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Yeong-hee Lim (Traducteur)Catherine Biros (Traducteur)
EAN : 9782374252957
386 pages
Rue de l'échiquier (28/10/2021)
4.29/5   7 notes
Résumé :
Printemps 1975.
Le dictateur sud-coréen Park Chung-hee a besoin de détourner l'attention de son opinion publique, mobilisée contre une nouvelle constitution qui renforce son pouvoir. Huit hommes désignés comme des agents du nord servent de boucs émissaires. Tous sont innocents.
Aucun n'y survivra.
Traduit du coréen par Lim Yeong-hee avec la collaboration de Catherine Biros
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
LES HUIT FACES DE L'INNOCENCE

1975. En toute honnêteté, que pourrions-nous évoquer avec certitude, relevant de cette année-là, en France et dans le Monde ? Sans doute pas tant de choses que cela. Quelques souvenirs sans doute, à condition d'aider un peu nos mémoires. En France, c'est le temps des grandes réformes, que l'on nommerait aujourd'hui "sociétales", sous la présidence de VGE. Son symbole le plus fort : la fameuse loi accordant l'IVG est enfin votée. L'ORTF meurt sans émouvoir personne et les français sont au chevet de l'acteur comique le plus populaire du moment, Louis de Funès, qui échappe à deux infarctus consécutifs. Dans le monde, c'est la tragédie de la guerre civile en Angola. Les nord-vietnamiens se sont emparés du Sud-Vietnam sans réaction des USA, le Caudillo passe enfin l'arme à gauche, les khmers rouges se sont emparés de Phnom-penh pour quatre années d'horreur pure, tandis qu'à Albuquerque, deux étudiants répondant aux noms de Paul Allen et de Bill Gates créent une petite entreprise d'informatique répondant au nom de Micro-soft... 

Quant au Pays du matin calme... À moins d'être un spécialiste de son histoire et de sa culture, ou peut-être un amateur féru de manhwa (le nom générique pour tout ouvrage de Bande-Dessinée coréen), de films ou de séries originales un peu pointus, il ne sera fait insulte à personne en avançant que c'est le parfait trou noir tant les manuels d'histoire font l'impasse presque totale sur ce qui s'y est déroulé de la fin de la Seconde Guerre Mondiale - avec un regain d'intérêt tragique, sur fond de début de guerre froide entre les deux grands, lié à la guerre de Corée dans les années 50. Et pourtant ! Ce pays qui allait être résumé à l'un des "quatre dragons" asiatiques des années 80 avait, dans le même temps que les très rapides rappels historiques de cette introduction, une histoire aussi sombre que délicate à aborder. 

Délicate, car la Corée post-moderne semble elle-même faire l'impasse sur nombre des aspects politiques de cette période : C'est, depuis un coup d'État qu'il a dirigé en 1961 et qui mit fin à une brève année de tentative démocratique du pouvoir (la 2nde République de Corée), le dictateur Park Chung-hee qui dirige le pays d'une poigne de fer, avec l'aide ostentatoire de la police et de l'armée. Cependant, tout autocrate fut-il, Park Chung-hee devait-il se défier d'une part non négligeable de sa population, de ses étudiants pour beaucoup, dont les rêves démocratiques et progressistes demeuraient forts. Déjà, en 1964, tandis qu'il menait contre une immense majorité de sa population, une politique de rapprochement ayant de forts enjeux économiques avec l'ancien ennemi japonais, le maître de Séoul avait-il fait inventer de toute pièce ce qui allait être dénommé plus tard, "le premier incident du PRP", du nom d'un supposé Parti Révolutionnaire Populaire inventé de toute pièce et bien évidemment aux ordres du nord - la Corée de Kim Il-sung  - mais dont les improbables dirigeants étaient, quant à eux, parfaitement vivants et reconnus. Nombre d'entre eux connaîtraient les affres de l'emprisonnement politique ainsi que des jugements hâtifs bâtis de toute pièce sur des preuves fabriquées et, pire encore, sur la révélation de la mise en oeuvre de la torture sur ces accusés. Ce premier incident tournera court mais son but sera en partie atteint : il aura détourné pour partie la population de ces fameux accords nippo-coréens qui, paradoxalement, permettront largement à sortir le pays du marasme dans lequel il était alors plongé (il faut se rappeler qu'à l'époque, l'ennemie du Nord était bien plus riche et même que la Corée du sud était l'un des pays les plus pauvres d'extrême Orient!).

