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Patrick K. Dewdney (Autre)Mathieu Prioux (Traducteur)
EAN : 9782266336178
272 pages
Pocket (04/04/2024)
4.01/5   90 notes
Résumé :
Poussé par une industrie florissante et une politique coloniale, l’empire borolien se tourne cette fois vers les Cerracs, un territoire montagneux composé d’une poignée de villes et de villages ; une simple formalité.

Journaliste en disgrâce, Dimos Horacki signe désormais des papiers ronflants dans une gazette de la capitale. Mais voilà que son employeur l'envoie au front écrire un article élogieux sur un gradé en vue de l'armée impériale.

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Critiques, Analyses et Avis (34) Voir plus Ajouter une critique
4,01

sur 90 notes
Tenter de comprendre une fiction sans s'intéresser aux idées et à la vie de celui ou celle qui la crée relève de la gageure.
Pour la publication d'Un pays de fantômes chez Argyll, il semble indispensable de s'intéresser d'abord à son autrice : Margaret Killjoy.
Autrice transgenre et anarchiste revendiquée, Margaret Killjoy vit dans une communauté « autonome » des Appalaches, région montagneuse de l'Est des États-Unis. À la fois romancière et musicienne (au sein du groupe de Black Metal Feminazgûl), elle tient également un podcast survivaliste répondant au doux nom de Live Like the World Is Dying.
Un curriculum vitae qui en dit long sur les idées politiques et l'implication de Margaret Killjoy lorsqu'elle en vient à prendre la plume.
… Et ça tombe bien puisque c'est avec sa fantasy (forcément) anarchiste que débute sa publication dans l'Hexagone !

Un pays de fantômes ne perd pas de temps.
Il ne peut d'ailleurs pas se le permettre au vu de son nombre congru de pages. Narré par Dimos Horacki, journaliste pour la « Gazette de Borol », le roman nous emmène à la rencontre d'un peuple farouchement indépendant, celui de Hron. Envoyé par son Roi pour servir la propagande d'État de l'empire borolien, Dimos va vite s'apercevoir que l'armée de l'impitoyable général Dolan Wilder n'a rien de glorieuse. Au contraire : elle tue, brûle, torture et mutile quiconque se met en travers de son chemin. Dégoûté par les siens, notre journaliste est finalement fait prisonnier par un groupe de miliciens mené par Sorros et Nola. Au sein de cette Compagnie Libre de l'Andromède bleue, Dimos va parcourir Hron, découvrir ses us et coutumes et nouer des liens d'amour et d'amitié. Malheureusement, la Borolie n'a pas dit son dernier mot et la situation semble désespérée pour cette utopie perdue dans les montagnes…
Le mot est donc lâché : utopie.
À l'heure où la dystopie a le vent en poupe au sein de l'imaginaire, Margaret Killjoy tente de créer un univers fantasy en décalage avec les poncifs pessimistes habituels.
Si le roman commence par une plongée dans un corps d'armée borolien, avec toute la violence et la barbarie que cela suppose, il se tourne vite vers l'exploration de la vie en Hron une fois Dimos passé de l'autre côté du miroir.
On ne sera guère surpris de voir que l'utopie de Margaret Killjoy n'est pas autre qu'une mise en application de l'anarchie à l'échelle d'un pays complet. Enfin, si le mot « pays » a encore un sens dans cette optique.
Mais plutôt que de transformer son récit en un essai barbant et forcément attendu, l'américaine choisit de l'enchâsser dans le récit d'une résistance, celle du pays de Hron, face à une puissance étrangère impérialiste, la Borolie.
Il en résulte une aventure crédible où l'on s'attache aux personnages et où l'on espère avec eux. En somme, Un pays de fantômes parvient à être littéraire avant d'être politique.

