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Critiques de Gérald Bronner (169)
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Les origines

La question que pose Gérald Bronner, dans son livre Les Origines, me paraît à la fois captivante, réductrice et mal posée. En effet, le sous-titre indique : « Pourquoi devient-on qui l’on est ? »



Captivante, indubitablement, elle l’est, car, chaque fois que l’on se prend à renrouler la destinée de tel(le) ou tel(le), parmi les personnages célèbres, on s’aperçoit qu’un nombre étonnant d’entre eux sont « déviants » par rapport à ce que la logique eût pu leur prédire.



Réductrice, elle l’est également, car, si l’on se borne aux personnes célèbres et/ou à celles qui ont « réussi » à déjouer les attentes normales du destin, on oublie nécessairement dans l’échantillonnage tous ceux qui ne dévient pas de la trajectoire « attendue » et qui sont très nombreux.



Mal posée, car si je dis « pourquoi », cela sous-entend qu’il y a une causalité, un faisceau d’événements conduisant logiquement d’un point A à un point B, une sorte de chemin balisé : si j’ai tel et tel et tel ingrédients dans ma compote, j’obtiendrais tel et tel et tel résultats.



Même dans l’expression plus que courante et fourre-tout « chercher le pourquoi du comment », la question du « Pourquoi ? » n’est jamais dissociée de celle du « Comment ? » : prenons un exemple. Si je pose la question : Pourquoi des émigrants cherchent-ils à rejoindre le Royaume-Uni ?, j’obtiendrais certes des réponses multiples mais toutes relativement convergentes. J’ai bien mon point A et mon point B, je suis contente.



Cependant, si par malheur j’essaie de compléter ma question avec un : « Comment rejoignent-ils le Royaume-Uni ? », là je risque fort d’être confrontée à une multiplicité de cas difficilement réductibles. Un continuum immense va se dessiner entre ceux qui auraient voulu et qui ont renoncé dès leur position de départ, ceux qui ont entamé le processus mais se sont fait arrêter d’une façon ou d’une autre (la mort pouvant être une de ces façons), ceux qui ont réussi à émigrer, mais sans pour autant atteindre le Royaume-Uni, et enfin, ceux, qui, après maintes et maintes péripéties, ont finalement bouclé la boucle.



Eh bien, c’est un peu ça que j’ai ressenti à la lecture du livre de Gérald Bronner. Cette volonté de synthèse me semble mal appropriée à la question même. Relevant moi-même du sous-groupe des transclasses auquel l’auteur s’intéresse, je ne me suis pas toujours, voire pas souvent, reconnue dans son analyse. C’est un exercice difficile, j’en conviens, que de vouloir embrasser cette question, et l’ouvrage est loin d’être inintéressant selon moi, d’où mon appréciation globalement positive.



Dans son prologue, tout d’abord, l’auteur examine, en général, la question des origines, et notamment au travers des mythes fondateurs de telle ou telle population humaine, actuels ou passés. Ensuite, Gérald Bronner commence par envisager la question du « dolorisme », c’est-à-dire, le fait que l’expérience de changer de classe sociale puisse être vécu comme une forme de douleur, de déchirure. Il se positionne là-dessus. Selon lui, il y aurait comme une espèce de tendance, voire de mauvaise foi du transclasse et une volonté d’accentuer le caractère éprouvant de cette migration, justement pour se mieux faire accepter ou reconnaître dans sa classe de destination. (Je simplifie à gros traits, bien entendu.)



Puis il souligne, dans la partie suivante, l’importance du regard et des attentes qui ont été portés sur l’enfant ou l’adolescent, transclasse en devenir, sur les quelques moments ou remarques clés qui l’ont infléchi, au moins dans sa propre tête, selon que l’on a cru ou non en lui, selon qu’on l’a encouragé ou dissuadé.



Après vient un chapitre où l’auteur argumente le fait qu’on se ment tous, volontairement ou involontairement, on se raconte, bref, que notre perception est tout sauf objectivité, qu’elle n’est autre que fiction. On surinterprète, on surestime l’importance de telle ou telle chose, on est bienveillant avec soi-même (si je réussis, c’est dû à mon talent, si j’échoue, c’est la faute à pas de chance), etc.



Dans la section suivante, l’auteur s’en prend un peu (gentiment) à Pierre Bourdieu — un analyste de la reproduction sociale, de la lutte des classes, d’un système qui engendre de l’inertie sociale — pour montrer qu’il n’y a pas, selon lui, de complot généralisé fomenté par les puissants pour empêcher les représentants des classes populaires de s’élever, que s’il subsiste des inégalités sur la ligne de départ — ce qu’il reconnaît volontiers —, la méritocratie reste tout de même un système opérant pour atteindre une classe sociale supérieure à celle de ses parents.



Les deux dernières parties traitent, pour l’une, du rôle respectif de l’inné et de l’acquis dans la réalisation de la personne, pour l’autre du rôle des pairs, c’est-à-dire des personnes rencontrées pendant le parcours, dans l’édification de soi-même. Enfin, l’épilogue nous laisse un peu sur notre faim en concluant que, vu la multitude des influences qui concourent à faire ce que l’on est, il est difficile de privilégier plus les unes que les autres.



Bon, bon, bon… Après avoir remercié vivement l’éditeur Autrement et Babelio pour l’envoi de ce livre dans le cadre de Masse Critique, il me faut peut-être tout de même m’interroger un brin sur ce que dit l’auteur.



Si je comprends bien, ne remettons pas en cause un système qui, s’il est imparfait, permet tout de même à un pourcentage substantiel de personnes d’accéder à ce qu’elles désirent… Mmouais… Pas convaincue, et d’autant moins aujourd’hui qu’à l’époque où l’auteur s’est élevé socialement via l’école (il est né en 1969). Le sociologue nous livre sa propre expérience de transclasse, à savoir, celle d’être né dans une famille pauvre et d’avoir grandi parmi des personnes, elles aussi, situées plutôt au bas qu’au haut de l’échelle sociale.



Pas de problème de couleur ou de sexe, pas de problème d’acclimatation à la ville, pas même au plus bas rang parmi l’environnement humain dans lequel il a grandi. Je précise, car ceci peut aussi expliquer cela du relatif « confort » dans lequel il a dû batailler. Il ne cesse de nous dire qu’il se sentait « différent », mais je pointe le fait qu’il n’était pas « étrange » ni « étranger ».



L’auteur prétend qu’il a réalisé assez tard qu’il était pauvre. Personnellement, ce n’est pas mon cas : j’ai grandi dans un trou paumé à la campagne, et même dans mon trou paumé, parmi des gamins qui n’étaient pas beaucoup plus que des culs-terreux, on a pourtant vite fait de me faire comprendre que je n’étais pas riche. Ce fut fortement renforcé au collège, lequel collège n’était pourtant, lui aussi, qu’un collège de culs-terreux. Idem lorsque j’ai migré à la sous-préfecture pour le lycée ou à la préfecture pour la fac, car, j’étais toujours dans ce qui se faisait de plus bas dans la catégorie. De même, lorsque j’ai changé de fac, j’étais issue de ce qui se faisait de moins prestigieux à chaque fois.



Je me souviens, au lycée, dans notre livre de biologie, sur le chapitre dédié à la génétique, il y avait la photo d’un jeune Africain albinos entouré de ses camarades « normaux ». Il n’avait pas l’air franchement heureux d’être si « étrange »…



J’ai souvent pensé depuis à la chanson des Doors : « People are strange, When you ‘re a stranger, Faces look ugly, When you ‘re alone, Women seem wicked, When you ‘re unwanted, Streets are uneven, When you ‘re down, etc., etc… »



Eh bien, au risque de contredire Gérald Bronner, pour ma part, je me suis souvent sentie comme cet enfant d’Afrique, étrange parmi les miens, étrange parmi les autres, jamais à ma place, jamais en paix ni au repos, justement du fait de cette étrangeté.



Je me souviens encore, pendant mes études d’éthologie, je ne sais plus exactement qui, peut-être Konrad Lorenz — je n’affirmerais pas, je ne me souviens plus exactement —, avait une formule de ce type : dans la réalisation d’un être humain, l’inné compte à 100 % et l’acquis compte à 100 %. C’est exactement ce que je pense aussi.



Plus exactement, notre destinée est une suite ininterrompue de hasards et de nécessités, comme l’aurait formulé Jacques Monod. D’après moi, le premier des hasards est justement la génétique : parmi la foule de gènes que possèdent nos parents, l’échantillonnage qui nous échoit fait de nous quelqu’un de tout à fait conforme, globalement conforme, moyennement conforme, faiblement conforme ou pas du tout conforme aux personnes du milieu duquel on vient, à commencer par nos parents (et à supposer qu’ils soient conformes l’un à l’autre, ce qui est loin d’être certain). Et ça, l’on n’y peut absolument rien.



Le deuxième hasard concerne la nature de la non-conformité en question, si non-conformité il y a. En ce qui me concerne, je crois que le hasard m’a pourvue d’un phénoménal appétit de compréhension : dès l’enfance, j’adorais comprendre. Je me rends compte que plein de gens — voire la majorité —, se fichent éperdument de comprendre telle ou telle chose, tel ou tel lien entre des choses apparemment disjointes. Moi, pas, c’est même carrément une passion. Je dirais même plus, cette passion est presque pathologique, de l’ordre du TOC : je ne dors pas si je n’ai pas compris le phénomène, ou la portion de phénomène, sur lequel je me questionne.



On devine aisément que cette passion — que je n’ai pas choisie, qui ressort donc du pur hasard, d’une pure potentialité génétique — a, en retour, des conséquences, qui elles ressortent de la nécessité, sachant que la passion de comprendre est donnée. Mais qu’en aurait-il été si ma « non-conformité » par rapport à mon milieu d’origine avait été d’une nature toute différente ? Par exemple, si j’avais adoré les cactus à la folie ou élever des serpents ou collectionner les jupes ?



Ensuite, dire que le rôle des parents — qui relève de la nécessité — est fondateur est une lapalissade : Mozart aurait-il été Mozart si son père n’avait pas été musicien auprès des Grands d’Autriche ? Julie Depardieu ferait-elle du cinéma si elle ne s’appelait pas Depardieu ? Joakim Noah aurait-il été sportif de haut niveau si… enfin bon, bref, vous voyez ce que je veux dire.