Huit années plus tard exactement, afin de renforcer encore un peu plus sa mainmise sur l'appareil de l'État, d'empêcher les velléités démocratiques d'un grand nombre d'étudiants et d'esprits éclairés, Park Chung hee allait imposer "La Constitution Yusin". Cependant, un vaste mouvement "anti-Yusin" allait se mettre en place. Une fois encore, le terrible dictateur (globalement soutenu, par intérêts géopolitiques autant qu'économiques, par les USA, ne l'oublions pas) allait s'en sortir par la même pirouette que dix années plus tôt, recréant un "deuxième incident du PRP", tout nébuleux et fantasmatique que le précédent. Seulement, cette fois-ci, par-delà les innombrables arrestations de meneurs supposés de ce parti inventé de toute pièce et surtout celles d'anciens ou actuels activistes progressistes, par-delà les nombreuses violations des droits de la personne humaine, en particulier par l'usage systématique de la torture, par delà la négation de l'état de droit, en refusant toute forme de justice impartiale et équilibrée, Park Chung-hee allait pousser à commettre l'irréparable en faisant condamner huit condamnés, par des magistrats aux ordres, à la peine capitale par pendaison. 

C'est là que débute exactement cette magistrale Bande-Dessinée, Un matin de ce printemps-là, du dessinateur et auteur Park Kun-woong, publié par les impeccables éditions Rue de l'Échiquier que je remercie plus que vivement pour cette lecture plus qu'intense de ces derniers jours puisqu'elle me fut envoyée à l'occasion de la Masse Critique spéciale BD organisée l'an passé (sic !) par notre chère Babelio.com. 

L'ouvrage de prêt de quatre cent pages, tout d'un noir et blanc dense et tranché, arpente ainsi cette annus horribilis de la Corée du Sud des années 70, entamant son long chemin de misère par le témoignage de l'officier-aumônier chargé, le cas échéant, de recueillir les dernières volontés des huit futurs pendus - quoi que plusieurs aient été chrétiens, aucun d'entre eux ne fera usage de ce seul dernier souhait possible (la fameuse dernière cigarette ou dernier verre leur ayant été invariablement refusé) -, lequel qui finira par en éprouver un sentiment terrible d'avoir collaboré, bien malgré lui, à un veritable assassinat d'état. 

La suite est, pour bonne part, indicible. Park Kun-woog nous fait cependant toucher du doigt, l'un après l'autre, chapitre après chapitre, les points de rupture terrifiant de ces huit destinées d'hommes, puis de familles entières, non seulement atteints dans leur chair (jusqu'aux enterrements à la va vite des huit victimes, largement complexifiés par des forces de polices violentes et indignes), mais aussi rapidement ostracisées, mises au ban de la société coréenne de l'époque, bien prompte, il faut le préciser, à assumer sa vindicte populaire, du moment que les autorités assurait que ces gens-là étaient des proches d'espions communistes du nord... On voit ainsi ses femmes, toutes mères de famille (la société coréenne d'alors est encore plus traditionnelle que chez nous à la même époque. Une "bonne" épouse ne travaille donc pas), devenues veuves, éloignées tant du reste de leur famille que de leurs amis et proches, obligées de pratiquer les métiers les plus dégradants, de survivre comme des indigents, de déménager sans cesse afin d'avoir un semblant de tranquillité, ne fut-ce qu'un temps, jusqu'à ce qu'un flic finisse par retrouver leurs nouvelles adresses, jusqu'à la fois suivant, et la suivante, et la suivante. Que dire aussi de ces enfances brisées, par la mort d'un père, tout d'abord, puis par celle de la déchéance sociale et économique. Par les regard suspicieux des autres, qu'il vienne des adultes ou, pire, celui de leurs pairs, enfants. Ainsi, sous l'encre de Park Kun-woog, tous ces malheureux sont-ils sans visage, comme si cela pouvait être chacun de nous, comme si leur souvenir avait déjà effacé l'essentiel de leurs traits, à force d'oubli, comme si nous pouvions tous, demain, nous rendre coupables ou, au contraire, être les innocents de décisions iniques, injustes, monstrueuses. 