Pour bien comprendre ce qu'est Un pays de fantômes, il faut savoir qu'il s'agit d'une fantasy dénuée de tout type de magie, d'évènements fantastiques et autres créatures surnaturelles. Une fantasy qui préfère le pistolet, la mitrailleuse et le gilet d'argile pare-balles aux épées et cottes de mailles.
Sur ce fond hard fantasy dans la droite lignée des Récits du Demi-Loup de Chloé Chevalier, l'autrice américaine déploie son idée de l'utopie en la faisant vivre à travers la camaraderie des uns et des autres, en confrontant le point de vue d'un étranger (Dimos) aux habitants d'Hron, civils ou combattants. Ainsi, il s'agit de comprendre l'anarchie à hauteur d'hommes en tentant d'en expliquer les rouages et les motivations, les failles et les avantages. La force du récit de Margaret Killjoy, c'est qu'il n'est pas là pour imposer une idée mais pour l'exposer… tout en laissant de véritables enjeux derrière, à savoir la liberté du peuple Hron et le combat pour sa survie pure et simple.
En choisissant un journaliste comme narrateur, Margaret Killjoy fait coup double : elle permet à la fois d'avoir l'avis d'un étranger sur une société différente de la sienne et d'insister sur le rôle fondamental du journalisme pour rendre compte du réel envers et contre tout. On pense parfois aux Jardins Statuaires de Jacques Abeille, avec pour point commun de porter un regard extérieur sur une société nouvelle pour son héros-narrateur afin de mieux la comprendre (et de la critiquer).
Malgré sa bienveillance évidente envers l'utopie anarchiste représentée par Hron, Margaret Killjoy en teste aussi les limites notamment avec Karak, société de bannis et d'anti-sociaux qui ont constitué leur propre cité en réaction à leur ostracisation d'Hron.
Ce qui marque cependant dans le récit de l'américaine, c'est la volonté de livrer quelque chose de singulièrement différent, une tentative de société dans laquelle le mot liberté prend tout son sens. Où l'on décide de tout collectivement, où l'on prend ses responsabilités vis-à-vis de soi et des autres, où l'on s'attache à l'indépendance plutôt qu'à la soumission.
Et mine de rien, aussi naïve qu'elle puisse paraître parfois, cette utopie fait du bien au lecteur. Elle incite à repenser nos acquis et à s'interroger sur nos valeurs tout en délivrant un message sur le caractère belliqueux des empires, sur la vision conquérante d'un système fondamentalement oppressant où l'être humain finit seul, abandonné, isolé, négligé. La lutte des miliciens d'Hron rappelle les combats désespérés des peuples à travers L Histoire pour conserver leur mode de vie face à l'envahisseur. On pense aux amérindiens, aux africains et, plus généralement, à tous les peuples agressés par des empires expansionnistes à travers l'histoire.
Un pays de fantômes est tout autant un roman d'ouverture et de découverte qu'une ode à la résistance et à la révolte. Margaret Killjoy comprend que l'utopie ne veut pas dire pacifisme et que la violence reste parfois nécessaire pour assurer sa propre survie. Pas étonnant de retrouver l'auteur d'Un Enfant de Poussière, un certain Patrick K. Dewdney, à la préface…

On pourrait croire arrivé ici que la lecture d'Un pays de fantômes relève plus du tract politique qu'autre chose. Il n'en est pourtant rien.
Comme nous l'avons mentionné plus haut, Margaret Killjoy a l'intelligence de construire des personnages émouvants, du milicien Sorros à la générale Nola en passant par le jeune Grem et le révolutionnaire Vyn.
Les relations qui se tissent entre eux et le narrateur, Dimos, permettent au récit d'en devenir touchant et tragique, redonnant à la fiction sa place principale pour toucher le lecteur tout en l'interrogeant.
C'est par la lutte désespérée du David hronien face à l'écrasant Goliath borolien que le roman trouve toute sa force. Il parvient ainsi à justifier son propos politique qui, de ce fait, n'apparaît plus comme un prétexte mais comme un moteur de l'intrigue.
Il en résulte une histoire où l'on espère et où l'on croit, même l'espace d'un instant, que cette utopie anarchiste soit possible. C'est forcément, en soi, une sacrée réussite.

Roman hautement politique mais aussi et surtout éminemment humain, Un pays de fantômes s'aventure sur le terrain de l'utopie pour s'interroger sur les limites notre société de lois et d'ordre. Margaret Killjoy écrit la résistance et l'existence, et c'est finalement le lecteur qui est conquis à la fin.
Lien : https://justaword.fr/un-pays..
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Un journaliste est envoyé réaliser un portrait hagiographique d'un général sur le front. Même s'il sait que c'est de la pure propagande, il n'a pas le choix : il a auparavant écrit un article qui a déplu à certaines personnalités haut placées et son poste est menacé. Ce reportage est l'occasion de montrer sa bonne volonté. Mais il se retrouve en pleine guerre de conquête : la Borolie, son pays d'origine, tente d'envahir sous des prétextes fallacieux, la région des Cerracs, territoire montagneux habité, selon le pouvoir, par des sauvages qu'il faudrait « civiliser ».