Ceci dit, nul ne peut dire DANS QUEL SENS ni EN PARTANT D’OÙ il est fondateur. On a tendance à remarquer ce rôle fondateur lorsque le trait principal du parent se retrouve chez son descendant. Mais si je vous disais que mon penchant pour la lecture me provient de mon père, qui est sûrement parmi les moins lecteurs qu’on puisse imaginer, qu’en penseriez-vous ?



Il y a une phase sensible de l’enfance — autour de 7 ans — pendant laquelle plein de choses s’impriment, sans qu’on en ait nécessairement conscience quand on est parent. Quand j’avais autour de 7 ans, donc, mon père, très temporairement et très brièvement, s’est abonné à une revue de sport automobile, dont le titre avait le mérite d’être explicite : Sport auto. (J’ai déjà abordé ce puissant héritage paternel dans mon commentaire d’un livre de Vic Elford, La Victoire ou rien.) Eh bien, d’avoir vu mon père lire cette revue durant cette courte période, alors que j’avais l’âge sensible — c’était un hasard —, a imprimé durablement le goût de lire en moi. Ce fut donc un minuscule bout de la lorgnette, quelque chose qui n’est pas du tout caractéristique ni représentatif de mon père, qu’il m’a légué inconsciemment et dont l’objet ne s’est jamais dirigé depuis lors vers le sport automobile, d’où la difficulté (voire la quasi-impossibilité) à le déceler pour quelqu’un d’extérieur.



Je me suis souvent demandée ce que j’avais de commun avec ma mère (j’ai déjà évoqué mes relations avec ma mère dans ma critique du Coran) ou avec mon père. Pourtant, à fin et à force de chercher à comprendre, j’ai fini par repérer des minuscules morceaux de ceci et de cela, qui ne les caractérisent ni l’un ni l’autre, qui ne sont, pour eux, que des épiphénomènes, et qui pourtant, chez moi, sont constitutifs, voire essentiels. Tout vient d’eux, mais un peu comme on ne reconnaît pas dans ma peau ou dans mes os les carottes et les petits pois dont ils proviennent, on ne reconnaît pas en moi le comportement ou les centres d’intérêts de mes parents.



Je voudrais encore me démarquer de Gérald Bronner sur la question du dolorisme. Pour lui, de ce que j’en comprends, c’est presque une posture, un « chiquet », quelque chose de surfait. Je ne suis pas du tout d’accord avec lui sur ce point. L’idée même de « lutte des classes » suppose que les différentes classes sociales luttent les unes contre les autres. Et donc, par conséquent, le fait de changer de classe équivaut à changer de camp dans cette lutte qui se poursuit. De là à la traitrise, du moins à l’accusation de traitrise, il n’y a jamais loin. Allez donc demander aux Malgré-Nous alsaciens si ce n’est pas douloureux de changer de camp « par la force des choses ». La réussite scolaire et plus tard professionnelle induit nécessairement de changer de camp, d’où les fréquentes charges qu’ont à subir les « bons à l’école » de la part de ceux qui ne le sont pas. Peu ou prou, tous savent que, plus tard, ils ne combattront pas du même côté de la ligne de partage des eaux.



J’ai assez puissamment exprimé mon désaccord avec Annie Ernaux dans ma critique de La Place, car, d’après mon vécu, j’ai ressenti exactement le contraire de ce qu’elle prétend vouloir exprimer à qui veut l’entendre. Selon elle, son écriture « vengerait » sa « race », là, où moi qui viens du même milieu qu’elle je ne perçois que mépris pour ce milieu dans son récit. Donc, entre Annie Ernaux, qui a clairement trahi son milieu d’origine, qui fait semblant d’en être encore tout en décrivant la douleur de se sentir traitre, et Gérald Bronner, qui éprouve une fierté tant de son milieu d’origine que d’avoir réussi à s’en extraire, mon cœur balance, car il demeure une autre catégorie à laquelle, je pense, j’appartiens : celle des personnes dont les centres d’intérêts les éloignent de leur milieu d’origine mais vis-à-vis de qui les lumières de la ville et la vie bourgeoise font office de repoussoir, une sorte de NI, NI pas très confortable.



Je me sens très prolo, socialement parlant, et très bobo quant à mes centres d’intérêt. Exactement comme le pauvre enfant africain de mon livre de bio, qui avait le malheur d’avoir une peau trop blanche parmi les populations noires, et des traits trop négroïdes pour nourrir beaucoup d’espoir parmi des populations blanches. Bien sûr, on me rétorquera que ça n’a pas empêché Salif Keïta de devenir qui il est devenu, mais j’ai peine à croire que le concernant, s’il avait eu le choix, au départ, il n’aurait pas opté pour avoir la même pigmentation que ses pairs. J’ai peine à croire qu’il n’a jamais été perçu comme un traitre par les uns ou les autres, et qu’il ne s’est jamais senti comme un apatride, à un moment ou à un autre, et que ça n’ait jamais suscité de douleurs en lui.



Oui, être hors cases, ça peut être douloureux, ça peut être une cicatrice à vie, ça peut être difficile à vivre au quotidien, et je ne me suis attardée que sur ce malheureux exemple, mais j’aurais pu en développer à l’envi et de tout autre type. Ça n’est rien d’autre, finalement, que ce qu’exprime le conte d’Andersen, Le vilain petit Canard. N’être pas à sa place, être toujours différent ou dans l’ultra-minorité, ce n’est pas forcément une sinécure. Ne vous déplaise, cher Gérald Bronner, mais ce n’est que mon avis de transclasse, à peine transclasse d’ailleurs ou transclasse à grand peine, c’est-à-dire, pas grand-chose.
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Apocalypse cognitive

Essai très intéressant qui s'ouvre sur un questionnement : est-ce vraiment la fin de notre histoire humaine, ainsi que M. Francis Fukuyama le prédisait en 1989, au moment du grand basculement vers l'unilatéralisme de l'empire ? Comment quelqu'un de solidement formé intellectuellement peut-il souscrire à une telle bêtise. Vu d'aujourd'hui cela ferait presque sourire : l'histoire bien sûr ne s'arrête jamais...

M. Bronner va donc s'intéresser, au fil de cet essai très bien écrit, à notre bien commun le plus précieux : notre cerveau ! La première partie retrace cette victoire matérielle qui nous affranchit (enfin, ce qu'il reste de la classe moyenne occidentale, c'est un non-dit du livre) de tout un tas de contraintes chronophages.

Que faisons-nous aujourd'hui du temps libéré par les machines ? On est occupé à quoi finalement ? La deuxième partie du livre en fait le bilan : en gros, ce sont les écrans qui empiètent même sur notre sommeil . . . Pas les écrans de papi (TF1 et le temps de cerveau disponible...) mais ceux des bijoux technologiques qui se sont immiscés dans notre vie quotidienne, smartphones en tête. Avec tous les atours de la modernité : les réseaux sociaux, les achats en ligne etc...

Nous sommes devenus dépendants. Consentants. Demandeurs.

La troisième partie est plus prospective et justifie le titre de cet essai : l'apocalypse cognitive. Celle-ci repose sur la prise en compte de « notre appétence pour la conflictualité, de notre avarice cognitive, ou encore notre soumission aux injonctions de la visibilité sociale. »

Il y développe par exemple et entre autres, l'idée d'une conflictualité née de l'existence d'invariants de notre espèce (en particulier de ceux qui ressortent de notre cognition, notre cerveau de primates évolués) et des modèles intellectuels que notre (presque) toute puissance technologique nous ont amenés à construire.

Tout ceci nous amène à quoi ? Au risque ultime : l'extinction... Comme d'autres...

C'est le retour de Franck Drake, l'explorateur de l'espace qui a donné son nom à une célèbre équation (je sais c'est la deuxième fois déjà), le fameux N = R × fp × ne × fl × fi × fc × L. Avec l': la durée durant laquelle une civilisation est détectable.

Dans l'équation de Drake, ce l', durée moyenne d'une civilisation donc, est estimée à 10 000 an...

Quelle lecture avoir de la valeur de l', dans l'équation de Drake ? Difficile à analyser, notre cerveau ne semble pas cognitivement apte à gérer une organisation civilisationnelle de milliards d'habitants. La découverte des multiples exoplanètes et une maîtrise minimale des statistiques de base débouche sur un paradoxe : pourquoi n'avons-nous aucune nouvelle de l'extérieur ?

La solution la plus probable selon Mathieu Agelou (2017) serait l'instabilité endémique des civilisations intelligentes. D'où l'hypothèse formulée par Alexandre Delaigue : « Si l'espace est silencieux, c'est parce que tous ceux qui ont eu l'occasion de faire un parcours similaire au nôtre se sont effondrés (2017 aussi). »

Pessimisme ? Non, le dépassement de ce plafond civilisationnel ne pourra venir que de nos ressources intellectuelles, c'est-à-dire de notre capacité à concevoir une ingénierie de l'intelligence collective qui nous permette de dépasser les limites de nos cerveaux individuels.

Ce livre nous aide à en saisir les tenants. Il est presque formidable de ce point de vue....

Presque? Car apparemment aucune civilisation ne semble avoir réussi cet exploit et si j'allume mon poste de TV, si j'écoute ma radio, je me dis que ce n'est pas gagné...
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Comme des dieux

Plus de 2000 ans qu’il se fait attendre le nouveau messie !

Mais non, pas le footeux en préretraite à Paris, mais si, l’autre, celui qui avant de partir a laissé un mot dans les évangiles pour dire qu’il partait acheter des clopes ou préparer une place pour notre salut, en fonction des post-its, et qui n’a plus donné de nouvelles depuis. Dans un jargon plus respectueux que ma mécréance, on appelle cela la parousie: le second avènement du christ, le retour du patron.

Comme l’époque actuelle ne brille pas par sa patience, une église évangélique américaine qui aime le strass et les paillettes décide d’organiser une émission de téléréalité sur une chaîne plus câblée que ses participants, pour désigner le nouvel élu. L’émission, « He is Alive ! », va regrouper une bande d’illuminés plus ou moins touchés par la grâce. Les candidats sont forcément au nombre de treize et ils vont monter sur la Cène… Le public attend des miracles devant son écran et doit voter pour se choisir un dieu.

