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EAN : 9782073017598
288 pages
Gallimard (12/10/2023)
4.48/5   345 notes
Résumé :
« J’avais été jadis un voyageur insouciant. Je devins un lecteur de grand chemin, toujours aussi rêveur mais un livre à la main. Je lus, adossé à tous les talus d’Europe, à l’orée de vastes forêts. Je lus dans des gares, sur de petits ports, des aires d’autoroute, à l’abri d’une grange, d’un hangar à bateaux où je m’abritais de la pluie et du vent. Le soir je me glissais dans mon duvet et tant que ma page était un peu claire, sous la dernière lumière du jour, je lis... >Voir plus
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MINUIT DANS LA VILLE DES SONGES - René Frégni - Éditions Gallimard - lu en mars-avril 2022 - Roman autobiographique.

Cher René,

Avec un titre aussi poétique que celui-là, votre livre aurait dû se placer au centre de la vitrine de tous bons libraires, comme tous vos autres livres d'ailleurs à mon humble avis (je les ai tous lus), mais mon libraire A Livre Ouvert dans la commune de Bruxelles où je vis, l'avait dans ses rayons, je n'ai pas dû attendre pour l'acheter.

Vous me faites entrer dans votre univers familial par la petite porte, celle
qui s'ouvre sur vos souvenirs, ceux de votre enfance, de votre scolarité, dans cette ville des songes, Marseille, vous qui ne rêviez que de vous échapper dans les chemins des forêts, ce que vous faisiez d'ailleurs très souvent, comme je vous envie d'avoir eu ce courage-là, celui de fuir les sentiers battus bien entretenus pour aller vers la vie sauvage et libre.
"Je détestais les livres d'école, je n'aimais que la voix de ma mère. Durant toute mon enfance, aux confins de Marseille, je suis allé à l'école au bout de notre impasse, avec la peur au ventre d'être interrogé, avec ce rat de peur qui me rongeait le ventre". page 14 Comme je vous comprends.

Vous êtes né déserteur dites-vous, et vous avez déserté l'armée, vous avez fui vers des horizons plus vastes, cela n'a pas été simple, vous avez fait des rencontres parfois un peu douteuses mais desquelles l'amitié a surgi. Vous êtes resté fidèle à vos convictions.

Le petit garçon qui n'aimait pas l'école s'est mis à dévorer les livres, vous deveniez les héros de vos lectures, elles vous ont bouleversé.
"J'étais Edmond Dantès, Fantine, Jean Valjean, Rémi de Sans famille".

Vous êtes passé par la prison aussi, on ne déserte pas l'armée sans conséquence, et là aussi, grâce à l'aumônier, vous vous êtes plongé dans les livres, vous avez eu votre premier cahier rouge, vous preniez des notes, sans savoir qu'un jour vous deviendriez écrivain et que vous animeriez un atelier d'écriture dans une prison.

La dernière porte de la dernière école que vous avez franchie vous aviez 16 ans, "Je quittai la classe et traversai la cour dans un silence de sépulcre. Personne n'osait croire à ce qu'il venait de voir. Pour la dernière fois de ma vie, je franchis les portes d'une école. Je venais d'avoir 16 ans". page 32

Je ne vous raconte pas ce qu'il s'est passé, lisez le livre !

Vous me présentez à votre famille, votre maman, je la connait déjà bien, vous en parlez dans tous vos livres, "Ma mère était plus douce et affectueuse que la Vierge Marie". On découvre votre père un peu mieux, c'est Noël, la crèche, les santons, il vous raconte l'histoire du boumian qui "emportait dans son sac ceux qui désobéissaient à leurs parents".
Il travaillait beaucoup votre papa.

Votre maman est loin maintenant, mais vous lui parlez chaque jour.
"Il y a autour de moi, depuis tant d'années, tant de Noëls, la tendresse de ma mère qui écarte à chaque instant l'inquiétude et la peur, et qui est aussi merveilleuse que nos jardins d'enfance, la marche des saisons et la beauté du monde". Page 17

Et puis, quel étonnement de découvrir que vous avez une soeur et un frère !
Une soeur chez qui vous vous êtes réfugié quelques temps. C'était mai 68.

Votre passage dans cet hôpital psychiatrique est aussi important pour vous, vous l'avez évoqué dans un de vos livres, vous y avez découvert "un monde de misère, de délires et d'oubli." Vous avez fait des études d'infirmier, vous leur faisiez la lecture à l'ombre d'un grand arbre à ces pauvres hères et ils aimaient ça.

Vous avez atterri dans la prison de Vincennes, dernière étape de votre fuite et de votre vie de nomade avant d'être libéré et votre dossier de déserteur clôturé grâce à l'aide d'un avocat généreux.

Et puis, enfin, vous vous êtes essayé à l'écriture d'un roman, puis d'un second, mais hélas ils ne rencontrèrent pas le succès, ils ont été ignorés. Puis un troisième qui celui-là attira l'attention d'un éditeur et ce fut le début de votre vie d'écrivain, vous le mauvais élève, la tête dure, le révolté, vous avez réussi. Quelle victoire, quel bonheur pour votre maman qui vous rêvait instituteur.
"Ce livre, dans la vitrine d'une librairie, un jour de septembre, c'était une façon de dire ce que l'on n'ose plus, quand on est devenu un homme, dire tout simplement "je t'aime plus que tout, maman", comme on le faisait, chaque jour, quand on était enfant". page 244.