Selon le Larousse en ligne, l'anarchisme est une « conception politique et sociale qui se fonde sur le rejet de toute tutelle gouvernementale, administrative, religieuse et qui privilégie la liberté et l'initiative individuelles. » Pourquoi ai-je ressenti le besoin de commencer par cette définition ? Parce que ce roman est, sous couvert d'aventures, un moyen de découvrir le fonctionnement de sociétés respectant cette idéologie. Margaret Killjoy est une autrice américaine « anarchiste, féministe et anti-fasciste » pour reprendre sa page Wikipedia qui vit actuellement dans les Appalaches. Et plus précisément (et c'est là ce qui m'intéresse) dans une zone habitée par des anarchistes, une sorte de communauté en fait. Donc, l'anarchisme, elle connaît. Elle le vit. Et, dans ce roman au beau titre, elle nous le fait connaître.

Nous suivons donc, dans ce roman, les pas de Dimos Horacki, journaliste condamné aux « chiens écrasés » depuis un article gênant. Il habite la Borolie, un état dirigé d'une main de fer par ses dirigeants et dont les institutions permettent la main mise sur la population. Même si Dimos juge certains côtés de sa société injustes ou liberticides, il ne pense pas à se révolter. C'est ainsi que les habitants se laissent diriger sans réagir. Certains pourront penser que cela ressemble en partie à nos sociétés modernes. D'autres trouveront cette comparaison excessive. Margaret Killjoy ne dit rien, se contente de laisser son lecteur faire ses propres choix. Et pour cela, elle lui offre un panorama de ce que propose l'anarchisme. Ou plutôt, les anarchismes. Au pluriel. Car, comme va le découvrir Dimos, les peuples des Cerracs ne pensent pas tous la même chose, ne sont pas tous d'accord entre eux, n'attendent pas la même chose d'une société. Mais ils sont tous plutôt anarchistes.
Revenons rapidement à l'histoire : Dimos est donc envoyé pour faire un portrait de Dolan Wilder, « jeune loup issu de l'armée impériale de Sa Majesté ». le but ? Justifier la campagne menée dans les Cerracs, habités selon les autorités, par des sauvages ignorants que les enfants de Borolie viendront civiliser. Que les sous-sols de cette région montagneuse soient riches de ressources précieuses n'a bien sûr aucun lien avec cette invasion ! Mais, et je ne divulgâche pas beaucoup puisque cela intervient rapidement, Dimos est fait prisonnier par la Compagnie Libre de l'Andromède bleue. Quel nom ! Cette troupe lutte contre l'envahisseur, malgré son petit nombre. Dans ce groupe, pas de leader, pas de chef. Les prises de décision sont collectives. Avec des règles définies : chacun peut donner son avis, chacun peut prendre la parole, en respectant les autres.

Et c'est là que l'histoire devient fascinante. Car Dimos va voyager à travers cette région et même de groupe en groupe. Je ne raconte pas les péripéties qui vont le mener d'un endroit à un autre, elle font partie du plaisir de découvrir que je ne voudrais pas gâcher. Sachez seulement qu'elles font leur boulot et que les pages se tournent rapidement : l'ouvrage est agréable et rapide à lire. Mais ce qui m'a le plus intéressé dans ce roman, outre les tribulations de Dimos et ses interrogations, ce sont les miennes, justement, d'interrogations. Car le fait de promener Dimos comme un Candide, totalement ignorant du concept d'anarchisme, à travers une telle région est évidemment un moyen très intelligent de permettre au lecteur de découvrir les bases d'une telle pensée. En fait, Un pays de fantômes c'est un peu « L'anarchisme pour les nuls » ou « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'anarchisme sans oser le demander ». Et comme texte d'initiation, c'est une réussite. Car Margaret Killjoy ne se montre pas sectaire, ni prosélyte. Elle propose au contraire un panorama très nuancé de ce qu'offre l'anarchisme. Et n'hésite pas à montrer ce qui ne fonctionne pas, ce qui manque d'efficacité. Et les dissensions : on découvre même une région qui s'est séparée du groupe principal, car ses habitants ne veulent pas respecter les règles principales. C'est pourquoi ce roman est si agréable à lire et si important. de par le parcours de son autrice, il acquiert une certaine légitimité et de par sa forme, très réussie, il attire le lecteur.