Un universitaire en perdition en France va rejoindre la production de l’émission car il a écrit une thèse vingt ans plus tôt sur cette sympathique secte en communication. Il va vite oublier sa posture intellectuelle et rejoindre le délire commun en tombant sous le charme d’une candidate et en consommant plus de cocktails que d'eau bénite.

Ce roman de Gerald Bronner, professeur de sociologie, m’a fait penser à un tube de Génésis « Jesus he knows me », satire géniale de ces pasteurs médiatiques plus soucieux de se remplir les poches que de sauver les âmes des fidèles. Ecoutez ce morceau et vous le fredonnerez un bon moment.

L’histoire est jubilatoire, très rythmée, comme un road movie, avec un petit verset de cynisme, quelques prières désenchantées et une autodérision au service de la raison. Du sur mesure pour un mauvais esprit comme moi.

Ce roman interroge au fond l’idolâtrie irrationnelle que peut générer ces émissions de télé abrutissantes en poussant l’absurdité à l’extrême. Amen.

Comme il est question de croyance et de religion, l’auteur interroge tout au long du roman avec finesse l’autre versant de la foi, celui du doute. Est-ce que le messie auto-proclamé ou celui labellisé par la vox populi est bien l’élu ?

Divin casting. Pour Jésus, tapez un.

Ok, je vais à confesse. Jene suis pas couché...

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Apocalypse cognitive

« D’entre toutes les civilisations intelligentes possibles, l’humanité fera-t-elle partie de celles qui peuvent surmonter leur destin évolutionnaire ? Tout dépendra de la façon dont nous gérerons ce temps de cerveau libéré, le plus précieux de tous les trésors du monde connu. L’heure de la confrontation avec notre propre nature va sonner. Comme dans tous les récits initiatiques, le résultat de cette confrontation découlera de notre capacité à admettre ce que nous verrons dans le miroir. »



Le propos du livre est entièrement contenu dans ces lignes.

Le temps de cerveau libre, c’est-à-dire celui qui reste une fois qu’on lui a déduit le temps consacré à dormir, à se laver, à manger, au travail, aux transports et aux tâches domestiques a connu une augmentation sans précédent dans l’histoire de l’humanité. On estime qu’il s’établirait en moyenne à 5 heures par jour en France. C’est ce temps disponible qui fait l’objet du présent livre. Il représente en théorie un véritable trésor attentionnel, mais, en pratique, à quoi est-il consacré ? En dressant le constat passablement déprimant des usages, ou plutôt des mésusages que nous faisons de ce fameux temps libéré, le sociologue Gérald Bronner s’attache à montrer que ceux-ci découlent d’invariants communs à l’espèce humaine : les nouvelles technologies sociales n’ont pas créé notre besoin éperdu de reconnaissance ou notre goût pour le sensationnel, elles les ont juste considérablement amplifiés.



À quoi est donc consacré notre précieux temps disponible?

Je pense que vous connaissez tous le terme de junk food pour qualifier les aliments ultra-transformés qui réussissent l’exploit d’être à la fois extrêmement pauvres sur le plan nutritionnel et extrêmement riches en sucres et en mauvaises graisses, et qui, en flattant nos goûts les plus primaires, créent une véritable addiction. Eh bien, si l’on transpose ce concept de junk food aux contenus dont se nourrit notre cerveau au quotidien, on aboutit au constat qu’en moyenne plus de la moitié de notre temps libre est consacrée aux écrans, et, qu’en moyenne toujours, ce temps passé sur les écrans est majoritairement gaspillé à absorber des junk informations.

Que sont ces junk informations au juste ? Qu’est-ce qui retient le plus notre attention sur le « marché cognitif »?

Sans grande surprise, le sexe. Les vidéos pornos représentent aujourd’hui un bon tiers de la totalité des vidéos regardées chaque jour dans le monde.

Ensuite, la peur. Au milieu de la cacophonie ambiante, l’information qui suscite la peur retient tout particulièrement notre attention. Ce qui était un indéniable avantage au temps de la préhistoire où, pour survivre, il valait mieux avoir peur pour rien et prendre la fuite que ne pas s’alarmer et se faire bouffer par un ours, est devenu un réel handicap dans des sociétés soumises à un flux d’informations continu. Ainsi, l’agence Influence Communication qui scrute le fonctionnement des médias nord-américains a-t-elle relevé que l’année 2016, année de l’élection de Donal Trump, avait été marquée par un taux record de contenus informationnels relevant de la peur : 40%.

Souvent en lien avec la peur, vient ensuite la colère. Inutile de s’appesantir sur les effroyables méfaits de la colère, en particulier quand celle-ci s’empare de populations entières. Comme le résume la neuroscientifique américaine Molly Crockett : « L’indignation est un feu et les réseaux sociaux sont comme de l’essence. »

Le goût pour l’inconnu, la curiosité, profondément enracinés dans la logique du vivant, deviennent, dans un monde où les médias poursuivent jusqu’à l’obsession ce qui fait événement, très problématique. Pour attiser notre curiosité, les médias n’hésitent pas à accentuer, quand ils ne les créent pas de toutes pièces, l’incongruité ou la conflictualité de faits parfaitement anodins.

Enfin, notre besoin inassouvissable de reconnaissance qui nous pousse à poster des selfies à tout va, liker et disliker, pérorer à tort et à travers sur les forums, bref, à tout faire pour attirer l’attention. Ayant déjà longuement développé ce point dans ma critique des Liens artificiels de Nathan Devers, je n’y reviens pas.



Le propos de Gérald Bronner n’est pas de nous faire la morale, mais de nous éclairer sur les ressorts psychiques et biologiques du comportement humain.

« Rien n’est condamnable, en soi, dans l’expression de ces compulsions. Mais rien ne nous oblige non plus à en devenir les esclaves. »

Ces plaisirs attentionnels à court terme sont le fruit de mécanismes psychiques découverts dans les années 50. Ces mécanismes, baptisés circuits de la récompense par les chercheurs en neurosciences, ne sont pas mortifères en soi, bien au contraire. Ils jouent un rôle crucial dans la motivation de l’individu et de l’animal. Le problème, c’est que lorsqu’on active trop fréquemment ces circuits du plaisir à court terme, on se met à générer un niveau de dopamine durablement élevé dans la zone postérieure du cerveau, qui aboutit à une redistribution des connexions neuronales dans cette zone au détriment du cortex préfrontal.

« Il se trouve que les neurones voient leur niveau d’excitabilité s’élever à mesure qu’ils sont excités par la dopamine. Pour obtenir le même effet, il en faudra toujours plus; cela décrit exactement ce qui se produit dans les phénomènes d’addiction. »



Notre appétence à titre individuel pour la jouissance immédiate qui détourne une part significative de notre précieux temps libéré vers des junk informations pose déjà un grave problème en soi : manque d’attention et de concentration, frustration, addictions parfois mortifères … sans compter que ce gaspillage du temps individuel représente un énorme gâchis en terme d’intelligence collective. Mais ce n’est pas tout. Ces informations, parce qu’elles s’appuient sur nos peurs, notre goût pour le conflit ou le sensationnel, nous présentent une vision terriblement déformée de la réalité, entretenant un rapport lointain avec la vérité, quand elles ne l’escamotent pas purement et simplement. Malheureusement, selon une loi énoncée par le programmateur italien Bardolini : « La quantité d’énergie nécessaire à réfuter des idioties est supérieure à celle qu’il faut pour les produire. » Autrement dit, rétablir la vérité est plus coûteux que de la travestir. Les théories complotistes et les fake news ont manifestement de beaux jours devant elles.



Enrico Fermi, prix Nobel de physique en 1938, estima qu’en tenant compte du nombre d’étoiles de notre galaxie et du nombre possible de systèmes planétaires gravitant autour d’elles ainsi que du nombre d’entre elles susceptibles d’accueillir la vie, le nombre de civilisations extraterrestres susceptibles de nous visiter était assez important. Or, à ce jour, en dépit de la mise en place d’un système d’écoutes de potentiels signaux extraterrestres, seul le silence cosmique nous a répondu. De toutes les hypothèses qui tentent d’expliquer le paradoxe de Fermi, l’une paraît s’imposer, nous dit Bronner, particulièrement inquiétante : une civilisation, où qu’elle se trouve, doit avoir dépassé un certain niveau de maturité pour se lancer dans l’exploration spatiale. Si l’espace reste silencieux, c’est parce que ceux qui ont eu l’occasion de faire un parcours similaire au nôtre se sont effondrés avant.



Les conclusions de Bronner, pour accablantes qu’elles soient, s’appuient sur des prémisses qui méritent d’être discutées. En ne s’intéressant qu’à la junk information véhiculée par les écrans (TV, jeux vidéos, réseaux sociaux, sites Internet), l’auteur passe sous silence la contribution de ces derniers en termes de joie, de connaissances, de sociabilité, de partage, de découvertes, d’émulation, etc. Pour ne citer que l’exemple de Babelio, nous sommes nombreux, une majorité sans doute, à considérer que le site nous apporte davantage de bienfaits que de méfaits. Par ailleurs, Bronner déplore le fait que la plus grande part de notre intelligence collective soit gaspillée, alors qu’on en aurait grand besoin afin de relever les immenses défis de notre temps. Oui, certes, c’est désolant. Mais n’en a-t-il pas toujours été ainsi? Les progrès enregistrés par l’humanité n’ont-ils pas été de tous temps le fait d’une infime minorité? Et même si une majorité de l’humanité enfin libérée des contraintes de la survie est bêtement occupée à assouvir ses plaisirs immédiats, il n’en reste pas moins vrai que le nombre de gens consacrant une part non négligeable de leur temps libre à des tâches fécondes n’a jamais été aussi grand.



« La pensée n’est qu’un éclair dans la nuit, mais c’est un éclair qui est tout. »

Henri Poincaré, La Valeur de la science.

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Apocalypse cognitive

L'essai de Gérald Bronner publié en 2021 repose sur un constat implacable : « le temps de cerveau disponible » n'a jamais été aussi important qu'aujourd'hui. Et notre avenir dépend de l'utilisation que nous ferons de ce temps autrefois dédié à un dur labeur. Selon que ce temps sera consacré à regarder des vidéos de chats, ou à approfondir nos connaissances, se dessinera un avenir très sombre ou porteur d'espoir.