Que les potentiels lecteurs de, n'hésitons aucunement à l'affirmer, ce chef d'oeuvre documentaire et historique ne s'abstiennent pas de le découvrir : l'ouvrage, magnifiquement conçu (il nous semble indispensable de le préciser), objet véritablement beau s'il en est, malgré le terrible de son sujet, est aussi très complet et présente un dossier particulièrement bien conçu, en fin d'ouvrage, afin de mieux saisir les enjeux et répercussions, jusqu'à aujourd'hui, de ce moment absolument honteux de la Corée moderne. Quant à moi, j'ose le dire sans peine : j'ai déjà mis en commande chez mon petit libraire local préféré l'autre manhwa de Park Kun-woong intitulé Mémoires d'un frêne, consacré à un autre moment douloureux de la Corée en guerre des années 50 tant cette oeuvre m'a convaincu que ce jeune dessinateur sud-coréen avait sa place parmi les plus grands du genre... Une découverte inouïe dont je ne suis pas près de me remettre !

PS : Pour une raison que j'ignore, cette critique n'a pas été enregistrée lors de son envoi par mes soins hier soir, à échéance du mois convenu. Toutes mes excuses auprès de l'éditeur et de Babelio.


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Ce n'est pas une bd qu'on lit en une petite après-midi de farniente… Déjà parce qu'elle fait plus de 300 pages (je crois que je n'ai jamais lu de bd aussi longue que ça), ensuite parce qu'il faut s'accrocher. Il m'a fallu la poser de temps en temps, surtout au début, tellement elle est chargée émotionnellement.
Ce manhwa (une bande dessinée produite en Corée, tout simplement, un manga mais de l'autre côté de la mer) relate un fait historique, l'arrestation, la torture, le jugement et l'exécution de 8 personnes en avril 1975, suite à des manifestations contre le changement de la constitution. 8 personnes innocentes, accusées d'être des espions de la Corée du Nord et d'avoir fomenté un coup d'Etat : deux accusations sans fondement, mais qui ont permis à l'Etat de détourner l'attention du grand public quand il en avait besoin. En 8 chapitres, l'auteur retrace le parcours de ces huit hommes, à la fois différents (des professeurs, des chefs d'usine) et semblables (tous sauf un sont maris et pères, la plupart vivent à Daegu, etc.), certains très impliqués politiquement, d'autres beaucoup moins. En fait, ce n'est pas vraiment leur parcours qui est retracé, mais plus le vide qu'ils ont laissé derrière eux et comment leur famille, femme et enfants, ont vécu avec cette absence pendant l'arrestation puis après l'exécution. Certaines femmes relatent les agissements politiques de leurs maris, d'autres n'en parlent pas, soit qu'il n'était pas impliqué politiquement soit qu'elles ne le savaient pas. Mais toutes décrivent une vie sous surveillance perpétuelle, le fardeau qu'est l'impossibilité de suivre les rites et les traditions, notamment au moment de l'enterrement, une vie en marge de la société et la nécessité d'exercer des petits boulots précaires pour survivre tant bien que mal sans cesser de se battre pour la réhabilitation de leur mari. Les enfants décrivent les vexations à l'école ou avec les camarades, la difficulté, parfois l'impossibilité, de se construire avec l'absence d'un père. Les 8 chapitres deviennent parfois un peu répétitifs, pourtant chaque histoire a quelque chose d'unique qui ressort sous les traits de Park Kun-woong.
Car ce livre est un livre graphique, il ne faut pas l'oublier. Lorsque je l'ai reçu et feuilleté, la noirceur des planches m'a rebutée, puis je me suis aperçue que les personnages n'avaient pas de visage (pas d'yeux, pas de bouche ou de nez), à quelques exceptions près. Je me suis demandée dans quoi je m'embarquais, et pourtant, cela fonctionne. Je ne saurais dire exactement pourquoi, mais cette absence de visage trouve sa place dans ce manhwa. le jeu sur le noir intense et le blanc immaculé, sans jouer sur les nuances, donne l'impression de dessins simples, bien qu'ils soient en réalité très travaillés. L'absence de visage, l'absence de nuances obligent le dessinateur, et par ricochet le lecteur, à s'intéresser à d'autres aspects du dessin. Par exemple, les sentiments ne sont pas sur les visages, mais ils transparaissent dans les attitudes, dans la façon dont le corps est penché par exemple. La technique de dessin et le cadrage soulignent la douleur des propos, la renforcent et finissent par étreindre la gorge.

