Trente jours séparent Olena Hapko, la nouvelle présidente de l’Ukraine juste élue, de son investiture. Trente jours pendant lesquels il va lui falloir jouer serré pour contrer les tentatives de déstabilisation des Russes, bien décidés à la faire tomber. Mais l’expérience et la férocité de cette oligarque habituée à employer la manière forte suffiront-elles ? Surtout lorsque le passé et ses violences ne demandent qu’à resurgir...
Journaliste spécialiste des pays de l’ancien bloc soviétique, Benoît Vitkine a obtenu en 2019 le prix Albert Londres pour ses enquêtes sur l’influence russe, tout particulièrement dans le cadre de la guerre du Donbass. En 2020, son premier roman Donbass nous impressionnait, sous couvert d'un polar, par ses images fortes et réalistes du calvaire vécu par la population de cette région, et par son habileté à rendre intelligible le contexte géo-politique ukrainien. Ce second roman poursuit dans la même excellente veine, avec une histoire aussi addictive, mais, sans aucun doute, bien plus frappante encore. Car, si, en dehors de Poutine et de quelques-un de ses proches, tous les personnages en sont fictifs, ils sont inspirés de personnalités réelles et composent un tableau, à ce point sidérant et effrayant soit-il, tout à fait représentatif de la situation ukrainienne il y a dix ans. Sous le choc, c'est d’un œil transformé et troublé que le lecteur observera, après cette lecture, la brûlante actualité russo-ukrainienne !
Alors que Donbass nous immergeait de plein-pied dans le quotidien sans horizon de petites gens s'épuisant à survivre, entre peur et misère, dans une société gangrenée à tous les étages par la violence et la corruption, nous voici cette fois au coeur des manigances des puissants, dans un combat sans limites pour le pouvoir. Olena Hapko est l’une de ses personnalités qui ont su profiter de l’effondrement du système soviétique pour, peu importe la méthode, s’emparer de secteurs économiques et bâtir des empires personnels leur assurant richesse et puissance. Crime et grand banditisme, complots et manipulations, intimidation et violence la plus extrême, forment le quotidien de ces oligarques pétris de brutalité et dénués de tout scrupule, qui, par la force, la peur et la corruption, tiennent entre leurs mains pouvoirs politique, économique et financier. Toute cette clique s’étripe sans merci dans de monstrueux combats d’égos, dont pays et populations tout entiers paient le prix fort. Les stratégies sont machiavéliques et ne renoncent à aucun moyen. Et toujours, en arrière-plan de ces affrontements, se dessine l’ombre du pouvoir suprême, celle du président de la Fédération de Russie, attentif à la moindre opportunité d’avancer ses propres pions en faveur de la puissance russe…
Le roman permet à Benoît Vitkine de donner corps, de la manière la plus parlante et le plus frappante qui soit, à sa connaissance fine de la situation et des intervenants à l’oeuvre en Ukraine et en Russie. Les stupéfiants rebondissements et retournements de son intrigue tendue par un implacable compte-à-rebours, tout comme ses personnages d’une férocité et d’un machiavélisme débridés dans leur affrontement sanguinaire pour le pouvoir, laissent entrevoir des nations russe et ukrainienne régentées, de haut en bas, mais aussi dans leur relation au monde, par la seule loi du rapport de force. La dernière page des Loups tournée, une évidence s'impose : le jeu de bras de fer russe ne date pas d'hier, la Crimée en ayant notamment déjà fait les frais. Il vient juste de s'élargir brutalement, en nous impliquant, nous, les Occidentaux, dans un test majeur, et pas seulement pour l'Ukraine. Car c'est le rapport de force mondial que Poutine s'estime désormais capable d'éprouver en attaquant ouvertement son voisin, comme s'il se sentait maintenant loup en chef...
Une lecture forte et troublante, très éclairante dans le contexte du moment. Coup de coeur.
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