Un pays de fantômes a été pour moi une très bonne surprise, car je ne savais pas du tout à quoi m'attendre en l'ouvrant. J'y ai découvert un témoignage romancé attachant et passionnant, qui m'a ouvert des portes et m'a amené à réfléchir à certains éléments de notre société qui mériteraient sans doute d'être repensés. J'ai également pris beaucoup de plaisir à suivre les tribulations de Dimos, le personnage principal, double du lecteur. Un voyage à ne pas rater.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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Pour faire court : Une société anarchiste plus ou moins solarpunk se fait envahir par son voisin à l'ouest. le voisin est un empire colonial industriel steampunk. Les anarchistes doivent donc s'allier avec leurs voisins de l'est : les libertariens.

Si ça n'est pas une bonne prémisse de roman, je ne sais pas ce que c'est!

Margaret Killjoy, militante anarchiste trans, se sert de cette histoire comme prétexte pour explorer à quoi ressemblerait une société anarchiste fonctionnelle, ses défauts et ses limites. Elle s'interroge aussi sur les différences idéologiques entre l'anarchisme et le libertarianisme, leurs différentes conceptions de la liberté, et tout ça.

Vraiment bien fait si le sujet vous intéresse.

Ça reste toutefois moins nuancé et poétique que Les Dépossédés de Ursula le Guin, que je recommanderais d'abord à quiconque se questionnerait sur l'anarchisme.
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Un livre étendard à l'anarchie, pourquoi pas. Vu la décadence de notre système, les sfff servent aussi à se demander à quoi ressemblerait une société d'une autre nature, ses avantages, ses limites. J'aime l'étalage de possibles, mais j'ai du mal à y croire si c'est fait sans nuances.
Hors dans ce livre le parti pris est grossier: l'autrice met en scène une guerre dont les capitalistes sont les colons, tandis que les anarchistes se battent pour résister à la colonisation. Notre petit coeur de lecteur penche déjà forcément pour les opprimés mais elle enfonce le clou: Les colonisateurs sont des brutes épaisses, homophobes, qui se foutent de l'écologie, qui maltraitent leurs animaux, sourds et aveugles à l'art, et viandards (Bouh!) tandis que les colonisés sont respectueux, en couples libres, pratiquent une géothermie de pointe, aiment leurs chevaux et chiens géants, font route pour la guerre en chantant et jouant du pipeau et sont végétariens. C'est bon, tout le monde est convaincu que la liberté rend les gens meilleurs? Moi, même si on me le dit, je ne suis pas une fille facile et je demande à être convaincue.
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le reproche que je fais souvent aux sff est de placer le message (souvent de remise en question sociale et politique, c'est très radicalement le cas ici) avant le contexte du livre, de ne pas soigner les personnages, ni l'univers dans lequel il évoluent.
Hors dans ce livre, comme il était plus difficile, risqué, et demandait une certaine culture, d'imager des propos politiques avec des pays existants, on en a tout simplement inventé d'autres. Ainsi la Borolie se situe sur une péninsule, tandis que Hron, clan ennemi est accolé à la Vorronie, et possède une chaîne de montagne les Cerracs...Vous avez voyagé? Moi, pas suffisemment. le tout se passe dans une sorte de temps moyen-âgeux, comme beaucoup d'autres récits du même type imaginaire (la horde du contrevent, le monde inverti, un long voyage...) avec toutefois beaucoup moins d'imagination déployée.
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J'ai toujours été plus sensible aux messages qu'on ne voit pas venir dès les premières pages d'un livre, aux détours tortueux des auteurs qui savent "cueillir" leur lecteur, l'émouvoir l'étonner au moment où il s'y attend le moins et finalement lui donner -au moins la sensation- d'avoir grandi le temps d'une lecture (voire même laisser un sillage un peu plus profond).
Hors dans ce livre tout est très frontal, et au premier degré. Pas d'humour, rien qui dépasse. On aime pourtant reconnaître que le chemin est plus enrichissant que le but...
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Voilà donc un livre que je ne qualifierais pas de marquant. Néanmoins le début du cheminement du personnage que l'on suit, un journaliste au départ embauché par les colons pour glorifier leur politique expansionniste, m'a tristement fait penser aux pantins que nous serions tous en temps de guerre: balloté d'un camp à l'autre, parce qu'il faut bien choisir un camp, et en quête de repères et du sens de tant de souffrance. Un personnage touchant dont j'ai suivis le parcours sans déplaisir.

