J'ai eu beaucoup de mal à écrire cet avis, à mettre mes idées en ordre, je suis d'avance désolée si c'est un peu confus et que ça part dans tous les sens.
Il y a trente ans,
Beata Umubyeyi Mairesse échappe à la mort avec sa mère. Elle est une adolescente qu'on extirpe de l'enfance par la violence des hommes. Elles passent la frontière grâce à une opération de sauvetage menée par des humanitaires : un convoi, Terre des Hommes.
Depuis trente ans,
Beata Umubyeyi Mairesse est une survivante tutsi.
Après avoir écrit plusieurs fictions qu'elle définit inspirées de faits réels mais avec la lucidité de créer une mise à distance autant pour elle, autrice que pour son lecteur,
Beata Umubyeyi Mairesse, se lance dans un processus d'écriture de reconstitution de la vérité des victimes du génocide des Tutsi qui a eu lieu en 1994 au Rwanda.
Intervenant régulièrement pour de la sensibilisation et de la prévention, pour « raconter son histoire », la légitimité de son statut de survivante est souvent remise en cause, parfois avec même avec négation, comme cette éditrice qui lui rappelle avec un racisme décomplexé comme on en voit encore trop, qu'il y a déjà une écrivaine rwandaise dans la sphère littéraire française…comme s'il n'y avait pas de place pour d'autres écrivains et écrivaines africains.
Au détour d'une conversation, des amis lui rappellent qu'ils les ont vues, elle et sa mère, dans un reportage diffusé sur la BBC. Point de départ d'une longue investigation pour retrouver ce documentaire qui l'a mène à se souvenir, à définir ce qu'est une survivante, une victime et à rendre hommage à l'importance de leurs parole. Elle retrouve des photographies de ceux et celles qui ont pensées, organisées, aidées aux passages des convois de la vie.
Beata Umubyeyi Mairesse s'interroge sur la forme du récit, sur les assignations et les injonctions paradoxales des uns et des autres dont elle ne sait quoi faire. À sa légitimité en tant que rescapée privilégiée. Parce qu'il est nécessaire de rappeler qu'il est essentiel de raconter pour préserver la mémoire.
La force de ce récit est autant dans la démarche que dans les intentions : remettre au coeur du récit la parole des victimes du génocide des Tutsi. S'interroger sur les conséquences traumatiques d'un récit, raconter une histoire collective tout autant qu'intime. D'ailleurs, tout au long du récit qu'elle déroule avec énormément d'émotion et de courage, elle ne peut pas cesser de s'interroger sur les liens avec le génocide de la Shoah ! Et mettre en lien et opposition les Convois de la mort à ceux des Convois de la Vie.
L'emploi du Je, de la premier personne, écrit son passé au présent pour abolir les distances entre la jeune d'aujourd'hui et l'adolescente du passé.
Dans la troisième partie, elle s'interroge sur le photojournalisme, porteur de la toute puissance du monde Occidental, en s'appuyant sur l'analyse très juste de
Susan Sontag dans notamment Dans la Douleur, sur ce que voit l'autre, le photographié, la victime photographiée. Les institutions qui bloquent l'accès d'une partie de vie, de mémoire aux victimes, ce qui leur est de droit, devrait leur appartenir. Les gens utilisent les mots à la lègère. L'autrice nous rappelle l'importance de l'utilisation des mots, comme par exemple définir le génocide des tutsi comme génocide du Rwanda…c'est problématique car ça fausse la perception de la réalité. Les légendes qui accompagnent les photographies des victimes sont l'interprétation des photographes et des journaux et ont une responsabilité très lourdes sur la manière dont les victimes et l'histoire sont perçues, elle devient leur histoire officielle. Ce qui est extrêmement problématique car c'est une vérité étonnée.
C'est une des raisons qui prouvent qu'il est essentiel que les victimes d'hier racontent leur vérité, qu'il légende leur histoire avec leur langage loin de la silencialisation que le photojournalisme a pu créer.
Elle s'interroge sur les limites et les déboires de l'humanitaire. Mais surtout elle rappelle qu'il est important que les récits des victimes soient au centre de la mémoire collective qui se construit dans le monde, depuis 1994, que ces victimes soient entendus. Dans la troisième partie, elle récolte les souvenirs et les témoignages d'autres survivants et survivantes qu'elle retranscrit.
Alors oui c'est un ouvrage qui marque sur la capacité de l'Homme à être horrifique et tortionnaire, j'ai encore en tête les coups de machette, l'injustice, leur peur et leur humiliation à être considéré comme des cafards, cette femme enceinte détruite et découpée…mais c'est aussi un ouvrage qui appelle à la vérité, à la résilience, à l'humanité. Cet ouvrage m'a bouleversé, m'a fait prendre conscience à quel point je suis ignorante, peu informée et que je manque cruellement de curiosité quant à l'histoire du monde. Je crois que cet ouvrage m'a ouvert les yeux sur mon rapport au monde et à l'importance du témoignage.
**Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices ELLE - lauréat du mois de janvier dans la catégorie Non-Fiction