« Apocalypse cognitive » est un essai foisonnant, parfois complexe, souvent passionnant, qui se propose d'aborder les enjeux relatifs à l'émergence d'un « marché cognitif », où se confrontent une demande et une offre de contenus numériques. Afin de nous éclairer sur le développement de ce marché d'un genre nouveau, l'auteur nous propose un décryptage très fin des mécanismes cérébraux mobilisés par l'offre permanente de contenus.



Hanté par la pandémie du Covid-19 qui a servi d'accélérateur au développement du marché cognitif, l'essai de Gérald Bronner revient sur ce monde à l'arrêt, dont le temps de connexion à différents contenus numériques (et notamment aux réseaux sociaux) a augmenté de manière exponentielle.



« Apocalypse cognitive » prend le temps d'analyser son sujet, de situer les enjeux, de tenter de comprendre les mécanismes en jeu. Et pourtant. L'essai publié en 2021 est déjà daté, sans que cela soit imputable à son auteur, qui ne pouvait prévoir l'émergence d'une Intelligence Artificielle capable de générer des contenus (livres, chansons, peintures, etc.). Si ce phénomène vient modifier le fonctionnement du marché cognitif tel que l'auteur l'envisage, il accroît surtout la pertinence des questions existentielles abordées par l'essai.



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L'auteur se montre facétieux lorsqu'il nous dévoile à la page 190 le véritable sens du titre de son ouvrage qui emprunte à l'Apocalypse selon Saint Jean. le titre peut ainsi de prime abord se comprendre comme « catastrophe cognitive ». En réalité, l'auteur s'appuie sur les étymologies latine et grecque d'apocalypse, qui signifient respectivement, « révélation », et « action de dévoiler une vérité auparavant cachée ».



S'il est parfois teinté d'inquiétude, le but de l'essai n'est pas de décrire la fin des temps, mais d'examiner les conséquences de la fluidification du marché cognitif, de dévoiler le dessous des cartes d'un phénomène au développement exponentiel.



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La première partie de l'ouvrage revient longuement sur la confrontation dérégulée de l'offre et de la demande du marché cognitif.



Son raisonnement s'appuie notamment sur les multiples mécanismes cérébraux qui expliquent notre pente « naturelle » à nous intéresser aux catastrophes, aux faits divers sordides, des informations qui mobilisent une forme de peur « archaïque » dévoyée. Il revient également sur appétit insatiable de nouveaux « like » sur les réseaux sociaux, permettant de sécréter la dopamine dont notre cerveau est si friand. Gérald Bronner revient ainsi en détail sur différents phénomènes documentés qui permettent d'expliquer les invariants ontologiques de la demande cognitive.



Après avoir établi la nature anthropologique de la demande, l'auteur s'intéresse à l'offre qui, selon lui, ne fait que satisfaire la demande. En bref, tout le monde prétend adorer Arte, mais préfère regarder un programme affligeant sur TF1. L'offre de qualité existe et « l'apocalypse cognitive » tient davantage à une demande paresseuse, avide de satisfaction immédiate, ou de sujets « sensationnels », pour des raisons complexes qui tiennent notamment à la nature même de notre fonctionnement cérébral.



On comprend que l'auteur n'est pas un adepte de la coercition et croit aux vertus du libre-échange même lorsque celui-ci concerne notre temps de cerveau « disponible ». Une position discutable qui est néanmoins défendue avec un certain brio.



Il me semble que l'auteur se trompe lorsqu'il ne voit nulle malveillance dans l'offre cognitive qui sature le marché, que TikTok (par exemple) est volontairement conçu pour abêtir les jeunes générations occidentales (en utilisant les mécanismes décrits par Bronner), et que l'addiction aux réseaux sociaux des plus jeunes doit être combattue, y compris par la coercition.



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L'auteur consacre un long développement à combattre la théorie de « l'homme dénaturé », élaborée par de nombreux esprits critiques qui considèrent que l'offre du marché cognitif est volontairement dessinée pour asservir les esprits, destinés à être dévorés par l'ogre capitaliste.



Il cite l'un des tenants de cette théorie, Jonathan Heller :

« Les mass-médias sont une usine déterritorialisée, dans laquelle les spectateurs se fabriquent eux-mêmes de façon à correspondre aux protocoles libidinaux, politiques, temporels, corporels et, bien entendu, idéologiques, d'un capitalisme en voie d'intensification croissante. »



La théorie de l'homme dénaturé implique une logique implicite d'intentionnalité, dans laquelle « les groupes dominants cherchent délibérément à asservir les foules ». Une thèse que défendait déjà Gramsci, pour qui les médias sont au service d'une bourgeoisie cherchant à asseoir sa domination sur la société.



Pour l'auteur, cette analyse refuse d'admettre le caractère anthropologique et donc inéluctable de nos pulsions, qui doivent certes être encadrées, mais qui déterminent la demande parfois peu glorieuse (sexe, sensationnalisme) du marché cognitif. Une demande à laquelle, selon l'auteur, l'offre ne fait que s'adapter.



Si une fois encore, Bronner défend son point de vue avec un certain brio, la question de l'oeuf et de la poule laisse perplexe. Est-ce vraiment l'offre qui s'adapte comme dans de nombreux marchés « classiques » à la demande, comme le soutient l'auteur ? Ou faut-il considérer le marché cognitif comme un marché « à part » dans lequel l'offre pourrait imposer son primat sur la demande ?



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La troisième thématique abordée est celle de la désintermédiation permise par le développement des plateformes numériques qui permet aux leaders néo-populistes tel que Donald Trump de s'adresser directement à leurs électeurs sans passer par les mailles des médias classiques.



Ce nouvel avatar de la dérégulation du marché cognitif ne laisse pas d'inquiéter, en permettant à quiconque d'asséner des contre-vérités avec une assurance qui laisse coi, laissant de côté toute tentative d'argumentation analytique.



En bref, la fluidification à l'infini du marché cognitif permet de propager des « fake news » à tout-va et nous fait entrer dans l'ère de la post-vérité. Ce contact direct entre les dirigeants et le commun des mortels permis par des outils tel que X (ex-Twitter) donne l'illusion de l'avènement d'une démocratie plus « authentique ». Ce n'est hélas qu'une illusion tant cette désintermédiation se fait au détriment de l'analyse, de la prise de hauteur, en un mot de la réflexion.



L'accélération inouïe de l'afflux d'informations vient saturer l'espace médiatique, qui souffre d'une absence de hiérarchisation, au détriment de sujets complexes tels que la situation géopolitique au Moyen-Orient, et au profit de faits divers scabreux qui captent une attention cognitive souvent trop paresseuse.



S'il est difficile de donner tort à l'auteur sur ce dernier point, rappelons qu'en 1986, les médias français nous ont doctement annoncé que le nuage de Tchernobyl s'était arrêté à la frontière avec l'Allemagne. Un mensonge éhonté que la multiplication des canaux d'information rendrait aujourd'hui impossible.



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Gérald Bronner conclut en rappelant les nombreux défis auxquels nous faisons face : dérèglement climatique, épuisement de nos ressources, possibilité d'une auto-destruction massive, et plus étonnant, conquête spatiale dédiée à la recherche d'une civilisation extra-terrestre.



La hauteur de ces défis doit conduire à ne pas sous-estimer les « effets pervers de la dérégulation du marché cognitif : en fluidifiant les relations entre l'offre et la demande, elle nous abandonne à des boucles addictives profondément enracinées dans notre nature ». Autrement dit, c'est parce que notre ressource cognitive est finie « qu'il faut en faire un usage raisonnable et considérer le cambriolage attentionnel comme un fait politique. »



L'auteur revient également sur l'abolition de l'ennui, pourtant nécessaire à la rêverie, créée par la présence permanente de téléphones, tablettes ou ordinateurs. En affirmant que « toute amputation de ce temps de rêverie à explorer le possible est une perte de chances pour l'humanité », il dresse un portrait très sombre des conséquences de la fluidification infinie du marché cognitif.



« On se tromperait donc gravement sur tout ce qui précède si l'on croyait que j'approuvais, même avec la pudeur de l'implicite, des mesures liberticides pour réguler le marché cognitif ».



Tout est dit, Gérald Bronner est un libéral qui préfère « réguler » qu'interdire et craint que le remède ne soit pire que le mal.



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« Apocalypse cognitive » évoque les dangers de la dérégulation du marché cognitif avec une hauteur de vue qui force le respect. Dans cet essai foisonnant, l'auteur aborde de nombreux versants d'une montagne bien difficile à gravir. Sans jamais tomber dans un catastrophisme racoleur, il dresse tout de même un panorama très inquiétant des conséquences de ce nouveau paradigme d'un monde virtuel qui prend une ampleur sans cesse grandissante dans nos vies, et mobilise, pour le meilleur et, hélas le plus souvent pour le pire, notre précieux temps de cerveau disponible.



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Deux remarques pour conclure.



La première concerne l'obsession de l'auteur pour le plafond de Fermi (plafond civilisationnel permettant d'accéder à la rencontre de civilisations extra-terrestres) qu'il développe dans sa conclusion. À supposer que ces civilisations existent, je ne sache pas que les rencontrer puisse être considéré comme un enjeu majeur.



La seconde concerne le développement exponentiel de l'Intelligence Artificielle générative, qui vient fluidifier à l'infini le marché cognitif en y insérant des contenus générés par des robots. Des contenus désincarnés sans aucune valeur intrinsèque, potentiellement totalement erronés, dont la multiplication éclaire d'une lueur crépusculaire le développement à venir du marché cognitif, en privant notamment les jeunes générations du temps consacré à la réflexion personnelle, un temps bientôt aboli par un clic sur Chat GPT, un clic qui résonne comme un clap de fin, et pourrait bien redonner au titre de l'essai son sens premier d'Apocalypse.



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Je remercie enfin sincèrement Anna@AnnaCan qui m'a permis de découvrir cet ouvrage aussi érudit que stimulant à travers sa superbe chronique que je recommande vivement.



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Apocalypse cognitive

Le visage terrible de la Méduse peint par le Caravage et le titre de ce livre intriguent, et c'est sans doute le but recherché par Gérald Bronner, éminent sociologue, étant donné le sujet qu'il aborde dans Apocalypse cognitive.

Dans le texte, l'auteur expliquera que le mot apocalypse n'est pas à prendre dans le sens qui lui devenu commun, celui d'une immense catastrophe, d'un chaos final de la planète, mais bien dans son sens premier, tiré du grec qui est celui de dévoilement, de révélation; et que la Méduse est la réalité terrible de notre époque marquée par une certaine forme de déraison, que nous n'osons pas regarder en face, comme ce personnage de la mythologie grecque.



