions dans lesquelles on se jette pour fuir et oublier l'autre… et quelques retrouvailles.

L'amour dans tous ses états. L'amour et tous ses sortilèges.

Aragon n'est pas toujours tendre avec ses personnages comme l'amour ne l'est pas toujours. Il nous les présente sous un éclairage parfois trop cru tels que nous sommes, quelquefois menteurs, calculateurs, pas forcément désirables ou attirants.

Certes, j'ai trouvé certains passages un peu longs et peut-être inutiles. Mais, Aragon n'est pas seulement un merveilleux poète, c'est aussi un auteur qui nous narre et décrit parfaitement les relations amoureuses et on sait bien, même en ce jour un peu spécial, que ''les histoires d'amour finissent mal, en général''. Même après sa rencontre avec Elsa, considère-t-il toujours qu' ''il n'y a pas d'amour heureux'' ?

Personnellement, Aragon m'a fait revivre certaines de mes relations, par des flashs, pour un simple mot, pour un simple état lié à l'amour.

Mais, plutôt que d'en ressasser encore les imperfections, les erreurs et les peines, parce qu'à force d'avoir répété sans cesse le mot « amour », j'ai envie de finir ce billet par une note plus naïve et inconsciente, par un oubli de la raison et du discernement. Se laisser aller, accepter de lâcher prise, s'ouvrir à l'autre, se laisser emporter, vibrer, ressentir, jusqu'à en oublier tous les risques et souffrances encourus, parce que ''la vie ne vaut d'être vécue sans amour''…

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Aurélien

En fait, l'histoire d'Aurélien se résume en quelques phrases : Aurélien voit Bérénice. Il la trouve laide. Puis, tout à coup, alchimie amoureuse aidant, il l'aime. Bérénice l'aime aussi. Peut-être ! sans doute ! Quoi qu'il en soit, ils ne se trouveront pas et se sépareront. Et se retrouveront brièvement dix-huit ans plus tard, séparés définitivement par la mort.

Et voilà ! Tout est dit.

N'importe quel écrivaillon d'aujourd'hui torchera la chose en cent ou deux cents pages, avec sujet, verbe, complément (pas trop long le complément, hein, car, autrement, cela devient incompréhensible !). J'ai lu par-ci par là que le style d'Aragon a un peu vieilli ! mais quels sont les énergumènes décérébrés qui peuvent s'exprimer ainsi !

Applaudissez cette prose magnifique et prosternez-vous devant ces grands écrivains, capables de vous transporter dans un ailleurs, qui, pendant les quelques heures ou quelques jours que vous passerez en leur compagnie sauront vous embarquer dans une fiction dont vous ne reviendrez pas indemne !

Acceptez de vous jeter, corps et âme , dans les délices enchantées de la belle langue, à la portée de tous, à la portée de tous ceux qui veulent se laisser bercer par la beauté des mots, des images ...

Aurélien .... mais c'est un poème en prose !



Aragon, lui, en a fait son chef d'œuvre ! 700 ou 800 pages (cela dépend des éditions) d'une somptuosité sans pareille ! une écriture d'une finesse exceptionnelle, une étude brillante des sentiments avec analyse du goût de l'absolu, cet acmé de l'amour !

Et cette immersion dans les années vingt, années de folie, pour oublier l'horreur de la grande guerre, pour inventer un nouvel univers, pour se saouler de nouveautés ! Ah, cette éclosion de fantaisie, de talents, de folie, dans ces années vingt, remarquablement évoquées par Aragon.

Ce qui m'a fait penser au superbe film de Woody Allen : Minuit à Paris ! A-t-il lu Aurélien ? on pourrait le croire tant l'ambiance imaginée dans le film semble proche de ce que Aragon a si remarquablement retranscrit avec sa plume inspirée !

Et c'est vrai que tout y est ! déraison, fantaisie, passion dévorante, tourments et toutes les affres du désespoir d'amour !

Aurélien ! un chef d'oeuvre intemporel ! A lire hier, aujourd'hui et dans cent ans !
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Aurélien

Je suis de ceux qui sont venus à la rencontre d'Aragon à travers certains de ces poèmes que j'ai tout d'abord découverts par l'intermédiaire d'autres artistes. Brassens façon sobre, Lavilliers façon musclée, mais aussi par le timbre charnel de la voix de Nina Simone. Chacun d'eux a mis en lumière avec son âme, en particulier un poème d'Aragon que j'aime par-dessus tout. Longtemps pour moi, Aragon fut celui qui clamait : « Il n'y a pas d'amour heureux ». Ce fut ainsi que j'ai découvert et aimé sa poésie, ses engagements, ses combats, sa résistance. Je ne connaissais pas la dimension romanesque d'Aragon. Un poète qu'on admire peut nous décevoir en tant que romancier, l'inverse aussi d'ailleurs.

Je vous livre ici l'incipit de ce roman, histoire de vous donner le décor : « La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide ». On ne peut pas rêver meilleure introduction au désir et à l'amour. Quand je lis cela pour la première fois, d'emblée j'adore.

La beauté cachée des laids, des laids...

Aurélien revient de la guerre de 1914-1918, cette guerre horrible sera longtemps encore là tapie dans le bruit des pages, sous sa poitrine aussi. Aurélien a la chance de revenir vivant, entier, son corps est intact, Aurélien n'a aucune blessure, du moins elles ne sont pas apparentes... Comment revenir indemne d'un charnier immonde ?! La guerre vécue de près peut-elle façonner la vision qu'un homme a du sentiment amoureux ?

Aurélien est jeune, rentier, veut s'offrir à l'amour, à la vie. Il habite à Paris, au coeur de Paris, au milieu de la Seine, sur une île. Ah ! Paris ! J'ai déambulé avec un plaisir inouï dans les rues de Paname, ces pages sont emplies de l'âme et de la magie de cette ville décrite avec une infinie mélancolie, quartiers perdus, folles nuits d'ivresse, les quais de la Seine qui deviennent des carrefours entre les rues et les eaux, les remous du fleuve qui charrient l'ombre de la ville, sa boue, sa nostalgie, des morts aussi, ceux qui s'y jettent un soir de désespoir... Les pages de ce roman sont une si belle et douloureuse déambulation...

T'en souviens-tu la Seine ?

Puis vient l'amour, ou plutôt le désir amoureux, ce qui est différent. Cette nuance subtile est justement importante pour comprendre la force du roman, c'est un roman habité par l'amour, le désir, la joie, la jubilation, les désillusions aussi forcément puisqu'on parle d'amour ici. La mort peut-être en filigrane, puisqu'on passe du versant d'une guerre à celui d'une autre... Mais il n'y a pas que les guerres qui enlèvent les vies. La vie amoureuse est dangereuse aussi...

