Quel plaisir de retrouver la jolie plume de
Thomas Snégaroff après le déjà très réussi "
Putzi" !
Cette fois-ci, l'auteur nous fait raconte la vie (ou les vies) de la baronne d'Oettingen, mécène, muse, artiste oubliée. On découvre son parcours de vie (qui valait bien un roman !) rythmé par son amour de l'art et de Paris, sa passion des ruines (un paradoxe à sa profonde modernité) et par-dessus tout sa liberté !
Dès les premières pages, l'auteur nous partage la raison pour laquelle il nous conte cette histoire : non seulement parce que
Thomas Snégaroff est historien, mais aussi et surtout grâce à son grand-père, imprimeur d'art au début du siècle dernier. En héritant de son bureau, il découvre, dans un des tiroirs fermé à clé, des croquis de cette baronne. C'est en tirant le fil de cette découverte que naît cette histoire, entre réalité et fiction. Exercice sans doute intéressant pour l'historien ! Bien que ce soit un roman, il est en effet assez rare que l'historien prenne la liberté de se détacher des faits lorsque ces derniers manquent (
il y a très peu de choses sur cette baronne) et se permette d'inventer ! Cette liberté semble par ailleurs le lier à son personnage principal, qui plus que tout se permettait d'inventer sa vie ! Peut-être l'a-t-elle inspiré ?
En effet, Hélène était fascinante par sa liberté. Refusant de s'interdire, elle changeait d'identité, jusqu'à sa nationalité, au gré de ses rêves et envies, mais toujours au nom de l'art !
Elle était donc : mécène, muse, peintre, poète, femme mais aussi... homme !
On découvre tout au long du récit à quel point Hélène était complexe : impétueuse, fantasque, fatale, inspirante, insupportable, attachante mais surtout touchante dans sa dévotion totale à l'Art et aux Artistes.
C'est cette passion dévorante qui guida toute sa vie, au point même de quitter ses amants artistes, si d'une quelconque manière, cette relation pouvait nuire à leur potentiel créatif ! Cette femme ne vivait que de passions et de démesures. Et si la démesure la caractérisait c'est parce qu'elle ne rentrait dans aucune case ! En cela on peut lui prêter des airs de
Virginia Woolf, elle aussi complexe, qui ne respirait que par l'écriture, oscillant entre excès de vie et période de profond désespoir, elle aussi à ses heures perdues, flirtant avec l'androgynie.
Au-delà de ce personnage fascinant qui est l'essence du roman,
Thomas Snégaroff à travers le prisme de cette baronne, nous plonge dans La belle époque, dans ce Paris d'entre-deux-guerres, effervescent, artistique. Nous sommes téléportés au coeur de Montparnasse, où au détour d'une page, on côtoie Modigliani, le Douanier Rousseau,
Apollinaire…
C'est poétique, mélancolique, romantique. L'auteur décrit de façon très juste le spleen ambiant qu'on imagine quand on pense à cette époque où tant de grands maîtres ont créé leurs plus belles oeuvres.
Enfin, à travers cette baronne,
Thomas Snégaroff nous invite, peut-être malgré lui, à remettre en question l'ordre établi : rêvons, créons, soyons libres, défaisons-nous des normes, codes et injonctions sociales si celles-ci nous empêchent d'être !
Cette citation extraite du roman reflète parfaitement la philosophie d'Hélène à ce sujet : « Que la vie est grande pour ceux qui savent s'en inventer plusieurs. »
Avec ce roman, l'auteur rend un bel hommage à cette femme, que l'histoire a oublié, et à tout ce qu'elle a été, mais aussi plus largement à cette belle époque, à Paris et ces nombreux artistes…
En résumé, une intrigue déjà passionnante, sublimée par la plume délicate, élégante, mélancolique de
Thomas Snégaroff, qui réussit l'exercice (qui peut être périlleux) de se glisser dans la peau d'une femme, et pas la plus facile !
Un très bon roman, à lire vite !