Car il s'agit bien de nous dévoiler, avec une argumentation fondée sur de nombreuses preuves scientifiques, que les humains, dont le temps de cerveau disponible a considérablement augmenté durant ces dernières décennies, ne l'utilisent pas pour se former, pour mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent, mais, bien au contraire, ce temps libéré sert essentiellement à utiliser des processus profondément ancrés dans notre patrimoine génétique d'Homo sapiens, et plus largement d'hominidés et d'animaux.



L'ouvrage est structuré en 3 parties principales:



- Dans la première partie nous sont expliqués les facteurs qui ont contribué à nous dégager du temps libre, c'est à dire non employé au sommeil, au transport et au travail, aux tâches domestiques et aux activités sportives. Rien de neuf à ce sujet, progrès de la technologie dans tous les domaines, transport, automatisation et robotique ont réduit par exemple notre temps à parcourir de grandes distances, à exécuter des tâches ménagères, à échanger des informations, etc..Le temps de travail a baissé régulièrement. Ce qui est intéressant, c'est de nous rappeler combien ces progrès techniques ont suscité d'espoirs chez nos anciens en matière de développement de la connaissance et de la qualité de vie. Ainsi la citation optimiste de Jean Perrin datant d'il y a environ cent ans, qui rétrospectivement peut faire sourire, ou grincer des dents c'est selon: « les hommes libérés par la science vivront heureux et sains, et développés jusqu'aux limites de ce peut donner leur cerveau. Ce sera un Éden… » ou celles plus récentes relatives aux progrès de l'informatique vont très vite laisser place à une autre réalité. Et l'auteur nous montre dans ce chapitre que le temps disponible a été absorbé en majeure partie sur les écrans, conduisant majoritairement, surtout chez les plus jeunes, à une perte de disponibilité de l'esprit pour la contemplation ou même la rêverie, et une diminution inquiétante du temps de sommeil.



- Et qu'est ce qui se passe sur les écrans d'ordinateurs et de smartphones? C'est ce ce à quoi s'attache la deuxième partie, la plus passionnante et la plus argumentée, car Bronner, qui travaille beaucoup avec des neurobiologistes (ses travaux lui ont valu d'ailleurs de faire partie de l'Académie de Médecine) fait le lien avec les mécanismes comportementaux et cérébraux qui caractérisent notre espèce depuis l'origine et qu'elle a hérité, pour certains d'entre eux, de nos ancêtres simiens et pré-simiens. Après avoir décrit quelques particularités curieuses et uniques de notre cerveau importantes pour comprendre notre attitude face à internet telle la capacité à saisir une information qui nous concerne au sein d'un brouhaha de voix (effet dit « cocktail ») et au contraire notre difficulté à voir des images « parasites » ou secondaires lorsque notre cerveau concentre son attention sur un récit tel un film policier, Bronner passe en revue, et en n'est pas joli, joli, à quoi les humains passent majoritairement leur temps sur internet. Sans surprise, et cela a été déjà décrit dans d'autres études, le sexe, qui représente environ un tiers du traffic sur le web, 146 millards de vidéos visionnées par an en 2021, ces chiffres laissent rêveurs. L'auteur nous explique aussi que l'on trouve aussi parmi les visiteurs assidus, ceux des pays aux moeurs rigoristes, tels le Pakistan, l'Iran ou l'Arabie saoudite, je dis ceux volontairement, car si les statistiques ne peuvent identifier les individus, il fort à parier que ce sont majoritairement des hommes, puisque c'est déjà le cas en France où la gent masculine représente encore les trois-quarts dans une enquête récente. Plus intéressants sont les développements consacrés à deux émotions primaires, la peur et la colère. La peur ou l'hyper-vigilance à l'égard du danger peut être considérée comme un avantage sélectif qui a sélectionné dès l'apparition du genre Homo, et même à avant , les êtres les plus disposés à surestimer le danger. Comme l'écrit l'auteur, « nous sommes les descendants des peureux ». Mais ce qui était un avantage devient, à l'époque de l'internet et des réseaux sociaux, la cause du fameux principe de précaution, mais aussi de la propagation de craintes infondées et irrationnelles, telles celles du danger des vaccins, de la 5G, des compteurs Linky etc….qui aboutissent souvent à des incohérences de comportement, c'est à dire à vouloir une chose et son contraire. Dans le même ordre d'idée, l'agressivité et la colère qui représentent des émotions métamorphosées du danger, sont profondément enracinées dans notre cerveau. Et l'auteur nous montre de nombreuses études qui montrent que des informations se rapportant à des conflits entre personne se propagent beaucoup plus facilement sur le web, et font bien plus d'audience que des événements positifs. Et nous montre aussi que les médias d'information en continu l'ont bien compris, de même que les géants du web qui ont développé des algorithmes mettant en avant les événements de conflits. Et ainsi Bronner nous livre un décryptage de ce que des mécanismes mentaux hérités de nos ancêtres vont se retrouver considérablement utilisés et amplifiés par internet et surtout les réseaux sociaux, qu'il s'agisse de la curiosité (qui peut être un vilain défaut), la recherche à se distinguer des autres (pour autrefois se reproduire ou obtenir de la la nourriture), des croyances destinées à expliquer le monde qui entourait les hommes préhistoriques devenues ces théories diverses qui visent à simplifier un monde devenu toujours plus complexe. Et, bien entendu, le web offre une diffusion planétaire incomparable en vitesse et en nombre de personnes touchées. Et cette rapidité d'échange empêche de prendre le recul nécessaire et active les boucles addictives de notre cerveau. Bref, c'est à la fois passionnant et inquiétant, car on réalise que Cro-magnon n'est pas loin, que les espoirs fondés sur les progrès de la raison et de la science sont loins de s'être confirmés, que nous utilisons les outils modernes comme autrefois nos ancêtres les silex, les lances et les propulseurs.

- Enfin, la troisième partie aborde la question plus sociologique voire politique, de savoir qui manipule qui. Bronner y analyse en détail et avec de nombreuses références, la controverse selon laquelle les médias influencent nos goûts, comme le prétendent certains sociologues ou philosophes ou au contraire s'y adaptent, dans un logique de marché de l'offre et de la demande. le résultat est sans appel. Bien que beaucoup s'en défendent, ce sont les programmes qui ne demandent qu'un minimum d'attention et de réflexion qui font de l'audience TV; en 2014, année de son prix Nobel de littérature, Patrick Modiano aura un nombre de citations sur les réseaux proches de zéro, en comparaison de celles de Nabila! L'auteur montre que théories de philosophes, linguistes ou sociologues tels Marcuse, Adorno Gramsci, Chomsky, ou encore Bourdieu ou Debord , qui postulent que ce sont les hommes de pouvoir, les capitalistes entre autres, qui ont dès le départ utilisé les instruments de l'information pour asseoir leur domination sur les faibles, ne résistent vraiment à l'analyse des faits. Néanmoins, ce n'est pas le cas pour les néo-populismes qui utilisent sciemment les ressources d'internet et des réseaux sociaux pour promouvoir une démagogie sociale qui prétend s'adresser directement « au peuple » en ne passant pas par les médias, aux mains des soi-disant « élites », pour imprimer l'idée d'une «démocratie directe » passant par les réseaux sociaux, par les fameux référendums d'initiative citoyenne (comme si une génération spontanée d'idées pouvait se faire à partir d'un « peuple » au contours incertains), avec un discours qui s'adresse à notre cerveau primaire et ses ressorts archaïques que sont la peur, la « colère », la réaction immédiate, etc….



Dans sa conclusion, Gérald Bronner appelle à une prise de conscience planétaire de cette apocalypse cognitive, ce qu'il intitule avec humour la lutte finale, et nous rappelle que notre cerveau a toutes les ressources disponibles pour décider de son destin. Je suis beaucoup moins optimiste, voyant déjà, et c'est un point que n'évoque pas l'auteur, qu'une partie non négligeable de notre humanité vit dans des régimes dictatoriaux voire totalitaires, où l'expression est sous contrôle.



En conclusion, un ouvrage salutaire parmi d'autres de l'auteur tels la démocratie des crédules, ou d'autres remarquables par exemple ceux de de Empoli.

C'est aussi plein d'humour et de dérision, ce qui facilite la lecture.

Bien qu'il soit abondamment documenté, et fait appel à de nombreuses références scientifiques sérieuses, on peut reprocher, mais sans doute cela aurait été trop long, de ne voir que les motivations primaires («préhistoriques ») du plus grand nombre, et de ne pas mettre suffisamment l'accent sur la capacité de réflexion, de raison des humains. Après tout, le populiste Trump n'a pas été réélu, et il y a quand même des démocraties raisonnables. Mais le danger est réel, pourrait faire sombrer notre humanité, et une prise de conscience est urgente.
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Les origines

C'est à la mode les transclasses, ou transfuge de classe, ou nomades de classe, encore plus depuis le dernier Nobel. Tout le monde y va de son petit nom, pour mieux expliquer les choses à sa façon. Gérald Bronner préfère le nomadisme de classe pour parler de ces gens qui naviguent entre leur milieu d'origine et leur milieu d'arrivée tels des caméléons, transfuge est connoté trahison selon lui, Chantal Jacquet utilise transclasse car le changement de classe peut aller dans les deux sens. Moi je les appelle les débrouillards.