Et c'est la rencontre avec Bérénice, mariée à un pharmacien de province, elle est de passage dans la capitale.

Amateurs des coups de foudre, des coups de grisou et des déflagrations amoureuses, ce livre n'est peut-être pas pour vous. Ici tout est lent, s'étend dans la longueur des pages. Mais ce n'est jamais ennuyeux. C'est un voyage sentimental en eau profonde.

J'ai été un peu déstabilisé par les premières pages car je ne saisissais pas du tout où l'auteur cherchait à m'entraîner, mais j'ai compris plus tard qu'il ne cherchait nullement à m'entraîner à un endroit particulier. C'est alors que j'ai lâché prise sur un texte formidablement beau, qui m'a envouté et m'a emporté comme une vague durant ses presque six cents pages.

Le charme et la force de ce roman est de donner une existence au lecteur amoureux que nous sommes. A priori il ne se passe quasiment rien durant ces six cents pages, je veux dire il ne se passe rien sous l'angle du schéma romanesque classique, sous l'angle sensuel, charnel, sexuel, de deux corps qui chavirent, qui s'étreignent, qui brûlent ensemble. Pourtant j'ai trouvé ces pages incandescentes, belles, cruelles, dévastatrices.

Et que c'est beau !

Jean Paulhan, un écrivain, critique et éditeur proche d'Aragon écrivit lors de la publication du roman ces mots grossiers : « Six cents pages pour qu'il n'arrive rien, qu'il la saute et qu'on n'en parle plus ». Ah ! L'élégance des hommes de l'art...

Aurélien est un roman sur les embarras, les pièges et les malheurs de l'amour, sur le désarroi, les folles illusions, la jalousie, les abîmes vertigineux, les bifurcations.

Vertiges de l'amour...

Pour leur malheur à tous les deux, Aurélien et Bérénice visent sans doute dans leur amour quelque chose de plus grand qu'eux, de trop abouti, de trop idéal, de trop absolu, malgré le désir qu'ils ont l'un pour l'autre. La beauté de cette rencontre est qu'ils partagent cette vision du même idéal amoureux, en quelque sorte, c'est bête, mais cela dès lors complique le chemin de l'un vers l'autre...

Ici c'est la confrontation entre l'idéal et le réel. Il la trouve franchement laide, il en tombe cependant amoureux et il n'y peut rien. J'ai trouvé que cet aspect rattachait ce roman au réel de nos vies et le rendait sans doute si attachant.

Les histoires d'amour finissent mal, en général...

Ne vous êtes-vous jamais demandé ce qu'il adviendrait de toutes ces histoires d'amour de la littérature classique si jamais pour notre plus grand malheur de lecteur elles avaient bien fini ? Et d'un point de vue romanesque, ce que l'on pourrait écrire, en tirer, en retenir ? Emma Bovary, Julien Sorel, Anna Karénine... Tant d'autres...

Pour moi, Bérénice est loin d'être laide, je pense qu'elle est même belle, mais cela est un point de vue personnel.

Aurélien, personnage à la dérive, n'est peut-être jamais vraiment sorti de la guerre.

Et nous autres, pauvres et heureux lecteurs, nous avons cette joie inouïe de côtoyer des textes intemporels, qui parlent de la vie, de l'amour, de la mort, comme si ces choses sacrées étaient ce qui nous fait tenir debout absolument.

« Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force

Ni sa faiblesse ni son coeur, et quand il croit

Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix

Et quand il croit serrer son bonheur il le broie

Sa vie est un étrange et douloureux divorce

Il n'y a pas d'amour heureux ».

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Les Beaux Quartiers

Qu’a pu penser André Breton d’un tel ouvrage ? Lui qui appelait ses condisciples surréalistes à bannir le roman de leur esprit, Aragon, le plus fidèle d’entre eux, veut désormais écrire “le monde réel”. Il aurait très bien pu choisir la forme d’avant garde, à l’image des faux-monnayeurs de Gide, mais Louis Aragon a choisi le roman classique.



Classique dans la forme comme sur le fond, un roman dans la veine de Stendhal, avec son ironie à l’attention du lecteur, de Zola, avec son ancrage dans le réel, dans la sociologie des personnages, de Balzac et sa galerie de portraits facultatifs destinés à “doubler l’état civil”, de Flaubert, les deux figures principales de ce roman, à l’image de l’antihéros de l’Education Sentimentale, vivent un parcours initiatique à Paris. Peut-être même que Louis Aragon est le cadet des classiques. Le dernier grand auteur classique français.



Le roman, prix Renaudot, parait en 1936, l’année du Front Populaire, mais les évènements relatés se déroulent avant 1914.



Le roman ne débute pas dans ces « beaux quartiers » de l’ouest parisien où la bourgeoisie se réfugie loin des fumées d’usines de l’est de la capitale, usines qu’elle possède mais dont, dans sa mansuétude, elle ne daigne pas disputer la promiscuité des pollutions à sa main d’œuvre ouvrière.



Aragon invente dans la première partie une sous-préfecture, “Sérianne”, et restaure pour son lecteur l’atmosphère d’une ville moyenne du midi au début du siècle. Les chapitres nombreux et le foisonnement des caractères peuvent quelque peu décontenancer le lecteur qui ne sait plus quel lièvre chasser.



« C’est drôle comme, au fond, nous avons plus que nous le croyons les idées mêmes de nos parents ». Mais progressivement, par un effet d’entonnoir les figures des frères Barbentane (petite ville du midi qui inspira peut-être à Aragon ce patronyme) se distinguent nettement comme les personnages principaux du roman.

Une fratrie, deux caractères, et deux destins dissemblables. “D’abord à ton âge on ne flanque pas de l’argent aux femmes, on en reçoit”. Edmond l’étudiant en médecine, le bel ami de la rue Royer Collard, parfois entretenu par certaines maitresses fait immanquablement penser aux jeunes années d’Aragon, passé par les bancs de la faculté de médecine lui-même, on l’imagine, étudiant parisien découvrant, comme Edmond, la liberté et sachant « qu’il pouvait ne pas dîner, personne ne l’attendait. Il était merveilleusement seul ». Autre analogie, on sait qu’il fut entretenu par de riches compagnes comme Nancy Cunard.

« Il avait rompu avec le monde des siens, où le travail est un déshonneur, tout au moins le vrai travail, celui des bras, celui des mains ». Sous les traits d’Armand, le jeune frère, c’est davantage la prise de conscience d’une lutte des classes par un jeune bourgeois, qui peut faire penser à l’écrivain communiste, ou encore l’attrait pour le monde des arts et du sensible.



