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Critique de LeScribouillard


Après la grosse beigne que fut La Ménagerie de Papier, il fallait s'attendre à tomber sur un Ken Liu plus vénère que jamais à nous balancer des questionnements métaphysiques plein la tronche dans un déluge d'émotions et de gigantisme. Et c'est bien sûr le cas avec Jardins de poussière, certes pas dénué de défauts, mais qui se fait incontestablement dans la littérature SF actuelle une place de choix… bien à raison.

Préface

L'auteur commence avec quelques généralités, peut-être un peu grosses, décrivant ses nouvelles de manière brève voire vague. Il aurait sans doute mieux valu mettre ce texte en postface, et plus développé…

Jardin de poussière

Une artiste maquilleuse part dans l'espace et se retrouve à préparer les corvées le temps que le reste de l'équipage se réveille. C'est un texte moyen, assez dithyrambique par moments, entraînant dans une errance psychologique dont seule la réflexion finale sur le Temps et l'Humanité ne nous fait pas regretter le voyage…

La Fille Cachée

La Chine, au Moyen Âge. Fille Cachée est l'élève de Maîtresse, une assassine qui légitime ses gestes par le bouddhisme et le relativisme : puisque chacun est corrompu de l'intérieur et cherchera toujours sa propre survie avant celle des autres, comment différencier les bons des mauvais ? Jusqu'au jour où elle va tomber sur quelqu'un de désespérément gentil (et intelligent), qui va faire vaciller toutes ses certitudes…
C'est un très bon texte, malgré un démarrage causant quelques problèmes en terme d'exposition. Outre la réflexion éthique qu'il engage, le roman installe dans une novelette de fantasy un thème habituellement vu en science-fiction. La fin ouverte laisse rêveur l'enfant amateur de justicier en nous…

Bonne chasse

Des siècles plus tard, alors qu'arrivent les colons anglais : la magie se meurt, remplacée par la technologie. Un exorciste et son père tentent de survivre en chassant les derniers esprits, mais une femme-renarde qu'ils traquent chamboule toutes ces certitudes…
Un texte aussi bon que surprenant, puisant dans le folklore chinois encore peu exploré dans la fantasy occidentale, et virant dans sa dernière partie vers le steampunk, tout en évoquant un nombre impressionnant de luttes du féminisme (viol, dragouille, prostitution, harcèlement sexuel, condamnation de la femme plutôt que l'homme) sans jamais donner la leçon ni l'impression d'en faire trop. Avec en plus une réflexion sur le temps qui passe certes assez convenue mais restant évocatrice, Bonne chasse est une nouvelle en plus qui tire son épingle du jeu dans la SFFF actuelle.

Rester

Ça devait arriver, l'Humanité a décidé de se transhumaniser. Restent quelques irréductibles qui ressassent encore et toujours le même argument : qu'est-ce qui nous dit que le programme informatique dans lequel on transfère notre personnalité est toujours nous ?
Disons-le, Greg Egan avait déjà abordé le sujet avec En apprenant à être moi, et la nouvelle ne nous apporte rien de plus ; ce qui ne l'empêche pas de l'aborder sous un prisme humain plutôt qu'intellectuel et de nous donner une idée de ce que serait une société où les derniers humains de chair voient peu à peu leur technologie tomber en déliquescence ; bref, un bon texte, malgré une certaine impression de déjà-vu.

Ailleurs, très loin de là, de vastes troupeaux de rennes

Quelques détails laissent à faire penser que nous sommes toujours dans le même univers que la nouvelle précédente, mais cette fois-ci du point de vue des uploadés : il n'y a donc plus d'ambiguïté quant au fait de s'ils sont des humains ou des machines. Est-ce que ça le trahit ? Oui et non : on n'en tient aucune preuve absolue.
On suit donc la vie quotidienne de ces entités informatiques ayant pour habitude de pouvoir se rendre en un claquement de doigts à n'importe quel espace virtuel ou physique, quelles qu'en soient les dimensions, qui n'ont plus aucune notion de temps ou d'espace ; une version light de Diaspora où on peut faire nettement moins de choses, mais bien plus accessible et où les personnages il faut bien le dire ont plus de relief. Les lecteurs se laisseront sans doute toucher par cette relation mère-fille ; du reste la lecture n'est jamais pénible ou désagréable.