Dans cet essai, il y va de ses réflexions sur le mythe du transclasse, en s'intéressant tout d'abord à la mythologie de soi, à la typologie narrative du transclasse. Il fustige la stéréotypie d'une narration à tendance doloriste, et y oppose la fierté, via le mérite. À l'opposé de Chantal Jacquet, qui pointe dans sa théorie les illusions et les écueils du mérite. Dans le livre, j'ai trouvé la présentation de la théorie de Chantal Jacquet très réductrice par rapport à ce que j'avais pu lire, elle lui répond dans un débat sur philomag :

« Dans votre livre, vous écrivez que je fais preuve d'une « imagination débridée » lorsque j'écris que le mérite est une « pure construction politique, un instrument de gouvernement destiné à renforcer l'obéissance à l'ordre social par un système de valorisation ou de réprobation des comportements ». Pour vous, il est difficile de prendre au sérieux cette interprétation « lestée par le biais d'intentionnalité ». Mais vous extrayez une phrase de son contexte et lui imputez une signification qu'elle n'a pas. Il s'agissait en l'occurrence d'expliquer qu'historiquement, le mérite est une construction théologique et politique, qui n'a de valeur que dans l'état civil. Il n'a aucun fondement ontologique. À l'état naturel, il n'y a ni mérite ni faute. »



Reste que le livre m'a beaucoup intéressé, il mêle neuroscience et psychologie à la sociologie et la philosophie, on se doute qu'il sera question de Bourdieu, mais aussi de Raymond Boudon son pendant moins marqué du biais d'intentionnalité selon Bronner, mais aussi d'Ernaux, Eribon,... Mais Bronner explore aussi la biologie, l'inné et l'acquis, l'importance des pairs et des rencontres (les fées selon Norbert Alter) dans la construction de soi. Il évoque aussi la créativité et les capacités langagières assez communes chez les transfuges, sans trop s'y attarder non plus (dommage).

J'ai beaucoup aimé sa conclusion, qui tend à rendre quasi impossible une théorisation uniforme des origines (via le cas particulier des transclasses). Et si après tout, les transclasses avaient tous leur singularité et leur propre histoire, malgré leurs points communs évidents ?
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Apocalypse cognitive

Voilà un livre d’une incroyable densité. De la première à la dernière page. Un essai, pur et dur.



De quoi s'agit-il ?



Gérald Bronner, croise deux disciplines : la sociologie et la neurobiologie. Il met ainsi au service de son étude les dernières avancées en matière de connaissance des mécanismes profonds du cerveau humain (les circuits de la récompense en particulier) ET les phénomènes de société qui caractérisent l’augmentation toujours croissante du temps libre dont nous disposons (ce qu’il appelle le temps de cerveau disponible).

Et se demande pourquoi les écrans (Télé, ordinateurs, téléphones portables) prennent tant de place dans l’espace temporel qui a été libéré par les gains gigantesques de productivité effectués au cours des deux derniers siècles.



Autant le dire tout de suite, ce voyage d’une grande intelligence et d’une froide rigueur ne nous réserve pas que des bonnes surprises ! A vrai dire, il y en a un certain nombre de très mauvaises.



Il explique pourquoi l’usage que nous faisons de notre temps de cerveau disponible est pour une bonne part un gâchis. Car le cerveau est un "trésor" au sens cosmologique du terme. Un trésor qu'il est d’autant plus regrettable de mal l'utiliser que les défis qui se posent à l’humanité en ce début de millénaire nécessitent toutes les intelligences disponibles. Inutile d’être grand clerc pour comprendre que ce n’est pas vraiment le moment de gâcher ce trésor collectif.



Et c'est là que Gérald Bronner frappe fort. Il explique pourquoi les écrans sont venus percuter en plein vol les espoirs que l'on pouvait placer en tout ce "temps de cerveau disponible", comme dit, dont on a particulièrement besoin.



L'une des idées qu'il met en avant est que la profusion des informations qui découle de la multiplication des intervenants sur le « marché cognitif » nuit à leur qualité – ça, on s’en serait douté - mais aussi et surtout aux destinataires (monsieur tout le monde, vous et moi) qui sont déchirés entre satisfaction de leurs biais cognitifs (curiosité, colère, émotion, sexualité, haine) induits par notre cerveau et la rigueur nécessaire à l’analyse rationnelle capable de produire de vraies réponses.



Alors quelle solution ?



La seule sortie par le haut, estime M. Bronner, est de réfléchir à l’éditorialisation du monde, c’est-à-dire à la façon dont nous voulons élaborer un nouveau « récit du monde ». Il développe l’idée que nous pouvons, individuellement, participer à l’élaboration d’un « récit » de qualité si nous prenons conscience de nos biais cognitifs et que nous décidons de les tenir à bonne distance pour produire nous-mêmes un « récit » différent et salvateur. Particulièrement convaincant.



A tous les lecteurs : accrochez vos ceintures. C’est passionnant !
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Comme des dieux

Il est des romans dont on ne retient que la quatrième de couverture.

C’est le cas de “Comme des Dieux” qui m’est apparu manquer d’ossature avec une histoire dont j’ai longtemps attendu qu’elle démarre.



L’idée de départ était pourtant intrigante : le messie a été casté parmi les candidats d’une émission de téléréalité : “He is alive”.

C’est dire que la sélection a été draconienne pour trouver les treize personnes susceptibles d’être le Christ.



Je cherche parfois des excuses au fait d’être passé à côté d’un livre.

Ici je n’en n’avance pas, je ne me suis pas retrouvé dans ce roman dont je n’ai pas compris la direction qui hésite entre plusieurs genres et dont le protagoniste n’a pas su trouver mon empathie.



L’écriture, plutôt agréable, n’est pas soutenue par un récit peu tenu.



Gérald Bronner est professeur de sociologie, et parfois le sociologue prend le dessus sur le romancier et c’est plutôt intéressant, mais vite le romancier reprend la main et me perd.



Poursuivant la lecture jusqu’au bout, j’ai attendu l'aventure, mais elle ne s’est pas pointée au rendez-vous.



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Apocalypse cognitive

Voilà une lecture qui rempli bien le cerveau et qui le rempli intelligemment.



J’avais du temps de cerveau disponible et je ne l’ai pas donné à une boisson gazeuse où à une chaîne de télé qui est souvent en tête des audiences.



Oui, cet essai est copieux mais sans jamais devenir indigeste. Malgré tout, je l’ai lu sans me presser afin de tout bien digérer (et en allant vérifier des mots au dico).



L’Homme n’a jamais eu autant de temps de cerveau disponible. Mais qu’en fait-il ? Le remplit-il de manière intelligente ou pas ?



Le consacre-t-on aux sacro saints écrans (et réseaux sociaux) ou à autre chose qui va nous élever ? Je vous le donne en mille, on se consacre tellement aux écrans que notre temps de sommeil a diminué.



Rassurez-vous, ceux ou celles qui ont le nez sur leurs écrans non stop ne sont pas responsables à 100%, les entreprises qui ont fait de nous leur produit savent ce qu’il faut faire pour monopoliser notre attention.



Grâce à nous, ils gagnent un pognon de dingue (mais moins que le groupe Carrefour, tout de même), pompent nos données, que nous leur avons données sans sourciller alors que nous nous hurlions si le Gouvernement nous en demande le quart de la moitié du tiers. Hors nos Gouvernements ne sont pas des entreprises…



Il serait difficile de résumer cet essai, j’aurais l’impression d’oublier des tas de trucs importants. Déjà rien qu’en écoutant son auteur en parler à "La Grande Librairie", mon cerveau avait déjà doublé de volume et j’avais été me coucher moins bête. La lecture me l’a rempli encore plus et je me dois de digérer tout ça à mon aise.



J’ai beau apprécier les lectures instructives et les études du comportement humain (qui n’hésite pas à se contredire), mais je ne voudrais pas lire ce genre d’essai tous les jours, car je pense que mes cellules grises surchaufferaient devant tant de données instructives. En fait, c’est épuisant, mentalement parlant, j’ose le dire.



Un essai qui associe la sociologie à la neurobiologie, qui parle des contradictions humaines (on veut des programmes instructifs, mais on regarde TF1), de ce que nous faisons de notre temps de cerveau disponible et qui est sans concession, car nous ne sortirons pas grandi de cette étude au scalpel.



Un essai copieux, un menu 5 étoiles, avec entrée, plat et dessert, une lecture hautement nourrissante pour mon petit cerveau et qui me donnera matière à réfléchir, car j’ai envie d’en parler autour de moi et d’expliquer aux gens pourquoi malgré notre désir de regarder ARTE, nous allons sur TF1…



PS : Étymologiquement parlant, le mot "apocalypse" n’a rien à voir avec la signification qu’on lui donne de nos jours…



Il faut lire ce livre pour le savoir ou alors, demander à Wiki…


Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Crédulité et rumeurs

Dernier né de la Petite Bédéthèque des Savoirs, ce tome consacré à la rumeur et la manipulation se dévore facilement.

Avec Krassinsky aux manettes (voir le très bon Crépuscule des Idiots) je ne suis pas étonné.

L'ouvrage parlera à tous car il n'est pas là pour démonter les complots ou les rumeurs une à une, mais pour éclairer le fonctionnement de l'esprit humain et les divers biais cognitifs (150 recensés tout de même) qui font que l'on peut être tenté de les croire.

Et même si le bilan est pessimiste (il n'y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir, ou plus borné que celui qui veut croire) ce petit ouvrage pourrait bien mettre du plomb dans la tête de ceux qui l'auraient entre les mains.

À lire accompagné d'un adulte pour les plus jeunes, mais dès le lycée on trouvera des références bibliographiques et des idées d'oibrages pour approfondir cet intéressant sujet de la manipulation de l'esprit humain...



Petit bémol pour la mise en BD avec une histoire qui ne rime pas à grand chose et une fin obscure (et il manque un mot par ci par là).



Merci à Babelio et aux éditions Le Lombard pour cet ouvrage reçu dans le cadre d'une Masse Critique.
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Exorcisme

Prophétie.



Gérald Bronner raconte sa période mystique débutée à l'adolescence et prolongée durant ses études supérieures.



Gérald Bronner est un sociologue spécialisé dans les croyances. Ce sujet de recherche n'est pas un hasard, Gérald Bronner a été croyant pendant une dizaine d'années. Enfant d'une famille modeste de Nancy, l'auteur va se détourner progressivement de la petite délinquance et se transformer en prophète.



L'Apocalypse serait proche et Nancy serait son déclencheur. Fasciné par l'ésotérisme, influencé par diverses légendes urbaines et intrigué par des coïncidences, Gérald Bronner va fonder un mouvement religieux comptant une centaine d'adeptes à son apogée.



Suivre les tribulations du prophète et de ses disciples a quelque chose de fascinant. Les complots et les mystères s’enchaînent. Certains passages sont également très amusants à lire. Le mélange d'enthousiasme et de naïveté de l'auteur rend la lecture très agréable.



Gérald Bronner rend également un bel hommage à Nancy, ainsi qu'à ses proches. J'ai ressenti beaucoup de tendresse pour eux, tous plus fantasques les uns que les autres. Ce livre est également l'histoire d'une ascension sociale, celle de l'auteur. Ses croyances l'ont d'une certaine façon sauvé et permis de viser haut.