Certains personnages secondaires ont tout de même retenu mon attention, je pense à la très belle description du feu qui s’empare du bas ventre de la pauvre Jacqueline Barrel, déroutant de réalisme sur le désir d’une jeune femme versus la morale de son temps, mais aussi le destin de la jeune Angélique dans la première partie qui arrache le cœur, « de tout cela seulement se dégageait le sentiment d’une monstrueuse injustice, d’une injustice triomphante et sans corps saisissable, à la merci de laquelle on se trouvait à proportion qu’on était pauvre, ou simplement sensible. »



« Il y a ainsi chez l’homme quelque chose de plus profondément à lui que son visage, de petites habitudes, des manies. C’est de l’horreur de ces manies qu’est faite la vie conjugale, c’est de l’attendrissement sur ces manies que sont faites les amours durables. » Mais également le couple Grésandage, Jeanne et Charles (« Charbonnier »), le père Barbentane méprisé par ses fils, l’ignominie du personnage de Colombin, Madame Beurdeley, la stature de Joseph Quesnel, « un homme qui dort bien ne sait pas ce que c’est que la vie », et qui eut « ce douloureux, cet atroce bonheur d’aimer, et d’aimer trop tard, quand on est plus aimable ».



“tout ce que j’aime, moi, c’est des gens nouveaux”. La figure féminine et sensuelle centrale du roman, la courtisane italienne Carlotta Beneduce, « elle lui faisait mieux sentir la médiocrité de sa vie (...) mais de sa vie à venir, de ce lendemain pour lequel il esquintait sa jeunesse ». Il semble presque que le personnage pour lequel Aragon a le plus d’estime est Carlotta, cette ancienne prostituée, cette Castiglione pragmatique et peu conventionnelle, entourée par des hommes qu’Aragon ne ménage pas.



Le compagnon d’Elsa Triolet a pour ambition d’ancrer les personnages dans la réalité. Les discussions d’alcôves des industriels dans les hôtels particuliers feutrés bordant le parc Monceau, les représentations théâtrales de Réjane et Sarah Bernhardt, les meetings de la C.G.T au Pré Saint Gervais, à quelques années du début de la première guerre mondiale sont l’occasion pour le lecteur de croiser brièvement Poincaré ou Jaurès, d’entendre parler des stratégies parlementaires de Barthou ou Doumer sur la loi des trois ans : « pour l’instant c’est la bagarre entre les marchands de force et les marchands de ruse ».



La langue populaire du début du siècle regorge de mots d’argot dont certains nous sont encore familiers comme smala, chelingue, beau gosse, aboule, bouille, pagnoter, trucmuches, boulotter, galapiat, gogo, chtouille, goupiller tintouin, mince, saperlipopette etc.



Derrière l’auteur de grand talent, le militant communiste n’est jamais loin, on comprend que le roman n’est qu’un exemple, un laboratoire de l’expérience étroite d’humains, pas forcément mauvais en soi mais qui incarnent un système de classes, de castes.

Aragon fustige les puissances de l’argent qui souillent et exploitent la France, la précipitant vers la Première Guerre Mondiale.

Ces gens des beaux quartiers qui font passer les bourses du travail pour antipatriotiques, cette pègre des maisons closes, des casinos, du « passage-club » reçue à l’Elysée, la France « meurtrie, immense comme un cœur palpitant », cette France s’arrête à eux. Ces puissances sont tout à fait étrangères à la France, elles qui font travailler l’immigré italien comme du bétail, et défiler annamites et tirailleurs sénégalais des colonies au 14 Juillet. Aragon trace une limite à la France, entre les beaux quartiers et « la couronne ouvrière de Paris qui se propage dans les arrondissements pauvres », et citant Jaurès « la France finit là ». Son œuvre, sa langue, sa prose, son talent il les rend à la cause de sa vie, pour le meilleur, la résistance, et pour le pire, l’oppression stalinienne si peu dénoncée par lui.



“Moi je vous parle. Mes lèvres vont (...) j’ai aussi avec moi tout un monde muet (...) je pense à ce que je ne dis pas. (...) nous sommes, comme les autres, des êtres doubles.” A lire pour la prose singulière du poète qui, se faisant romancier apporte son originalité au roman, s’adressant également au lecteur (sur un ton bien plus informel que lors de ces interventions télévisuelles où sa solennité monotone, lorsqu’il récite ses vers pourtant si vivants, a de quoi surprendre).



« Nous n’aimons pas ce qui est en marge instinctivement ». Mais d’abord et surtout pour la vivacité du « monde réel », un monument littéraire vivant qui se déroule sous nos yeux, avec son argot, ses faits divers de petit chef lieu de province, son tumulte parisien, ses drames poignants, sensuels et parfois morbides, et sa critique déjà socialisante de la condition des petits, des plus faibles, des femmes et de la cupidité.



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Les Yeux d'Elsa

Lorsqu’on ne connaît pas grand-chose à l’art de la versification, le mieux encore est de parler avec son cœur.

Dans « Les yeux d’Elsa » de Louis Aragon (1897-1982), nombreux sont les poèmes qui parlent au cœur.

Mais n’est-ce pas la vertu première de toute poésie, d’imprimer un mouvement de l’âme, un vibrato profond sous le souffle des mots ?

Lire « Les yeux d’Elsa » c’est comme entendre une mélodie douce, languide et langoureuse, comme une eau cristalline qu’on boirait à sa source.

Les mots parlent d’Elsa bien sûr ; Elsa Triolet, elle-même écrivain et femme idolâtrée, muse enchanteresse, compagne au quotidien de l’homme et du poète.

Les vers d’Aragon sont tout empreints de cet amour puissant, sincère et absolu : « Tes yeux sont si profonds qu’en m’y penchant pour boire, j’ai vu tous les soleils y venir se mirer », « Moi je voyais briller au-dessus de la mer, les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa les yeux d’Elsa ».

Mais derrière ces magnifiques vers dédiés à l’être aimé, se love un autre amour, celui-là partisan, c’est celui de la France alors agenouillée sous le poids allemand.

Le recueil fut écrit entre 1941 et 1942, pendant la Seconde Guerre Mondiale : « on trouvait parfois au fond des ruelles, un soldat tué d’un coup de couteau ». La France est alors occupée, Paris est occupée, « reverrons-nous jamais le paradis lointain, les Halles, l’Opéra, la Concorde et le Louvre ».

Pour Aragon, l’engagement passe aussi par la poésie, si bien qu’il n’aura de cesse de dissimuler au détour de ses strophes, sa tristesse devant la débâcle d’une France accablée, endeuillée et contrainte à l’exode.

« Les yeux d’Elsa » sont donc chargés de cette part d’Histoire, à laquelle vient également se greffer le souvenir de la Première Guerre et la splendeur passée de la France d’antan.

Et c’est cela aussi qui donne cette dimension particulière au recueil.