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« Nous ne vous confions pas ce travail parce que vous êtes le meilleur. C'est une tâche importante mais dangereuse, et vous êtes le meilleur reporter que nous puissions nous permettre de perdre. » C'est par ces mots que le journaliste Dimos Horacki apprend par son rédacteur en chef qu'il va être envoyé sur le front pour couvrir la guerre qui agite actuellement l'empire borolien. Officiellement, il s'agit de réaliser un portrait du général chargé de mener les opérations sur place. Officieusement, l'objectif est de réveiller les instincts patriotiques du peuple qui commence à fléchir et à questionner le bien-fondé de la politique expansionniste borolienne. Bref, on l'envoie faire de la bonne vieille propagande. Voilà donc notre héros en route pour les Ceracs, territoire montagneux isolé que les troupes de l'empire s'attendaient à coloniser facilement, comme elle l'avait fait du reste de la région. C'était toutefois sans compter la résistance de Hron et de ses alliés, de nombreuses communautés disparates mais réunies sous la bannière de l'anarchisme. Il ne faudra pas longtemps pour que les convictions du journaliste, déjà vacillantes, ne soient totalement remises en cause par sa rencontre avec celles et ceux qui entendent bien défendre leur indépendance et leur mode de vie face à l'avide adversaire borolien. « Un pays de fantômes » est en quelque sorte une utopie, une utopie anarchiste qui n'a, pour une fois, rien des clichés ordinaires qui veulent que l'absence de pouvoir et de domination se traduise inévitablement par le chaos. L'autrice, Margaret Killjoy, se revendique elle-même de cette idéologie politique, et c'est avec beaucoup d'habilité qu'elle va initier le lecteur néophyte aux principes qui régissent l'anarchisme. Rassurez-vous, le roman n'a toutefois rien d'un pamphlet ou d'un ouvrage de propagande. le propos est, certes, très politique, mais à aucun moment l'histoire ne paraît servir de simple prétexte à la transmission d'un message purement idéologique.

L'objectif de l'autrice est cependant bel et bien de proposer une vision réaliste de ce que pourrait être une société anarchiste. Inutile de vous dire que le résultat n'a que peu à voir avec les stéréotypes qui fleurissent concernant ce courant et l'assimilent volontiers au chaos ou à l'irréalisme. Nous avons affaire ici à une société cohérente et mouvante que les personnages eux-mêmes se gardent bien d'idéaliser mais dont ils défendent tout simplement le droit à exister. Et il faut bien admettre que, que l'on soit sympathisant de la cause ou non, il est agréable de voir de nouvelles formes d'organisations politiques apparaître en fantasy, au-delà du traditionnel empire qui continue à demeurer le cadre principal de beaucoup de romans du genre. On prend ainsi énormément de plaisir à découvrir les spécificités de ces rebelles anarchistes, le tout par les yeux de Dimos, le fameux journaliste, qui constitue une porte d'entrée parfaite vers cette alternative politique. Notre héros se retrouve dans la posture du voyageur candide à qui il faut tout expliquer, ce qui ne l'empêche toutefois pas de faire preuve d'esprit critique et de questionner sans relâche les spécificités du mode de vie anarchiste qui lui sont exposées. Rassurez-vous une fois encore, le roman n'a rien d'une simple « promenade pédagogique » qui viserait à simplement exposer les particularités de l'utopie de l'autrice (rien à voir par exemple avec « Ecotopia » qui, lui aussi, mettait en scène un journaliste mais qui tombait par contre complètement dans cet écueil). le récit est au contraire très riche, bourré de péripéties savamment distillées pour donner du rythme à l'ensemble. On ne s'ennuie donc pas une seconde, et on est même souvent surpris par le cours des événements ou par des scènes courtes mais intenses et qui viennent faire totalement basculer l'histoire. La tentation est donc grande de dévorer le roman d'une traite, d'autant que celui-ci ne compte que deux cent pages.