Souvenirs de ma mère

Une mère a un cancer et ne pourra donc pas connaître son enfant. Elle décide de tricher avec le temps en le dilatant de manière à ce que des années soient pour elle des mois. Un texte original et bref qui aurait mérité d'être développé.

Le Fardeau

Les terriens découvrent Lura, une planète dont les habitants ont disparu depuis un million d'années. Restent des vestiges, dont écrits, qui fascinent la Terre entière…
Un excellent texte, qui célèbre tout autant la beauté extraterrestre qu'il dénonce les dérives du tourisme et de la spiritualité à la Strada, avec à la pelle cheminées thermo-cosmiques et New Age de fond de Biocoop. Si la lecture en est agréable, tout l'intérêt réside dans sa chute !

Nul ne possède les cieux

Et que diriez-vous de découvrir le silkpunk ? Il s'agit d'imaginer ce à quoi ressemblerait le steampunk si la Révolution industrielle avait eu lieu en Chine avec les matériaux du bord, à savoir bambou, papier, soie et autres éléments de construction insolites pour nous pauvres Occidentaux. C'est en pionnier sinon en inventeur du genre que Ken Liu s'est érigé, créant un monde de fantasy obéissant à ces caractéristiques avec la série de romans La grâce des rois.
Ce texte se déroule dans le même univers et y décrit l'invention du dirigeable par un inventeur athée et sa soeur très croyante. Au-delà du soin apporté à l'aspect technique vient aussi se poser la question de la foi : la volonté des dieux peut-elle s'exprimer par ceux qui refusent de croire en eux ? Bref, encore de la très bonne qualité, et ce sur plusieurs niveaux.

Long-courrier

Une uchronie mettant en scène ce qui se serait passé si les dirigeables étaient restés les principaux moyens de locomotion aériens. S'il ne s'agit pas de steampunk à proprement parler (plusieurs indices nous prouvent que L Histoire se passe bien après la Révolution industrielle), en revanche nous avons ici tout ce que nous attendons du genre : la description d'une technologie différente du tout au tout de celle que nous utilisons avec réalisme et tout en en reprenant quelques traits.
Le tout est de faire partager au lecteur le merveilleux du voyage allié à celui de la technologie, allez enfonçons une porte ouverte, à la manière de Jules Verne ; mais tout comme l'oncle Jules, l'absence de véritables enjeux dramatiques en font un texte dépaysant mais somme toute un peu poussif.

Noeuds

Une tribu de Thaïlande maîtrise l'écriture par noeuds depuis des millénaires ; sa capacité à pouvoir lire en trois dimensions n'est pas sans intéresser les investisseurs américains…
Un nouvel excellent texte, qui s'il peut sembler une critique un peu déjà-vue des OGM (mais qui a le mérite d'être claire contrairement à nombre d'autres), dénonce plus subtilement le néo-colonialisme et les méthodes de recherche américaines. Sans compter l'aspect ethnique qui nous fait découvrir une Asie du Sud-Est ancestrale et méconnue ; le mythe du bon sauvage nous est évité par un narrateur usant du langage familier sans pour autant forcer le trait. Passionnant et impactant.

Sauver la face (avec Shelly Li)

Grâce à des IA exceptionnelles, la Chine s'impose partout économiquement dans le monde. Les yankees ne voient pas ça d'un bon oeil et essayent malgré tout de cohabiter pacifiquement.
Encore un excellent texte, mettant en scène une compréhension profonde des deux peuples et des psychologies, et pour parvenir à me vendre une scène d'amour à base de bagnole, faut le faire. La chute est glaçante et l'essor économique réaliste (sauf sur un point qui m'a franchement fait tiquer : quand on interviewe des experts sur le sujet, on se rend compte que les chinois sont beaucoup moins gentils en affaires).

Une brève histoire du Tunnel transpacifique

La Seconde guerre mondiale n'a jamais eu lieu ; à la place les grandes nations se sont unies pour relancer l'économie dans un projet pharaonique. Mais était-ce bien meilleur ? Car derrière le nazisme et le stalinisme se cachent un danger tout aussi redoutable : l'industrialisation à outrance…
Encore un très bon texte, tout juste freiné une romance un peu rapidement traitée bien qu'avec poésie, alternant humour, tragique et élégiaque.