Les images, les symboles affleurent à chaque rime, comme en code caché, les deux amours s’y confondent, celui de la France, celui d’Elsa, enchanté et vibrant lorsqu’il s’agit de la femme, douloureux et poignant lorsqu’il s’agit de la patrie mais toujours abritant une part de tristesse, « France et Amour les mêmes larmes pleurent, rien de finit jamais par des chansons ».



Aragon sait si bien manier les mots et la langue, que ses poèmes revêtent une multitude de formes et d’aspects.

Déclinés en alexandrins, octosyllabes, sonnets ou quatrains, à la manière classique des romantiques du XIXème siècle ou à la façon des poèmes courtois des chevaliers du Moyen-âge, aucun genre poétique ne lui est inconnu et tout est substance à expérience ; « Il n’y a poésie qu’autant qu’il y a méditation sur le langage, et à chaque pas réinvention de ce langage. »

Le poète joue avec les mots, leur imprimant torsion, distorsion, déformation, pratiquant la flexion et l’inversion, créant des brisures et des césures tout à fait originales et nouvelles avec la volonté de « briser les cadres fixes du langage ».

Le mouvement surréaliste auquel il a appartenu le porte naturellement à user des images, des métaphores et des symboles, véritables et merveilleuses trouvailles, à la fois élaborées et raffinées mais toujours empreintes d’une fluidité gracieuse et émouvante.

L’ensemble forme des poèmes mouvants, libres, ondoyants, musicaux.

Le mieux serait sans doute d’être assisté d’un professeur pour nous révéler toutes les subtilités et tous les artifices de la poésie d’Aragon. La présente édition, agrémentée de textes en prose de l’auteur et d’une postface signée Lionel Ray, nous en apporte toutefois un éclairage intéressant et bienvenu.

Pour le reste, laissons-nous simplement porter par ces vers magnifiques qui sont autant de chants et romances d’amour.

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Les Yeux d'Elsa

N'avez-vous jamais eu envie de chavirer dans les yeux de l'être aimé ? de vous y perdre, de vous oublier ?

Mais que seraient les yeux sans les mains, que seraient les mains sans des gestes d'offrande ou d'amour. Oui, je sais bien, parfois les mains peuvent faire mal aussi.

Que seraient les yeux sans ce coeur qui aime, qui espère ?

Que serait ce coeur sans ce corps qui attend ?

Les Yeux d'Elsa m'ont fait du bien en lisant ce recueil pour la première fois. Bien sûr je connaissais le célèbre poème éponyme de Louis Aragon, mais pas l'ensemble du livre.

Nous frôlons des oiseaux, merles, mésanges, passereaux, rouges-gorges, chardonnerets, ceux que j'aime côtoyer du regard parmi les ramures d'ici, les ailes me sont venues juste peu après avoir lu ces vers.

Je me suis posé sur un arbre, j'ai contemplé le monde. C'est la poésie qui me donne cette légèreté, cette sensation d'apesanteur. Et Aragon a ce pouvoir magique de me donner des ailes.

Un oiseau blessé traverse le paysage des pages, j'ai l'impression de lui ressembler. Comment a-t-il fait, Aragon, pour deviner cela, ce qui trottait dans ma tête comme un moineau ?

Les mots d'amour s'entrelacent ici avec le désir, la jalousie et la guerre, comme si tout ceci appartenait à la même histoire. Sans doute que c'est cela, une même histoire capable d'emporter tous les désirs, toutes les passions jusqu'au point de vouloir survivre lorsque la haine survient avec ses outrages et ses guerres.

Se perdre dans les profondeurs des yeux d'Elsa. Aimer ces yeux, c'est une invitation au voyage, à la dissidence, à la résistance...

En lisant Les Yeux d'Elsa, j'ai pensé à ma mère qui avait aimé pendant la guerre, je me suis demandé si, à chaque fois qu'elle quittait celui qu'elle aimait et qui fut fusillé par la Gestapo, elle photographiait ses yeux d'un battement de paupières, imaginant qu'elle le voyait, l'étreignait peut-être pour la dernière fois...

Une chanson parfois traverse ces poèmes comme un courant d'air.

L'écho des chars vibre parmi le battement d'un coeur qui aime. Comment ces deux bruits peuvent-ils se réunir dans l'harmonie d'un vers ?

Ce soir en écrivant cette chronique, j'ai pensé à une autre guerre actuelle là-bas tout près de chez nous, à trois heures d'avion de Paris. J'ai imaginé qu'un soldat ukrainien plongé dans la boue d'une tranchée, défendant sa patrie coûte que coûte, attendant l'ennemi russe en face, écrivait une lettre d'amour à celle aimée demeurée à un autre endroit du pays, pensant à ses yeux, tenait debout grâce à cela, grâce à des yeux aimés, aimants...

« La beauté d'aujourd'hui porte de sombres fleurs

Et parle du soleil avec les yeux fermés. »

Des yeux d'Elsa, il n'y a qu'un pas, une passerelle, un chemin pour aller jusqu'à son corps. J'ai imaginé un instant être Elsa, mon corps ébloui couvert des mots de son amant. J'ai imaginé ses mots capables de déshabiller Elsa, capable de caresser son corps, de l'étreindre, de lui offrir une joie intense, immense...

Elsa, son corps présent et absent dans les bras de celui qui écrit cet amour, tandis que la guerre gronde au loin.

« Aucun mot n'est trop grand trop fou quand c'est pour elle. »

Je suis presque jaloux d'Aragon, j'aurais tellement voulu être celui qui le lui aurait dit le premier.

La peur de perdre celle qu'on aime.

Elsa, ce sont des yeux de femme, des yeux d'enfant, des yeux aimants, aimés.

Les Yeux d'Elsa, ce sont aussi des larmes, océan rempli de cette eau qui s'y déverse.

Coudre, découdre les mots, les phrases.

Le ciel à qui l'on parle devient à portée de mains.

Des ombres aux pieds d'argile s'entremêlent à ces mots.

Ephémères, fragiles.

Les mots de la poésie d'Aragon me rendent ivres sans alcool.

Les Yeux d'Elsa n'est pas un mythe infranchissable. Il suffit de regarder l'autre que l'on aime et de s'y plonger.

« Neige qu'on voit en plein mois d'août ».

Ces vers, je les ai aimés.

C'est un chant d'errance.

J'ai été envoûté par Les Yeux d'Elsa, leurs cillements qui trouent les ténèbres.

J'ai aimé Elsa et ses yeux. J'ai aimé découvrir le monde, ses ruines, ses espérances, à travers Les Yeux d'Elsa.

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Les Yeux d'Elsa

Des Yeux d'Elsa je connaissais - et aimais - certains poèmes, en particulier bien sûr le premier, si beau, qui donne son titre au recueil. Vous vous souvenez?

« Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa 

Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent 

Moi je voyais briller au-dessus de la mer 

Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa. »

Je m'attendais peu ou prou à un beau chant d'amour mélancolique, adressé à sa femme et au-delà à la France occupée par les Allemands. Ça me semblait être une poésie d'un accès facile.

Eh bien pas toujours, la richesse, la diversité de l'écriture poétique du recueil ne se laisse pas si facilement mettre dans une case, et la multiplicité des références nous éloigne souvent de l'impression que «La poésie d'Aragon, c'est simple, c'est direct» (Ferrat). le contexte il est vrai ne s'y prête guère, le poète se sent

«En étrange pays dans mon pays lui-même»

et se met à la «poésie de contrebande». Et même si d'après lui c'est «une contrebande très simple qui utilisait Roland pour parler des résistants, ou n'importe quel héros de la tradition... », la culture d'Aragon est immense et ses références littéraires cryptées où les choses sont exprimées de façon détournée rendent parfois précieuses les béquilles offertes par une édition pourvue de notes adéquates. D'ailleurs l'Elsa qu'il met ici en scène semble s'en plaindre:

« Tu me dis que ces vers sont obscurs et peut-être

...

Tu me dis Notre amour s'il inaugure un monde

C'est un monde où l'on aime à parler simplement

Laisse là Lancelot Laisse la Table Ronde

Yseut Viviane Esclarmonde

Qui pour miroir avaient un glaive déformant »

Mais là où on ne peut pas donner tort à Ferrat, c'est que la poésie d'Aragon c'est beau, très beau. le recueil est d'une grande force dans sa façon de brasser l'intime et l'historique, la modernité et la tradition, la tendresse et la combativité. On a l'impression que l'écriture poétique aide à dépasser le désarroi face à ce monde à l'envers

«Diable de temps ceux qu'on disait amis

Sont ennemis avant qu'on soit remis

Le noir est blanc le défendu permis

le meilleur est le pire»

Le recueil qui commence avec le cycle des nuits s'achève sur l'espérance exprimée dans le Cantique à Elsa qui «marie à l'amour le soleil qui viendra». En mêlant dans ses textes au souffle historique le frémissement de ses amours, de ses fêlures, de ses fragilités, Aragon a su écrire une poésie de Résistance dont la lecture reste aujourd'hui forte et émouvante.
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Les Chambres

Un recueil magnifique, que j’adore, pas le plus connu d’Aragon, c’est le moins qu’on puisse dire - paru paraît-il dans l’indifférence générale en 1969, un an avant la mort d’Elsa.

Un chant angoissé, douloureux, où le poète évoque

« Ce jour que je t’avais perdue



Ce jour-là ce jour-là

Je n’étais plus qu’un homme de poubelle

Un être jeté comme une boîte ouverte un

Débris d’écorce

Écœurante d’un melon et même les bruits

M’étaient silence »



Aragon donne à son «poème du temps qui ne passe pas» un rythme profondément prenant. Il y a un souffle émotionnel, une intensité impressionnante dans ces vers libres sans ponctuation, au nombre de syllabes très divers, où les enjambements et rejets bousculent souvent l’équilibre attendu.

Il y parle d’amour mais aussi d’écriture, d’expression, de vieillesse, de vie et de mort.

« Plus l’homme est vieux plus il est nu plus ce qu’il dit le quitte à regret de cette façon de quelqu’un qu’il le veuille ou non qui avoue

Un secret Quel secret devant la mort est encore un secret le voici

Pareil à lui-même enfin malgré tant d’années

Que ces murmures l’habitent

Tant d’années »



Un grand mystère pour moi qu’un texte aussi beau, aussi fort, soit à ce point méconnu.

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Il ne m'est Paris que d'Elsa

Il est toujours plaisant de se plonger dans la poésie d’Aragon, surtout lorsqu’elle nous offre une flânerie dans ce Paris qu’il aimait tant. Et puis, il y a la présence d’Elsa Triolet, son grand amour. Les deux sont liés - je veux parler d’Elsa et de Paris- puisque Aragon l’a rencontrée pour la première fois au café de la Coupole où se croisait la faune des surréalistes.

On comprend mieux ce titre évocateur : « Il ne m’est de Paris que d’Elsa »



La nostalgie est à chaque coin de page, une nostalgie d’un Paris ancien, d’un Paris peuplé de fantômes. Le Paris d’Aragon, c’est aussi celui des petits matins lorsque la ville besogneuse se réveille. Mais toujours Paris évoque une certaine idée de la liberté.



« Paris s’éveille et moi pour trouver ces mythes

Qui nous brûlaient le sang dans notre obscurité

Je mettrai dans mes mains mon visage irrité

Que renaisse le chant que les oiseaux imitent

Et qui répond Paris quand on dit liberté. »



Alors, qui de Paris ou bien d’Elsa est le plus présent dans ce recueil ? Elsa « reine de cette ville » apparait ici en filigrane. Elsa, muse et amante d’Aragon, lui était indispensable, mais la ville de Paris reste immuable et c’est aussi la ville de sa jeunesse.



« Lieux sans visage que le vent

Ô ma jeunesse rue de Vanves

Passants passés printemps d’avant

Vous me revenez bien souvent. »



C’est aussi le poète lui-même que l’on retrouve dans chaque vers quand il évoque tous ces lieux qu’il a fréquentés,

Le poète évoque aussi les fantômes de ceux qui ont célébré Paris et Aragon rend hommage à Madame Colette, Baudelaire, Chagall ou encore Fernand Léger. Mais on trouve aussi ses contemporains comme Francis Carco dans « Quai de Béthune »

Au-delà de ses souvenirs de jeunesse, de ses rencontres amoureuses ou amicales, Aragon nous livre une part intime de lui à travers son évocation d’une ville si chère à son cœur. Et il le dit ainsi : « Arrachez-moi le cœur, vous y verrez Paris. »



La postface érudite de Sylvie Servoise permet de mieux décrypter cette poésie complexe d’un grand poète et écrivain engagé qui nous a quittés en 1982 mais dont l’œuvre reste immortelle.



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Louis Aragon

Ça a beau être une petite anthologie jeunesse, je rame pour en saisir ce qui pourrait bien en être la caractéristique principale. Aragon, c’est peut-être un titre de ses recueils qui en parle le mieux : « Le mouvement perpétuel ». Rien de figé dans son œuvre, du surréalisme au retour à l’alexandrin, du poète de Feu de joie qui « danse au milieu des miracles / Mille soleils peints sur le sol » à la mélancolie poignante du Roman inachevé:

« Est-ce ainsi que les hommes vivent

Et leurs baisers au loin les suivent

Comme des soleils révolus ».

Souvent ça vibre, ça frémit, ça touche, souvent ça a la force des profondeurs. Aragon appelle poésie « ce domaine passionnel où je me perds… les bras brisés d’avoir étreint de fureur ou d’amour le fuyant univers des songes… l’imaginaire beauté pareille à l’eau pure des sources perdues ». Olivier Barbarant dit que son œuvre a l’unité d’un océan, et c’est plutôt bien vu.