C'est donc un récit intimiste, mais c'est aussi un récit très ancré dans son environnement. Bien sûr parce qu'il relate un fait historique, mais aussi parce qu'il décrit la société sud-coréenne dans ses multiples aspects. Des petits faits, comme cela, au passage, comme la soupe de sang de boeuf, des répliques qui montrent à quel point la société est structurée et rigide (« Yeo Jeong-nam est mon aîné, comment je lui donnerias des ordres ?, page 285) ou à quel point les femmes sont dans une position de dépendance. Mais ce manhwa m'a aussi permis de réaliser à quel point la Corée du Sud avait été un régime dictatorial. Un peu naïvement, j'ai toujours vu la Corée du Sud comme les gentils, le rempart contre les méchants de la Corée du Nord. Et puis aujourd'hui, on regarde la Corée du Nord comme une incroyable anomalie sur l'échiquier mondial (ce qu'elle est, bien sûr), mais ce livre montre à quel point tout était moins noir et blanc (à la différence de l technique graphique…) que l'on voulait l'imaginer. Ce n'est pas le seul cas, les dictatures légitimée parce qu'elles étaient soi-disant l'unique rempart possible contre le communisme, on en a connu en Amérique Latine aussi. Mais je dois avouer que le cas de la Corée m'était moins connu et que ce manhwa a remis quelques pendules à l'heure. le climat de suspicion et de contrôle est d'ailleurs très bien rendu, notamment dans les scènes de procès ou d'interrogatoire, mais aussi avec les affiches placardées un peu partout et traduites sous les images (ma « préférée », qui revient plusieurs fois est certainement : « Quelqu'un est bizarre ? Dénoncez-le ! », ça veut tout dire…).

Je conclus ici ma longue note de lecture, pour une longue bande dessinée coréenne, un long mahwa, qui allie l'histoire intime et l'histoire nationale, et dont le style très particulier, alliant avec une grande dextérité le blanc et le noir, participe pleinement à l'intérêt de ce livre. Il peut être difficile d'abord, les noms se ressemblant beaucoup on s'y perd parfois, ou bien les 8 histoires étant traitées en parallèle pouvant paraître introduire de la redondance. Mais ces difficultés passagères à entrer dans l'oeuvre ne sont rien par rapport à sa richesse et à son intérêt.
C'est un livre prenant. Oui, il m'a demandé plusieurs jours de lecture, ce qui est rare pour un livre graphique, mais je suis contente de lui avoir consacré ce temps. Et l'objet est beau, c'est rare qu'une bande dessinée ait ornée d'une couverture de tissu. Et les 8 fleurs qui sont dessus, même si leur signification n'est explicitée que dans la dernière phrase des annexes (oui, il faut aller jusqu'au bout du bout !), prennent très vite sens, et disent toute la poésie et l'espoir qui sourdent dans ce livre malgré le sujet grave et lourd et la détresse des personnages. Un livre à lire parce qu'il sort de l'ordinaire et pour ses qualités propres. Un grand merci aux éditions Rue de l'échiquier qui ont entrepris sa traduction et sa publication.

Merci aux éditions Rue de l'Echiquier de m'avoir permis de lire ce livre, dans le cadre de l'opération masse critique de Babelio.
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En avril 1975, 8 hommes ont été condamnés à mort pour violation des mesures d'urgence alors en place sous le gouvernement de Park Chung-hee. Woo Hong-seon, Kim Yong-won, Song Sang-jin, Ha Jae-wan, Lee Soo-byeong, Do Ye-jong, Yeo Jeong-nam et Seo Do-won avaient chacun une famille, une vie, un rêve de réunification ou au moins de démocratie.