Bref, un excellent témoignage, à la fois d'un système de croyance, et du milieu d'origine de l'auteur.



Je remercie les éditions Grasset et Babelio pour l'envoi de ce livre.



MASSE CRITIQUE FEVRIER 2024.







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Crédulité et rumeurs

Repéré lors d'une Masse Critique, j'ai vite cherché à satisfaire ma curiosité sur ce sujet qui animait les débats - notamment lors de l'élection de Donald Trump.



Le contenu n'est pas exactement celui que j'attendais mais reste de qualité.



L'introduction présente le sujet, remettant dans son contexte historique les premières "fake news", rumeurs ou autres théories du complot (comme le protocole des sages de Sion, l'un des plus tristement célèbre). L'auteur insiste ensuite sur le rôle d'Internet dans la propagation endémique de ce phénomène. Grâce à ce nouveau média qui permet une plus grande instantanéité, qui est plus démocratique aussi (n'importe qui peut s'exprimer) et touche un nombre de gens plus important que les médias traditionnels : toutes les idées se valent et ont leur place sur ce nouveau marché de l'information.

Ce qui devient paradoxal lorsqu'on pense qu'il y a 200 ans, seule une certaine oligarchie avait accès à la connaissance, à l'éducation et l'information. Au 21ème siècle, si on a fait des progrès sur le taux d'alphabétisation, l'échec du siècle reste qu'à force de tout laisser faire, comme disait Umberto Eco : chaque personne qui s'exprime sur Internet se croit l'égal d'un Prix Nobel.... C'est la revanche de ceux qui ont fait peu d'études : ils peuvent se contenter de regarder quelques vidéos qui balancent des faits sans rien prouver et se réclamer savoir autant voir plus que des experts - qui sont de connivence avec les Illuminati, Sionistes, Francs-maçons, gouvernement corrompu et je ne sais qui d'autre.

C'est ce que met en scène la bande dessinée dans la seconde partie, avec deux ados, un ado "lambda" et un ado style petit génie.



Les grands mérites de cet ouvrage, en plus de ne pas être manichéen (avec gentil gouvernement d'un côté et méchants complotistes de l'autre) c'est qu'il expose :

- les stratégies des complotistes pour faire passer des infos "vraisemblables" et crédibles ,

- les systèmes limitants (cognitifs, psychologiques, culturels) qui nous rendent crédules.

Des notions complexes expliquées avec clarté.
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Exorcisme

Je ne sais pas trop quoi penser de ce livre de Gérald Bronner.

C’est une autobiographie, mais je me demande à quel point elle est romancée puisqu’il a changé certains prénoms.

Il se livre beaucoup et de manière très personnelle, mais en refermant le livre il me reste beaucoup de questions que j’aurais aimé pouvoir lui poser.

Ce n’est pas un roman, mais il se lit comme tel et j’y ai pris beaucoup de plaisir car son histoire personnelle est assez incroyable.

Je crois que le plus juste serait de parler de récit d’initiation. J’ai notamment beaucoup aimé le passage où il explique comment ce qui s’est passé pendant son adolescence nancéienne l’a conduit vers des études de sociologie et a nourri son sujet de recherches sur les croyances.

Comme toujours chez Gérald Bronner, j’ai été sensible aux aspects de son parcours qui se rapprochent du mien (mêmes origines géographiques et sociales) et un peu moins à d’autres (n’ayant aucun intérêt pour la magie et l’occultisme, j’ai préféré la partie desenvoutement à la partie envoûtement).

Ce livre est un OVNI au contenu foisonnant qu’il faut lire pour se faire sa propre idée, moi il m’a plu mais j’aurais du mal à le conseiller à quelqu’un que je ne connais pas car il est trop particulier.

Je remercie les éditions Grasset et l’équipe de Babelio de m’avoir offert l’opportunité de me faire ma propre opinion sur ce livre après en avoir entendu parler à la radio.

Et pour finir sur un petit clin d’œil, je signale que l’auteur cite Babelio à la page 230!
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Les origines

J’avais entendu Gérald Bronner parler de son livre à la radio et j’avais très envie de le lire car je m’intéresse beaucoup à la question des transfuges de classe, même si, un peu comme lui, je trouve le terme horrible.

Je remercie donc vivement l’équipe de Babelio et les éditions Autrement pour m’avoir offert cette opportunité.

J’ai trouvé cet ouvrage absolument passionnant, surtout la première partie sur le refus du dolorisme.

J’ai aussi trouvé intéressantes les comparaisons avec les œuvres d’Annie Ernaux et d’Edouard Louis.

Enfin, j’ai été très touchée par les deux scènes que l’auteur décrit au moment des résultats du bac (avec la patronne de sa mère et à la pâtisserie).

Je conseille vraiment cet essai à tous ceux qui se posent la question de l’influence de leur origine sociale sur leur vie, ils y trouveront des analyses argumentées et positives car refusant de tomber dans la honte ou l’apitoiement.

A titre personnel, ce livre m’a intéressée, m’a touchée, et je crois même pouvoir dire qu’il m’a fait du bien (mais ne vous attendez pas à un roman feel good, c’est quand même un ouvrage scientifique avec des passages un peu ardus!)

Enfin, une mention spéciale pour la couverture, qui est très réussie. C’est une excellente idée d’avoir ressorti de vieilles bandes de photos d’identité de l’auteur.
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La démocratie des crédules

Voici donc le volet applicatif du traité d'épistémologie de l'auteur, intitulé : L'Empire des croyances. D'une lecture plus aisée, cet essai qui a certainement rencontré un plus vaste lectorat que l'autre s'appuie sur l'actualité – le complotisme, la révolution du marché cognitif instaurée par Internet et aussi, ad abundantiam, les arguments de ceux qui sont appelés avec condescendance (voire mépris) « les militants précautionnistes » : lanceurs d'alertes soucieux des risques climatiques, des OGM, du nucléaire, de telle ou telle autre application scientifico-industrielle, sans oublier les dénonciateurs de la « vague de suicides » chez France Télécom – autant que sur de vieilles (tirées du volume cité) ou nouvelles erreurs logiques, statistiques, et autres limites culturelles et cognitives commentées afin de démontrer l'avancée des croyances fallacieuses qui, dans cet ouvrage, se présentent davantage comme des actes d'accusation, notamment contre le corps professionnel des journalistes, coupable de les divulguer.

Longtemps en lisant j'ai ressenti le malaise qui me saisit lorsque, superficiellement convaincu par les arguments avancés, je suis néanmoins persuadé que je n'y adhère pas en profondeur, et je m'efforce de trouver la cause de mon insatisfaction, jusqu'à parvenir à échafauder mon propre contre-argumentaire.

Voyons d'abord la ligne argumentative du livre :

- Chapitre Ier : « Lorsque plus, c'est moins : massification de l'information et avarice mentale » - il y est question de la révolution du marché cognitif, du « biais de confirmation » qui s'apparente, pour moi, au conformisme, et sont introduits deux contenus très intéressants (cf. cit. infra) : la notion d' « avarice intellectuelle » et le « théorème de la crédulité intellectuelle ».

- Chapitre II : « Pourquoi Internet s'allie-t-il avec des idées douteuses ? » - dans la question de la concurrence entre croyance et connaissance sur Internet, sont introduites deux notions intéressantes : « le paradoxe d'Olson » qui met en cause les motivations respectives des tenants des croyances et des connaissances, et les « produits Fort » ou « millefeuilles argumentatifs », concernant la construction des théories des complots par accumulation et mutualisation d'arguments donc chacun est relativement faible, mais qui se renforcent par effet cumulatif.

- Chapitre III : « La concurrence sert le vrai, trop de concurrence le dessert » - il y est question surtout de la critique des médias, soumis au célèbre « dilemme du prisonnier » dans leur décision, à prendre en temps trop limité, de transmettre ou non une information insuffisamment vérifiée. Le chapitre se termine par une intéressante « courbe de fiabilité de l'information/concurrence ».

- Chapitre IV : « La matrice du mal : un danger démocratique » - la question qui se pose est d'une grande gravité : la méthode démocratique est-elle ou non adéquate à atteindre l'intérêt général ? Dans la plupart du chapitre l'auteur semble répondre par la négative, au risque de passer pour un anti-démocrate (accusation qu'il rejette), et il détaille les cas où le « théorème de Condorcet » qui prédit que le nombre et la diversité des votants priment sur leur compétence s'avère défaillant. Cette démonstration assez articulée, qui commence par le « triumvirat démocratique » (cf. cit.) en inscrivant le problème épistémologique dans l'ontologie même de la démocratie, se conclut par la notion de « démocratie des crédules », voisine de la « démagogie cognitive » et du populisme.

- Chapitre V : « Que faire ? De la démocratie des crédules à celle de la connaissance » - in extremis, l'auteur « sauve » la démocratie mais non pas simplement par l'instruction, car celle-ci n'est pas un antidote à la crédulité, mais par un type d'instruction particulier, fondé sur la méthode critique, ainsi que, pour les journalistes, sur l'institution d'un organe déontologique entre pairs chargé de la sanction des fautes graves (fake news), et enfin sur une esquisse très vague et imprécise de « nouvelle forme de communication scientifique ».