Jours fantômes

Trois histoires se superposent à la Cloud Atlas : l'une d'elles laisse présager qu'elles se déroulent dans le même univers que les nouvelles qui clôturaient La ménagerie de papier. Dans toutes les trois, on retrouve des êtres humains, plus ou moins tiraillés par l'envie de se couper de leurs racines pour se tourner vers un monde qui leur semble meilleur et qui se demandent comment malgré tout composer avec elles. Un très bon texte reprenant toutes les thématiques de Ken Liu, juste endommagé par instants par un phrasé des personnages pas toujours complètement naturel.

Ce qu'on attend d'un organisateur de mariage

Les extraterrestres existent, et ils sont microscopiques. Si vous signez un contrat, ils pénètrent dans votre corps et font la bringue, en vous laissant quelques contreparties. de la SF humoristique de haute volée, avec comme bien souvent dans le genre une chute aussi pessimiste que vertigineuse.

Messages du Berceau : L'ermite — 48 heures dans la mer du Massachussets

Des indices laissent à penser que cette nouvelle se passe dans le même univers que Rester et Ailleurs, très loin de là, de vastes troupeaux de rennes, d'autres non. L'humanité s'est dispersée dans le système solaire après le réchauffement climatique. On débouche sur nombre de réflexions philosophiques et de moments poétiques, mais c'est sans compter une narration assez confuse.

Empathie byzantine

Eh ! Vous imaginez comme ça serait bien si les gens arrêtaient de regarder BFM et se mettaient à se bouger l'arrière-train ? Toute verve usulo-révolutionniste mise à part, je fais partie des personnes qui en ont un peu marre de voir les médias mainstreams ne diffuser que des images et des faits lissés pour ne pas choquer sur ce qui devrait nous le faire en Syrie et en Afrique (mais si, ce continent dont on pompe les ressources depuis 200 ans et dont on dit qu'ils ne pourront jamais fonder de bons gouvernements sans nous). Les images-choc manquent dans une société habituée à cajoler ses spectateurs, juste les effrayer un peu pour les forcer à consommer comme les fourmis stressent les gros pucerons pour qu'ils produisent plus de miellat ; ou bien alors on vous livre un peu de grand-guignol, histoire de racoler dans des feuilles de choux qui ne méritent même pas de s'appeler journaux (Le Nouveau Détective) ou bien de culpabiliser le chaland pour qu'il sente sa conscience blanchie une fois qu'il aura donné son argent à telle ou telle ONG (qui utilisera le plus gros de son budget pour créer d'autres tracts…). Bref, j'ai beau préférer penser la situation mondiale d'un point de vue utilitariste, force est de constater que les choses de changent pas à moins d'ébranler violemment les convictions de ceux qui peuvent faire quelque chose. Seulement, n'écouter que ses sentiments, ça ne serait pas un peu dangereux ?
Empathie byzantine s'engouffre dans cette brèche et montre chacune de ces deux logiques ainsi que toutes leurs failles : ceux qui sont dans les bureaux ont une vue d'ensemble mais aucune connaissance du terrain ; ceux qui se rendent sur place connaissent mieux que quiconque le calvaire des populations, mais n'ont aucune vision à long terme. Les premiers vont tenter d'endiguer une invention des seconds : une plateforme de crowdfunding pour aider les populations sensibilisant les gens via des enregistrements de combats disponibles en VR, les forçant ainsi à donner sous le choc. Il s'agit d'une novelette compliquée, un peu lente par instants, pessimiste et poisseuse ; mais entre les expérimentations stylistiques qui parviennent à ne jamais étouffer le texte, l'approfondissement de la confrontation dialoguée du coeur et de la raison, plus qu'un bon texte, nous avons un grand texte.

Dolly, la poupée jolie

Dolly est une poupée intelligente. Tiens, ça ne vous rappelle pas le premier recueil ? Sauf que cette fois, on se place de son point de vue. Et se faire martyriser par des gosses n'est pas de tout repos.
Un texte très triste où les détracteurs de Ken Liu trouveront une nouvelle occasion de dire qu'il cherche le pathos avant la réflexion ; sauf que je suis un grand sensible (mais si), qu'on voit le calvaire que doit suivre le personnage et que le pathos en question n'est jamais appuyé. Certes, la nouvelle en question aurait pu être augmentée (j'imagine d'ailleurs facilement un film d'animation dérangé sur le rapport à l'enfance qu'on pourrait en adapter), mais nous avons là à la fois un très bon texte et un excellent terreau pour quelque chose d'encore plus grand.