Et ce « Choix de poèmes » me donne très envie de continuer à l’explorer, cet océan.
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Le con d'Irène

Sans intérêt.



Quelques tranches de vie, teintées de pornographie, qui se croisent sans véritablement de lien ou de cohérence (pour la lecture que j'en ai faite).



Les comparaisons avec Sade et ses journées ou les verges d'Apollinaire sont sans pertinence. On est loin de l'outrance, l'exubérance ou du dégoût volontairement apporté par ces oeuvres. En dehors du fait qu'on puisse classer les auteurs dans le courant « classique », c'est le seul rapprochement qu'on pourra faire.

Alors oui, on parle de con, de motte, c'est souvent grossier, parfois poétique, mais surtout sans intérêt. Capital érotique : néant. Instructif ? Non, divertissant, même pas. L'histoire est brouillonne et alambiquée, le style lourd, ampoulé, abscons. Bon déjà que je ne suis pas fan de littérature blanche et a fortiori celle dite « classique » mais cette courte lecture me conforte dans l'idée que je suis plus adepte de la littérature érotique contemporaine dont l'unique but est le divertissement (et pourtant il y a du déchet dans cette section) que de celle que je qualifierais de « littéraire ».



Tiens au final, il y a malgré tout un petit intérêt : La préface de Philippe Sollers dans l'édition que j'ai lue.
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Le roman inachevé

Non, je n'ai pas lu ce livre il y a quelques jours, je le porte en moi depuis l'adolescence. Souvent, je l'ouvre et relis ces vers soulignés jadis mais qui résonnent toujours dans ma tête et dans mon cœur.

Louis Aragon, c'est avec lui que je suis entrée dans ce monde magique des mots dont la couleur s'appelle poésie.

Louis Aragon et ElsA Triolet ont longtemps été pour moi l'union magique de l'amour et de l'intellect sans compter l'attachement d'Elsa à sa sœur Lili Brik qui bien sûr avait épousé, elle aussi un poète,: le damné Vladimir Maïakovski.

Je n'ai lu qu'un roman d'Aragon qui m'a marqué

à vie : Aurélien.

Voilà, j'avais envie de partager avec vous tous cet univers poétique d'Aragon qui me berce encore et toujours.



"Tout ce qui fut sera pour peu qu'on s'en souvienne"

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Les Yeux d'Elsa

L’art de la poésie est un travail d’orfèvre

Unir les mots qu’il faut pour créer l’alchimie

Ourler à fin pinceau comme on peignait les lèvres

Jadis des geishas dans un jeu kabuki



Horloger minutieux ciselant sa césure

Agençant patiemment les rouages du temps

Pour faire de ses heures implacables tortures

Rimes qui ne se fanent sous le souffle du vent



Le poète est celui qui sait au cœur parler

Aragon vous le fûtes, l’étiez, l’êtes toujours

Vos mots comme des notes, noire et blanche portées

Sur une partition jouent le chant de l’Amour



Certains ont la douceur des mots que l’on murmure

Certains ont la tendresse des mots qu’on dit tout bas

Certains creusent leur trou comme une sépulture

A l’ombre des regrets, des vœux qu’on n’émet pas



Vous dites qu’en poésie faiblesse fait beauté

Qu’il n’est rien de plus pur que cette défaillance

Rien de plus délicat que syntaxe violée

Pour imprimer au cœur sa part de délivrance



Tel un ruisseau secret dont l’eau libératrice

Apaise les blessures et les mauvais tourments

La poésie est pure énergie créatrice

Déposant sur les plaies une fraîcheur d’onguent



Ferrat, Brassens, Ferré ont su vous rendre hommage

En mettant en chansons vos fleurs, ces immortelles

Vous les avez mariées sous un beau ciel d’orages

En bouquets de poèmes que la nuit ensorcelle



Il est bien difficile parler de poésie

Lorsqu’on n’est pas adepte de rime et de césure

De stances et de pieds ni même d’harmonie

De ces vers combinés qui donnent la mesure



Le mieux est de laisser alors parler son âme

Dire par quelle magie les mots ont su l’étreindre

Allumer en son sein la permanente flamme

Ondoyant sous un feu que rien ne peut éteindre



Vous avez ardemment et avec quel génie

Dans des chants plein de vie unit vos deux amours

Elsa et puis la France, la muse et la patrie

Résonneront longtemps au cœur des troubadours.

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Les Yeux d'Elsa

Je voulais juste dire un mot sur la poésie d'Aragon par rapport à ce que je ressens en le lisant, le relisant et le lisant encore, comme ce matin, "Il n'y a pas d'amour heureux". Parce que vrai de vrai qui ne connaît pas Aragon, chanté par d'autres poètes de la chanson : Brassens, Ferré, Ferrat et j'en oublie.

Aragon, c'est une récompense et je le sais alors je n'en abuse pas, c'est une source pure à laquelle je m'enivre et lecture, espacée, après lecture espacée, je reste là, assis comme un gamin venant de défaire la ficelle qui entoure son cadeau d'anniversaire, les yeux brillants et le sourire éclatant. Rien que le fait d'ouvrir le livre "Les yeux d'Elsa", bien avant de lire, alors, oui, je suis bien.

Il faut lire Aragon et de la poésie.
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Les Yeux d'Elsa

Dans les vers d'Aragon

Elsa a mis ses yeux

Et le partisan pieux

Ne craint plus le dragon



Coeur vaillant Louis se mire

Dans ses yeux de lilas

Crie France me voilà

Fait résonner la rime



Dans ses yeux Triolet

L'hémistiche est plus douce

Le poète repousse

Le solfège embolê



De l'école avant-guerre

A sa grâce patronne

Son amant abandonne

L'audace de naguère



De la belle gauloise

Se perpétue la flamme

qu'Hugues, Jean et quidam

chantent par Seine et Oise



A vos pieds Elsa France

La scansion la plus simple

Construit en vers le temple

D'ardentes révérences



Dans les yeux d'Elsa

Dans les yeux d'Elsa

Dans les yeux d'Elsa...
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Elsa



Je traîne « Elsa » ce recueil de poème d'Aragon depuis 1967, je l'avais même offert en 69 à une jeune amie, qui le trouvant chargé de souvenirs tristes, me le rendit avec élégance par la poste !

Sa relecture m'a laissé comme un parfum d'autrefois. Son style très classique, est tissé toutefois de fulgurances, " le temps est femme il a besoin qu'on le courtise".