Parmi les nombreux points forts de l'ouvrage, on peut également citer les personnages dont beaucoup laisseront une marque durable dans la mémoire du lecteur. A titre personnel, cela faisait longtemps que des héros et héroïnes de fiction ne m'avait pas autant remuée ! Dimos, évidemment, campe un protagoniste remarquable, à la fois pour la conscience qu'il a de ses propres travers et limites, mais surtout pour sa capacité à remettre en cause le cadre imposé par l'empire et à être touché par des individus totalement différents de lui. Les anarchistes qui vont croiser sa route sont eux aussi bouleversants d'humanité, chacun d'une façon très différente. L'autrice se garde toutefois bien d'un traitement manichéen qui opposerait les bons et gentils anarchistes aux méchants boroliens, même si, bien sûr, la répression subie par Hron et l'invasion de leur territoire rappelle le sort réservé aux populations colonisées et aux opposants politiques partout dans le monde, ce que ne peut que rendre les individus défendant cette cause plus sympathiques. Tout est bien plus complexe, et par conséquent plus intéressant que ça puisque tous n'ont pas la même vision de ce que devrait être Hron et de la façon dont ses habitants devraient s'organiser. Il n'est pas non plus question pour Margaret Killjoy de gommer les difficultés auxquelles peuvent être confrontés les personnages, ni de passer sous silence leurs failles, leurs contradictions, voire leurs manquements. Difficile, enfin, de ne pas se sentir touchés par la joie et l'amour qui animent celles et ceux défendant la cause de Hron et qui, comme l'explique très justement Patrick Dewdney dans sa préface, permet de mieux cerner « comment on peut donner sa vie, très librement, très facilement, pour une idée. » Et celui-ci de poursuivre : « Ça n'a rien à voir avec le nihilisme du « Viva muerte » fasciste. Il ne s'agit pas d'une question de vie ou de mort. Il s'agit seulement d'amour. » Voilà qui résume merveilleusement bien le propos de cet ouvrage.

Avec « Un pays de fantômes » Margaret Killjoy met en scène une utopie fondée sur l'anarchisme, s'extrayant ainsi d'un cadre politique habituellement peu questionné en fantasy et proposant une alternative qui n'a rien ici de déraisonnable ou d'irréaliste. Porté par des personnages touchants et une intrigue bien construite, l'ouvrage se lit à une vitesse folle et s'inscrit indéniablement parmi les romans de fantasy les plus inspirants et les plus émouvants qu'il m'a été donnée de lire ces dernières années.
Lien : https://lebibliocosme.fr/202..
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critiques presse (1)
Elbakin.net
26 août 2022
Dans un style clair et concis, toujours efficace et sans jamais rechercher l’effet de trop, l’autrice livre un récit sans fard, loin de faire de la guerre quelque chose séduisant ou même de fascinant. Les destins individuels demeurent au cœur de tout.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Tu as le droit de t’en vouloir, si ça peut te consoler m’a t’elle dit. Ou si tu aimes la souffrance que cela rapporte. (…) Mais quand la culpabilité ne t’est plus d’aucune utilité, tu ferais mieux de ne pas t’y accrocher. Ou bien elle va pourrir et te gangréner de l’intérieur.
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Dans certaines circonstances, nous permettons à celles et ceux qui ont la force de l'expérience de prendre les commandes. Et ça n'a rien de contraignant. C'est une des meilleurs sensations du monde que de laisser quelqu'un d'autre vous diriger, par moments, tant que c'est volontaire. Parfois, ce qui se produit de pire quand vous n'y consentez pas est absolument inouï lorsque vous donnez votre accord. Les caresses, le sexe, la soumission, l'obéissance. Le combat. L'aveu. La conversation. La responsabilité. Le choix, c'est ce qui fait toute la différence.
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- Et si personne ne voulait, je ne sais pas, faire les moissons, la cuisine, le ménage, ou nourrir les autruches ? (...) Je ne comprends pas votre mode de vie.
- Si quelqu'un veut se laisser mourir de faim, libre à lui, a répondu Sakara. J'ai remarqué que beaucoup préfèrent avoir le ventre plein. Et pour ça, il faut planter, récolter, élever et chasser. Nous trouvons de la joie dans ce que nous faisons pour nous-mêmes et la communauté.
- Et les tâches moins plaisantes, comme la vaisselle ? Ou bien entretenir les égouts ? Nettoyer les latrines ?
- Dans votre pays, est-ce que vous vous faites payer pour prendre un bain ? Pour vous habiller ? Quand vous finissez votre journée de travail, laissez-vous les outils en désordre ? Je ne veux pas vous manquer de respect, mais est-ce qu'il n'y a que des enfants , là d'où vous venez ?
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Tous les individus sont libres. La liberté est définie comme une relation entre les membres d'une société. Cette relation tire son origine du respect mutuel, de la reconnaissance de l'autonomie d'autrui, ainsi que de la capacité à nous tenir pour responsables de nos actions. Tous les individus sont libres et tous ont une responsabilité envers eux-mêmes et envers les autres.
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Tous les individus sont libres. La liberté est définie comme une relation entre les membres d'une société. Cette relation tire son origine du respect mutuel, de la reconnaissance de l'autonomie d'autrui, ainsi que de la capacité à nous tenir pour responsables de nos actions. Tous les individus sont libres et tous ont une responsabilité envers eux-mêmes et envers les autres.
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