Dans le climat de terreur que faisait régner le "président" Park, les panneaux incitant à dénoncer les communistes étaient partout, la confiance était au plus bas et les arrestations choses courantes. Pourtant, cela ne réussit pas à stopper un mouvement de protestation dans tout le pays suite à la mise en oeuvre de la constitution Yusin. le régime mis à mal, le gouvernement tente de distraire l'opinion publique en arrêtant plusieurs hommes accusés d'avoir comploté contre l'État, d'être en lien avec la Corée du Nord et d'avoir provoqué des troubles dans le pays. Les accusés sont torturés, ne peuvent recevoir de visite et sont même surveillés en présence de leurs avocats. Rien n'a de sens. le procès est bâclé, la sentence était déjà écrite. L'appel est rejeté et le 8 avril 1975, la peine capitale est déclarée. Quelques heures après le verdict, au petit matin, les 8 hommes sont pendus.

Voilà un nouveau drame de l'histoire récente de la Corée du Sud mis en images par Park Kun-woong. Témoignages forcés, fouilles sans mandat, violences, surveillance des familles appuyée, menaces, tortures, pratiques illégales, jusqu'aux assassinats de ces hommes. Voici une liste non exhaustive des horreurs commises contre des citoyens, des hommes, des pères qui n'auront jamais souhaité qu'un monde meilleur. Traités moins bien que des bêtes, il aura fallu attendre plus de 30 ans pour que la justice réhabilite la vérité et les déclare officiellement innocents.

Park Kun-woong raconte l'histoire de ces hommes à travers les témoignages de leurs proches et des gens qui les ont côtoyés. C'est très dur à lire. L'émotion que contient les pages de cet ouvrage a été parfois si importante qu'il m'a été nécessaire de faire des pauses. L'injustice et la honte m'ont serré les entrailles. La tristesse des familles, abandonnées de tous, m'a bouleversée. Leur force aussi car ce sont au prix de leurs efforts que la vérité a été rétablie. le style de Park Kun-woong rend un hommage fort aux victimes et dénonce les horreurs commises par un gouvernement avide de pouvoir qui n'avait plus aucune considération pour les civils, sacrifiés sans scrupules.
Une oeuvre forte, bouleversante, que je n'oublierai jamais.
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Un matin de ce printemps-là nous plonge en Corée du Sud, en 1975, alors que sévi la "dictature capitaliste" du général Park Chung-hee. Celui-ci a depuis sa prise de pouvoir mis en place un régime extrêmement autoritaire, interdisant les syndicats, faisant avancer à marche forcée les entreprises pour qu'elles produisent à bon rythme ce que le régime décide de produire, réprimant la jeunesse et évoquant le danger communiste du voisin du Nord pour mettre au pas toute contestation.
Pour asseoir son pouvoir, en 1972, il fait tomber la façade de parlementarisme exigée par les Américains, décrète l'état d'urgence est décrété et dissous l'Assemblée, tout en suspendant toute liberté constitutionnelle. Une nouvelle constitution est promulgée et Park se proclame président à vie. Il nomme ce virage « Yushin » (traduit par « revitalisation » ou « restauration ») que résume ce slogan: « Construction d'une main, défense nationale de l'autre ».
Il hait les communistes et est bien décidé à chasser tous ceux qui seraient sur son territoire. C'est pour montrer sa force et renforcer la terreur dans laquelle se trouve la population qu'il commence à pourchasser les membres du Comité pour le rétablissement du Parti révolutionnaire populaire (parti créé en Corée du Nord). En un jour, le pouvoir central décide d'arrêter 8 hommes qui seraient communistes et agiraient comme espion pour le Nord. Ces 8 hommes font l'objet d'un procès fantoche et sont exécutés. Aucun ne comprend, leurs familles ne comprennent pas et l'on pend des innocents. Il faudra attendre 2002 pour qu'une commission d'enquête les réhabilitent en expliquant que cette affaire fut montée de toutes pièces par les services secrets.
C'est cette histoire que racontre Kun-woong Park dans son mahwa (équivalent coréenne des mangas). Il la raconte de manière chorale, en donnnant, au gré de chapitres courts, la paroles aux différents membres des familles des condamnés.
Sans jamais dessiner de visage, comme pour renforcer l'effacement de l'histoire, le mangagka donne une réelle vue de ce régime qu'on a souvent glorifié, comme ayant permis au pays de devenir un "dragon", diabolisant plutôt son voisin du nord, alors que la population sud-coréenne a vécu elle aussi dans un régime de terreur pendant de longues années.
Je remercie la Rue des Echiquiers de m'avoir envoyé ce livre dans le cadre de la Masse Critique de Babelio, et aussi d'éditer avec autant de soin ces "documentaires graphiques".