Le 5 Novembre 1928, Aragon rencontre Elsa Triolet (de son vrai nom de jeune fille Elsa Kagan) au bar de la Coupole à Montparnasse. L'écrivain, déjà connu, va dès lors consacrer son œuvre à celle qui deviendra sa femme en 1939.



Ce recueil Elsa paru en 1959, où Aragon mêle poésies, textes en prose et même une courte pièce de théâtre , est un chant d'amour à Elsa Triolet, un monument d'amour, où chaque mot échangé devient par magie, une déclaration, une intimité , une connivence, voire un abandon.

Elsa est sa muse. "Quand je dis tout bas la beauté du monde, je parle de toi. " Mais elle est plus que cela, elle est celle qui incarne la poésie d'Aragon.



Aragon célèbre le génie d'Elsa l'écrivain, à travers le thème de la rose « La Rose du premier de l'an ». Aragon suggère «  Roses à crédit » d'Elsa Triolet. Pour Aragon, Elsa sublime la rose, au point de la réinventer, " la rose des doigts adorants" , Aragon la mène à l'autel de l'amour, à la croyance en la vie partagée, à sa transcendance. Jusqu’à la fureur de vivre, à la fureur d'aimer.



Elsa et Aragon formeront un couple légendaire. Aucun amour ne fut plus chanté et plus affiché que celui de ces deux écrivains, partageant les mêmes convictions.

Respirons ces mots odorants, et portons les, " avant de fermer nos yeux à la lumière".

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Aurélien

Mes amis, on peut dire que je me suis pris une sacrée claque littéraire.



Voici donc mon avis confus, bouleversé et bouillonnant à propos du chef-d'oeuvre qu'est Aurélien.

Et si, au sortir de cet article, vous n'avez pas la fulgurante envie de poser les mains sur ce roman, autant fermer ce blog tout de suite.



Aurélien a la trentaine.

Derrière lui, des années passées au front, à combattre.

Un appartement en plein coeur de Paris, sur l'île Saint-Louis.

Une rente confortable qui le laisse libre de disposer de ses journées à sa guise.

Mais Aurélien a surtout le terrible sentiment d'errer sans but.

De ne pas comprendre les figures qui évoluent autour de lui.

De s'abuser.

Peut-être de passer à côté de sa vie.

Et il n'en est sans doute pas vraiment conscient.

Alors il laisse défiler les jours, les semaines, dans ce Paris du début des années 20 encore traumatisé par les souvenirs indicibles d'une guerre meurtrière.



Jusqu'à ce qu'il croise Bérénice.

Bérénice, dont on nous dit dès les tous premiers mots du roman qu'il "la trouva franchement laide", mais pour laquelle il sombre très vite dans la plus profonde, la plus noire, la plus vibrante des passions. Profonde, parce qu'il ne vit plus que pour elle. Noire, parce que Bérénice est mariée, à un obscur pharmacien certes, mais mariée tout de même. Vibrante, parce que c'est peut-être dans cet amour scandaleux, incompréhensible et foudroyant que se trouve la réponse aux égarements du jeune homme.



Commence alors un chassé-croisé, une suite de manipulations, de quiproquos et de rencontres volées entre Aurélien, Bérénice, et toutes les autres figures qui gravitent autour d'eux, tous plongés dans des troubles étourdissants, et pourtant vivant toujours un même quotidien réglé comme du papier à musique.



Aurélien est ce que l'on appelle un classique de la littérature, certes. Mais pas besoin de connaître la réflexion d'Aragon ou d'avoir une culture monstrueuse pour s'en rendre compte - vous connaissez par ailleurs mon aversion envers ceux qui estiment que les "classiques" sont des lectures "qui se méritent", réservées à une élite. C'est faux. Les livres appartiennent à leur lecteur, vous êtes aptes et légitimes à lire et critiquer toute oeuvre. Vous êtes totalement à même de ne pas aimer des classiques.

Lisez ce bouquin, pitié.



Aurélien est un bijou, un chef-d'oeuvre, un sommet d'écriture. La qualité du style et la justesse des mots sont flagrants, car la moindre phrase est un coup direct au coeur du lecteur. Aragon a compris cette mélancolie, ce désoeuvrement qui sommeillent plus ou moins profondément au fond de chaque être humain, qui se révèlent parfois dans nos coups de génie ou de folie... et cette connaissance de notre nature transparaît dans chaque passage, dans chaque décision des personnages, dans chaque observation douce-amère.



Aragon parvient à mettre le doigt avec une précision hallucinante sur des sensations et des réflexions que l'on partage sans même en avoir conscience, et parvient, avec ce qui peut ne sembler se réduire qu'à une banale histoire d'amour, à révéler dans un même élan ses personnages, ses lecteurs, et à les confronter à leurs fantômes.



Aurélien est sans doute le plus beau roman à Paris, sur Paris, pour Paris que vous aurez l'occasion de lire. La ville y est incarnée comme nulle part ailleurs, elle n'est pas simple décor mais bel et bien personnage à part entière. Elle y est décrite avec une incroyable générosité, qui convaincra aussi bien ceux qui la connaissent bien que ceux qui n'y ont jamais mis les pieds. Aragon a un don pour saisir la note, la vibration précise d'une atmosphère, d'une situation, d'un contexte, et lorsqu'il applique cet art à une ville entière, cela ne peut qu'être un délice.



Aurélien est à la fois délicieusement passé et furieusement moderne, avec sa langue soutenue mais toujours accessible, et surtout universelle. On pourrait, à quelques détails près, oublier le siècle qui nous sépare de Leurtillois et de ses connaissances, tant leurs errements paraissent palpables, compréhensibles. On se laisse contaminer par leur désemparement face à l'absurdité de leurs propres vies, parce qu'on le comprend, on le partage, sans jamais verser dans la déprime. On est en empathie, c'est aussi simple que cela.



Pour simple exemple, ce passage, la plus belle description jamais réalisée de la flemme :



"C'était, dans le premier moment, une flâne qui se prolongeait. Vous connaissez ce sentiment : on devrait être ailleurs, chez soi, par exemple mais pas nécessairement, il y a quelque chose comme un repas qui vous attend, on n'y va pas avec une croissante conscience de sa culpabilité. Encore cinq minutes, deux minutes, une minute. On n'y va pas. C'est cela,le temps volé. Un temps qui n'est pas comme les autres. Gâché aussi, dilapidé. Une habitude profonde du devoir se mêle à un sens étrange de l'économie, d'une économie incompréhensible des minutes. Comme si on ne vivait pas quand on fait autre chose que ce qu'on est censé faire, devoir faire. Tant pis, on n'ira pas. Ce n'est pas que l'on tienne spécialement à traîner ici, qu'on préfère y être. On y est. Voilà tout. Avec une ivresse désobéissante."



Osez me dire que vous ne vous y reconnaissez pas. Oui, toi, qui passes six heures par jour à scroller ton fil d'actualité sur Facebook, parce que tu y es. Voilà tout. Avec une ivresse désobéissante.