Animaux exotiques

Les werks sont des animaux génétiquement modifiés ; sauf que quand les industries illégales mettent la main sur le génome humain, leurs clients semblent prêts à tout pour assouvir leurs fantasmes malsains…
Un très bon texte sur les parias et la prostitution, sans pour autant aller dans le hardcore, tout en dénonçant l'hypocrisie politique face à des bas-fonds de la société de plus en plus invisibles. le tout reste quand même légèrement gâché à cette fin dont la double révélation et le revirement des personnages donnent au tout un cachet un peu trop rocambolesque.

Vrais visages

C'est bien connu, les inégalités au travail sont souvent dues au sexe et aux origines. Et si on pouvait gommer ça avec des masques ? Un excellent texte qui ne se fait pas prier pour donner des claques à pas mal de délires SJW allant trop loin, avec un nombre de questionnements impressionnants, traités avec finesse quand ils ne sont pas amenés par la réponse à d'autres d'entre eux.

Moments privilégiés

Un élément du texte nous indique que nous sommes dans le même univers que Faits l'un pour l'autre, des années plus tôt. Un jeune ingénieur embarque dans la « Valley » (sans silicone visiblement pour éviter des procès), bien convaincu d'améliorer le monde avec ses robots. Spoil : ça part en cacahuètes.
La thématique est classique, mais traitée avec finesse car sans manichéisme et par les nombreux éléments qu'elle fait dialoguer, nous montrant des engins cybernétiques auxquels on n'aurait sans doute jamais pensé : un très bon texte, malgré une bourde dans les références mythologiques assez énorme !

Rapport d'effet à cause

Un vaisseau se retrouve piégé dans une boucle temporelle où il se fait immanquablement détruire par ses ennemis. Comment se tirer de là ? La solution arrive en dernière page, simple et logique. Sans doute pas le texte le plus original, mais une nouvelle qui parvient à parfaitement remplir son postulat.

Imagier de cognition comparative pour lecteur avancé

Le texte reprend l'idée Du Livre chez diverses espèces, mais avec cette fois un vague récit derrière et en s'intéressant à la perception. Si au départ à cause d'un thème me parlant moins et d'un style par moment alambiqué je craignais un ersatz de Ken Liu, il en ressort finalement un formidable puits de sense of wonder ! La plume opte cette fois pour la hard-SF et nous imagine des mondes plus incroyables et dépaysants les uns que les autres en une poignée de pages et en mettant leurs habitants au centre. Une nouvelle leçon magistrale de worldbuilding sur les extraterrestres.

La dernière semence

La Terre est détruite. Seule une cosmonaute survit. Un texte court et doux-amer qui possède les mêmes caractéristiques qui fonctionneront ou non selon le lecteur que pour Dolly, la poupée jolie. Reste que la notion de qu'est-ce qu'il va rester après nous me parle toujours énormément.

Sept Anniversaires

Sept anniversaires se succèdent dans une vie, chacun la puissance du nombre d'années du précédent. Oui, parce que dans le turfu, on est devenus immortels. Ah : et on a envahi la galaxie.
Si comme moi vous avez eu un peu de mal avec Diaspora, sachez que vous avez ici un texte qui reprend nombre de ses idées de manière plus dense et bien plus accessible, et avec beaucoup plus d'humain. Et presque autant de sense of wonder. On est vraisemblablement dans le même univers que Rester et Cie, mais il s'agit de loin d'un texte bien plus ambitieux que tous les autres et tout autant sinon plus réussi.

Printemps cosmique

Et alors qu'on pensait qu'on ne pouvait pas finir avec plus de sense of wonder, Ken Liu fait justement l'inverse en nous racontant la mort de l'Univers. Rien que ça, dans une langue pleine de poésie et n'en faisant jamais trop, sans doute son meilleur texte à ce jour. Décidément, on dirait que je préfère les crépuscules de l'extinction aux merveilles humanistes ; pour un peu, ça finirait par devenir inquiétant… *regarde sur Mediapart les dernières catastrophes des Terriens* Vous noterez que j'ai bien dit : « ça finirait ».

Conclusion

Jardins de poussière aura su se hisser à la hauteur de son précédesseur La Ménagerie de Papier ; mieux encore, je pense qu'on peut le considérer d'ores et déjà comme meilleur car ne possédant aucun mauvais texte et que tous à quelques rares exceptions sont dignes au minimum de quatre à cinq étoiles. Un recueil qui fera date, ou du moins je l'espère, parce qu'après tout, c'est pour votre culture…
Lien : https://cestpourmaculture.wo..
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