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critiques presse (3)
Bedeo
08 janvier 2022
Un matin de ce printemps-là s’inscrit dans la continuité d’une œuvre riche, instructive et puissante. Park Kun-woong exorcise les démons de la Corée du Sud et dépasse la perspective manichéiste qui oppose un Sud démocratique à la dictature nord-coréenne. Un auteur exceptionnel dont il faut découvrir le travail.
Lire la critique sur le site : Bedeo
BDGest
08 janvier 2022
Lecture grave, mais ô combien importante, Un matin de ce printemps-là met de l’avant un moment important et révélateur de l’Histoire récente de la Corée du Sud. Pour le lecteur occidental peu au fait de ce sujet, l’album offre aussi une parfaite démonstration des mécanismes utilisés par les régimes totalitaires afin de contrôler les populations.
Lire la critique sur le site : BDGest
LigneClaire
06 janvier 2022
Avec Un Matin de ce printemps-là, Park Kun-Woong passe au Sud si l’on peut dire, à une Corée qui est aussi une dictature à l’époque et revient sur les évènements de 1975 où huit innocents ont été froidement et sans preuves exécutés sous prétexte d’avoir participé à un complot sur ordre de la Corée du Nord. Le Comité pour le rétablissement du Parti révolutionnaire populaire devait être éliminé de Corée du Sud. Un ouvrage fort et troublant.
Lire la critique sur le site : LigneClaire
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
[NB: L'arrière plan est une salle d'exécution par pendaison où les huit condamnés à mort, innocentés depuis, de cette BD sont menés les uns après les autres, assis, et pendus. Voici les derniers mots de l'un d'eux, relatés par l'officier aumônier ayant assisté à l'exécution de cette sentence inique]

- je meurs injustement comme un oiseau prisonnier dans sa cage.
Cette saleté de gouvernement finira par tomber.

«J'ai encore en mémoire les dernières paroles de ces victimes, dont même les ultimes vœux n'ont pas été exaucés. Je me rappelle notamment celles de monsieur Lee Soo-byeong.»

- Je n'ai fait que protester contre la Constitution Yusin* et lutter...
... pour le peuple et la démocratie. Pourquoi dois-je mourir de façon aussi barbare ?
La justice passera et révélera au grand jour nos morts injustes.

[* imposée par Park-Chung-hee en Octobre 1972, la Constitution Yusin lui attribue tous les pouvoirs et place les forces militaires au cœur de l'échiquier politique.]
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Voici un extrait:
Il faisait nuit quand nous sommes arrivés au crématorium de Byeokje et nous avons attendu encore longtemps. Ils nous ont emmené dans une chambre où reposait le corps de mon père qu’un linceul dissimulait entièrement à notre vue. Je me suis précipitée pour voir le visage de mon père. Mais un homme grand et costaud m’a retenue. Mais l’homme, en pleurs lui aussi, ne m’a pas lâchée. Ils se fichaient totalement de la morale et des liens familiaux, ce qu’ils voulaient c’était de nous empêcher jusqu’au bout de voir le corps supplicié de mon père. Ma mère a perdu connaissance plusieurs fois. Finalement, je n’ai même pas eu droit à une dernière image de mon père. (La fille de Song Sang-jin)
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[Lors d’un interrogatoire musclé:]
- Ecris que tu as donné l’ordre à Yeo Jeong-nam de manifester !
- Yeo Jeong-nam est mon aîné, comment je lui donnerais des ordres ?
- Obéis connard !
(p. 285, “Compagnons de lutte : Yeo Jeong-nam”).
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Mon père bien-aimé que j’ai du mal à nommer tant cela me déchire le coeur.
(p. 196, “Bananes : Ha Jae-wan”).
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[Affiche de propagande :]
Quelqu’un est bizarre ? Dénoncez-le !
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