Alors lisez Aurélien, savourez-le, chapitre par chapitre, au fil des pensées troublées d'un héros qui n'en est pas vraiment un - ou peut-être ? Abreuvez-vous de la richesse de sa plume, de la profondeur de son propos, de ses réflexions étourdissantes de clarté et de justesse. Vous en apprendrez beaucoup, sur les mots, sur la vie, sur vous.



Un dernier mot d'Aragon avant d'en finir, parce qu'il parle décidément très bien du temps. Il parle très bien tout court, cela dit.



"Le temps à certains jours de notre vie cesse d'être une trame, d'être le mode inconscient de notre vie. D'abord il commence d'apparaître, de transparaître dans nous comme un filigrane, une marque profonde, une obsession bientôt. Il cesse de fuir quand il devient sensible. L'homme qui cherche à détourner sa pensée d'une douleur la retrouve dans la hantise du temps, détachée de son objet primitif, et c'est le temps qui est douloureux, le temps même. Il ne passe plus. On ne songerait pas même à l'occuper, toute occupation paraît dérisoire. Un désespoir vous prend à l'idée de cette étendue devant vous : non pas la vie, inimaginable, mais le temps, le temps immédiat, les deux heures à venir par exemple. Cette douleur ressemble plus à celle des rages dentaires, qu'on ne peut pas croire qui cesse, qu'à n'importe quoi. On est là, à se retourner, à ne plus savoir que faire, comment disposer d'un corps, d'un délire, d'une mémoire implacable, desquels on éprouve vainement être la proie."



Ceci, mes amis, est un monsieur qui sait écrire.

Maintenant, vous savez quoi faire.
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Le roman inachevé

Dans cette autobiographie poétique publiée en 1956,Aragon offre une grande diversité de formes: prose, vers de longueurs très différentes, ruptures textuelles, pour se raconter, de l'enfance malheureuse aux deux guerres, des voyages en Italie et en Espagne à sa vision de Paris , des désillusions communistes à la rencontre éblouie de sa muse, Elsa.



Mais il est bien conscient de la complexité de sa démarche, et même de sa vanité :



" Et le roman s'achève de lui-même

J'ai déchiré ma vie et mon poème ".



Je trouve que le poète cède parfois à la facilité, certains vers semblent un peu surfaits et jouent sur les mots avec trop de nonchalance, par exemple:



" Je passe le temps en chantant

Je chante pour passer le temps."



Mais je reste admirative devant le jaillissement mélodieux de ses vers, l'amplitude généreuse des images, le sens du chant qui vibre dans sa poésie. D'ailleurs Ferré, Montand et tant d'autres l'ont compris en devenant ses interprètes.



Un poème comme "Strophes pour se souvenir ", qui évoque les résistants étrangers fusillés du groupe Manouchian, me serre toujours la gorge d'émotion, à chaque fois que je le lis:



" Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses

Adieu la vie adieu la lumière et le vent

Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent

Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses "...



La " prose du bonheur d 'Elsa " est aussi très intense et passionnée :



" J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines

Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines

Comme au passant qui chante on reprend sa chanson "



Et ce vers magnifique, que personnellement j'adore:



" J'ai tout appris de toi jusqu'au sens du frisson "...



Au-delà de ses contradictions, entre ses certitudes et ses doutes, Aragon sait nous toucher et exalter en nos coeurs un chant ivre de vent, d'amour et de passion. Son roman de vie en vers pour nous ne s'achèvera jamais ...
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Elsa

D'abord il y a l'amour. Elsa, belle comme la rose. Aragon reconnait l'influence du poète iranien Saadi. Moi j'ai fait le rapprochement avec le premier poème de « le jardinier d'amour » de Tagore …



Dans cet amour, il y a de la jalousie :



« Tu rêves les yeux larges ouverts

Que se passe-t-il donc que j'ignore

Devant toi dans l'imaginaire

Cet empire à toi ce pays sans porte

Et pour moi sans passeport »



Ou encore :



«Toi sur toi le soleil le jeune soleil d'hiver qui te caresse

Ah jusqu'au bout de l'année

Je serai jaloux du soleil et de tes pensées »



C'est un amour qui hésite entre servitude:



« Je suis le pauvre qui n'a point accès à ta suite

A peine entendra-t-il au loin l'avalanche de l'orchestre

Il n'entrera jamais dans la salle du Grand Opéra »



et domination :



« L'homme n'est heureux que de faire plier

Capituler ce qu'il adore »



A tout le moins, l'amour pour Elsa est complexe :



« L'amour de toi qui te ressemble

C'est l'enfer et le ciel mêlés

Le feu léger comme les cendres

Éteint aussitôt que volé »



Mais sous ces images lyriques, se cache un gouffre d'angoisse à cause du Temps qui toujours nous fuit tandis que les rêves continuent de briller :



« Mon ciel au fond des yeux demeure

Plein d'étoiles d'autrefois

La lassitude du semeur

N'éteint que ses bras et sa voix »



Une angoisse aussi provoquée par l'impossibilité de dire cet amour, puissant et ravageur :



« Je ne regrette rien qu'avoir

La bouche pleine de mots tus

Et dressé trop peu de statues

À ta mémoire »



Ou encore :



« Je vais te dire un grand secret Toute parole

À ma lèvre est une pauvresse qui mendie

Une misère pour tes mains une chose qui noircit sous ton regard

Et c'est pourquoi je dis souvent que je t'aime

Faute d'un cristal assez clair d'une phrase que tu mettrais à ton cou

Ne t'offense pas de mon parler vulgaire Il est

L'eau simple qui fait ce bruit désagréable dans le feu »





Le poème Elsa, c'est aussi une forme particulière: du rythme et des punchlines très modernes, une construction déroutante, poème entrecoupé par une scène de théâtre, ou peut-être une résurgence de la réalité dans l'imaginaire, dans l'acte créatif. Poème ensuite interrompu par un long monologue du poète se regardant écrivant et par là même s'écrivant écrivant, dans une espèce d'exercice hypnotique …



Un poème à lire d'une traite, au contraire d'autres recueils plus propices au picorement. Ici, il faut le lire de bout en bout et entrevoir une structure, et peut-être deviner une signification dans la chronologie des formes …

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Bonne année !

Très bonne année en compagnie d’Aragon, Beauvoir, Céline, Mallarmé, Zola, Stendhal, Simenon, Oulitskaïa… 10 réveillons littéraires, de Moscou à Paris en passant par les Flandres !

Un petit livre savoureux ( collection folio 3€ ), un vrai régal pour les fêtes sans crainte des lendemains!!!

Alors très bonne année à tous les Babéliotes - et à tous les autres aussi bien sûr !
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