Mes objections : je précise qu'elles concernent et qu'elles se sont développées à partir du Chapitre III : les exemples de croyances – contenus de crédulités, les deux deviennent ici interchangeables – glissent, à partir de ce chapitre et majoritairement, du complotisme farfelu et autres superstitions abracadabrantes, aux arguments des « lanceurs d'alertes », des militants globalement opposés au système économique dominant, dédaigneusement qualifiés de « précautionnistes ». Un considérable biais idéologique ne saurait échapper à personne. Mais je me suis demandé d'où pouvait venir, outre qu'idéologiquement, cette présence systématique d'une « croyance » de l'auteur. À noter que je ne remet pas en question de la validité de chacun des exemples, mais je me suis demandé : « Pourquoi opposer de façon manichéenne les arguments des militants (de gauche) avec la science et la statistique ? ». C'est presque la même question que pose Mona Chollet dans son : La Tyrannie de la réalité lorsqu'elle demande pourquoi la réalité est-elle toujours présentée comme étant « de droite » ? La réponse a fini par m'apparaître en ces termes : les conditions matérielles de la production et diffusion des croyances, ainsi que des connaissances qui leur sont opposées, ne sont jamais évoquées. On comprend la motivation des militants, que l'on peut approuver ou réprouver. On est d'accord sur les biais épistémologiques qui peuvent s'en ensuivre, en fonction du public. Mais, de la même manière, n'existe-t-il pas des motivations contraires chez les détendeurs des intérêts capitalistes qui s'exercent, ô combien puissamment, dans la création et diffusion d'autres croyances ? Car enfin, la propriété des médias ne peut pas être complètement ignorée, surtout dans le paysage médiatique français... L'identité socio-économique, (la connivence fréquente) entre pouvoir politique et médias est un phénomène trop abondamment étudié en sociologie pour être complètement, souverainement ignoré dans ce volume. Comment négliger, de surcroît, que de plus en plus, avec le désengagement financier public des instituts de recherche, il est aberrant de faire l'hypothèse d'une production scientifique indépendante du système économique et du pouvoir, dont la méthode serait le gage absolu de la vérité et d'une connaissance impartiale, à opposer au populisme et à la crédulité des croyances contestataires.

Les apports de la pensée critique, balayés d'un revers de main et de façon véritablement caricaturale dans deux phrases à la p. 290, qui plus est sur le thème de l'instruction des jeunes, finissent par être justement les révélateurs de la faiblesse de toute la démonstration. Car eux seuls, et non les banales, mesquins et vacillants remèdes suggérés au ch. V, fournissent le bâtiment imposant qui fortifie la démocratie, lequel permet, certes en en montrant les insuffisances actuelles, de ne pas jeter, comme le bébé avec l'eau du bain, ce formidable système de gouvernement dont les attaques hélas si actuelles, fréquentes et répétées constituent précisément la caractéristique principale du populisme et de la crédulité politique...





Cit. :



« […] notre "avarice cognitive" […] nous conduit souvent à endosser des croyances douteuses mais relativement convaincantes parce que nous n'avons pas, sur nombre de sujets, la motivation pour devenir des individus connaissants. C'est que si les connaissances méthodiques produisent souvent un effet cognitif supérieur aux propositions seulement "satisfaisantes" que sont les croyances, elles impliquent un coût d'investissement plus important. La probabilité de chances d'endosser celles-là est dépendante de la facilité à rencontrer celles-ci. » (p. 42)



« Ce théorème ["théorème de la crédulité informationnelle"] peut donc s'énoncer en sa forme la plus simplifiée ainsi : plus le nombre d'informations non sélectionnées sera important dans un espace social, plus la crédulité se propagera. » (p. 48)



« […] la démocratie souffre d'un mal génétique qui ne peut se révéler que sous certaines conditions technologiques : un mal matriciel qui, tapi dans l'ombre de l'histoire, attendait pour surgir qu'une certaine révolution s'opère sur le marché cognitif. […] "J'ai le droit de savoir, j'ai le droit de dire, j'ai le droit de décider" : ces dispositions ont paru incantatoires jusqu'à ce que nos prothèses technologiques leur donnent corps et fassent advenir "la démocratie des crédules". » (p. 219)



« Le véritable esprit critique, celui qui nous aide à contrarier l'aliénation que représentent parfois les suggestions de notre intuition, ne peut s'acquérir qu'à force d'exercices persévérants. Ce travail si nécessaire à l'avènement d'une démocratie de la connaissance ne peut donc se faire qu'en y insistant tout au long du temps éducatif […] et dans toutes les matières, dès que possible. Il faut creuser le sillon de la pensée méthodique pour que chacun soit en mesure de se méfier de ses propres intuitions, d'identifier les situations où il est nécessaire de suspendre son jugement, d'investir de l'énergie et du temps plutôt que d'endosser une solution qui paraît acceptable : en un mot, de dompter l'avare cognitif qui est en nous tous. » (p. 314)
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De quoi avons-nous peur ?

Ouvrage collectif divisé en chapitres. Historiens, philosophes, écrivains, comédien, artiste, parlent de ce que la peur représente, sa place en chacun de nous ou au sein d'une société; d'où vient-elle, par qui vient-elle, pourquoi est-elle véhiculée ou pourquoi est-elle si présente.



Le sujet me semblait intéressant mais certains chapitres étaient difficiles à ma compréhension et donc rébarbatifs. Par contre, j'ai bien aimé les passages où un artiste de cirque parle de son métier, et un chapitre dans lequel l'auteur fait référence à de nombreux films de cinéma. C'était plus concret.
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Comment je suis devenu super-héros

Je remercie Le Livre de Poche pour l'envoi, via net galley, du roman : Comment je suis devenu super-héros de Gérard Bronner.

Vous aimeriez être un super-héros ? C'est parce que vous ne savez rien de la vie qu'ils mènent !

Titan est un super-héros un brin dépressif. Les potes du commissariat de Lexington Avenue ont beau être ses premiers supporters, Titan n'a plus goût à rien.

Dans ces conditions va-t-il pouvoir affronter l'un des pires ennemis de sa carrière ?

Celui que les journalistes nomment déjà Le Vampire de New York, un tueur en série qui s'attaque aux surhommes.

Alors qu'il mène l'enquête, aidé par son vieux collègue Monté Carlo, une question bientôt s'impose à lui : sera-t-il le prochain sur la liste du Vampire de New York ?

Comment je suis devenu super-héros est un roman bourré d'humour avec lequel on ne s'ennuie pas une seconde car il y a énormément d'actions.

Je ne suis pas une grande amatrice des histoires mettant en scène des super-héros mais ici, j'ai passé un bon moment de lecture.

J'ai aimé l'histoire, les personnages. Ce n'est pas un simple roman avec des super-héros, ce polar noir est en fait une critique parfois acerbe de notre société.

Les personnages sont très intéressants, ils ne sont pas lisses et j'ai aimé suivre les aventures de Titan.

J'avoue que je n'ai pas envie d'en dire plus, surtout qu'un film devrait sortir bientôt (courant 2021 si tout va bien..). Je ne suis amatrice du genre mais cette fois-ci il est bien possible que j'aille le voir s'il sort en salle.

Comment je suis devenu super-héros est une bonne surprise qui mérite bien quatre étoiles.



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Les origines

Éclairant sur plein de points ! J'ai découvert ce livre à la télévision, je ne connaissais ni l'auteur, ni la couverture, mais le sujet m'a évidemment happée ! C'est clair et concis, bien écris et inspirant, et ça touchera quiconque se pose des questions sur ce thème abyssal que sont les origines.
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La démocratie des crédules

Gérald Bronner sort cette année « Apocalypse cognitive » qui a fait ici (https://aoc.media/opinion/2021/04/08/le-biais-bronner-ou-la-reductio-ad-cerebrum/) l'objet d'une intéressante dissection. Ce fut l'occasion pour moi de ressortir « La démocratie des crédules ». Un pas avant l'Apocalypse cognitive, le ton est ici plus modéré et Bronner affirme moins sa théorie sur le déterminisme cognitif rétrograde dont souffrirait l'homme. La date de publication de l'ouvrage (2013) joue peut-être également en faveur d'une certaine modération du propos.





A l'époque, il était encore relativement légitime de déclarer que « nous ne semblons pas au bord d'une guerre civile », et de déplorer que malgré tout, « dans tous les domaines, la contestation de l'autorité, de la parole officielle, et la méfiance dans les conclusions des experts sont tangibles. » Cette autorité et ces experts ne seront bien sûr pas définis puisque Bronner estime sans doute en faire partie, lui qui est invité sur de nombreux plateaux télévisés au titre d'expert prodiguant une juste parole sur notre monde. Depuis plus d'un an, les faits nous prouvent cependant que la contestation de l'autorité est beaucoup plus faible que les chiens de garde ne l'estimaient, alors même que la situation est tangiblement plus critique qu'en 2013.





Totalement piégé dans le discours techno-capitaliste, ne témoignant pas une seule fois de la moindre distance critique à son égard – ce qui est regrettable lorsqu'on prétend brasser de la sociologie – Gérald Bronner oppose les « croyances » à « la science et à la connaissance », ces deux derniers termes semblant, par la magie de la conjonction grammaticale, se résoudre en une stricte équivalence, la science devenant alors la connaissance, et la connaissance ne pouvant être que scientifique. Ainsi, la science dans l'assentiment qu'elle confère à l'extension du domaine techno-capitaliste n'est pas une seule fois remise en question, devenant elle-même une religion. Sans doute Gérald Bronner estime-t-il lui-même être un scientifique, ne serait-ce que dans le champ de la science molle.





Plus loin, nous croyons nous enfoncer encore davantage dans le rêve lorsque nous constatons que le droit de savoir, le droit de dire et le droit de décider, ces dispositions démocratiques qui « ont paru incantatoires jusqu'à ce que nos prothèses technologiques leur donnent corps » (remercions donc la technologie), conduisirent une fois accomplis à l'avènement de la « démocratie des crédules ». La définition de la démocratie est ainsi allègrement renversée par Gérald Bronner. Déclarant que le démos a toujours été un crétin ne demandant qu'à être guidé par quelques êtres d'exception, et déplorant que par son mauvais usage des techniques de l'information, le démos tende désormais un peu trop à remettre en question le discours dominant, Gérald Bronner insinue que la véritable démocratie n'est pas le pouvoir du peuple mais le pouvoir sur le peuple. Sans doute Gérald considère-t-il qu'il ne fait pas partie de ce peuple.





Finalement, comme dans « Apocalypse cognitive », Gérald Bronner nous révèle sa croyance scientifique : si les technologies créent le chaos dans notre monde, ce n'est pas de leur faute (l'outil est neutre) : c'est parce que l'homme a progressé plus lentement que les outils dont il peut désormais disposer. Ainsi part-il en couilles quand certains joujoux trop sophistiqués sont placés entre ses mains. Partir en couilles c'est-à-dire : transformer les objets conçus pour le divertissement et la transmission de la doxa dominante en menaces pour le pouvoir. Bref : Gérald Bronner ne critique jamais l'outil en lui-même, conçu comme inéluctable, ni les nécessités internes au marché qui créent la course au développement techno-industriel, mais le bas peuple lorsqu'il ne se sert pas uniquement des outils pour témoigner toujours davantage de son asservissement.





Eh ouais.

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