A la fin de votre livre, vous revenez au temps présent, et votre écriture est empreinte de nostalgie et de tristesse, vous me parlez du virus qui a semé l'angoisse et la mort et "escaladé à pas de loup des escaliers, s'est glissé sans bruit dans les maisons".
"Il faudrait oublier toutes ces terres chimiques, ces forêts en flammes, ces rivières mortes... Partout la main de l'homme , l'oeuvre de l'homme. Comment oublier".

"Voilà mes journées maintenant, j'écris, je marche, je caresse la tête de mon chat devant les braises qui s'effondrent. Ça durera bien encore un peu... Qui s'occuperait de mon chat" ? Page 254

Cher René, je vous trouve bien pessimiste là, il y a encore de la beauté sur la terre, des âmes bonnes, et puis, non, vous n'êtes pas "vieux", vous avez vécu non pas une vie, non pas deux vies, mais mille vies et je suis certaine que vous avez encore des choses à me raconter là devant l'âtre avec Solex sur vos genoux, vos cahiers rouges aux pages blanches n'attendent que votre plume pour se mettre à vivre pour le plus grand plaisir de vos lecteurs.
Ne nous abandonnez pas.




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« Minuit dans la ville des songes » est avant tout un roman autobiographique dans lequel René Frégni nous ouvre les portes de son passé, tout en nous racontant l'origine de son amour pour la littérature. Grand fidèle de l'école… buissonnière, René Frégni fait donc tout d'abord l'impasse sur sa scolarité, avant de déserter également l'armée. Fuyant l'école et le service militaire au profit d'une vie rebelle faite de liberté, de coups tordus et de voyages, il se retrouve finalement incarcéré en tant que déserteur. C'est l'aumônier de la caserne qui lui donnera finalement les clés qui lui permettront de s'évader de prison…en l'approvisionnant en livres. C'est plus tard, en rédigeant des rapports journaliers salués par tous ses collègues d'un hôpital psychiatrique, que son amour des mots trouvera le chemin de l'écriture…

« Minuit dans la ville des songes » est donc également le roman initiatique d'un rebelle marseillais qui a dû passer par la case prison pour croiser le chemin de la littérature, transformant cet enfant allergique à l'école en amoureux des livres, qui organise dorénavant des ateliers de lecture au sein des prisons afin de permettre l'évasion à grande échelle de nombreux détenus.

« Minuit dans la ville des songes » n'est pas seulement un magnifique ode à la littérature, mais aussi une invitation au voyage car la fuite de ce grand fugitif nous emmène de Londres à la Turquie, en passant par le Sud de la France, l'Espagne et la Corse. En tournant les pages de ce roman, le lecteur s'imprègne des décors gorgés de soleil que l'auteur décrit et restitue avec beaucoup d'affection.

« Minuit dans la ville des songes » est un livre parsemé de rencontres, qui ne rend pas seulement hommage à la littérature, à la nature et aux choses simples de la vie, dénuées d'artifices, mais surtout un hommage vibrant à sa maman, qui l'aura toujours soutenu, peu importe le chemin emprunté.

« Minuit dans la ville des songes » est l'histoire d'un cancre rebelle, tombé amoureux des livres, un homme qui a multiplié les bêtises, mais ce roman n'en fait certainement pas partie. Un autodidacte de la vie, qui dans un style alliant honnêteté et modestie, parvient à livrer un récit foncièrement humain… ainsi qu'un très beau personnage… celui qui m'avait déjà séduit sur le plateau de la Grande Librairie.
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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💕René Fregni💕Je découvre enfin la plume poétique de cet écrivain attachant qui m'a emportée dès les premières lignes. Un roman magistral sur le pouvoir de la littérature et la rédemption par les mots. Ode à la fois à la littérature, à la liberté mais aussi au voyage.
L'auteur anime depuis des années des ateliers d'écriture en prison et vit désormais retiré du monde, dans une maison au bord de la forêt à Manosque. Sa vie n'a pourtant pas toujours été paisible. Ce cancre rêveur, à la limite de la phobie scolaire, celui dont les écoles et institutions ne voulaient pas, celui qui rêvait d'escapade au dehors loin des salles de classe, devient très tôt une graine de voyou traînant dans les quartiers pauvres de Marseille avec des petites frappes, commettant des larcins ou dansant le be-bop, revendiquant une jeunesse « insouciante, libre et amorale ». Au grand dam de sa mère très inquiète et en dépit de leur relation fusionnelle. Sa voix qui « écartait de mon corps les odeurs grises des livres de grammaire..de la peur » imprègne le roman. Cette voix rassurante qui lui contait les aventures de Jean Valjean, d'Edmond Dantès ou encore du petit Rémi de Sans famille.
Écrivain autodidacte, il nous raconte comment sa passion pour la littérature et l'écriture l'ont sauvé.  
« Je suis né déserteur ». A 19 ans il déserte l'armée et sera incarcéré dans une prison militaire avant une vie d'errances devenue parcours initiatique.
Dans cette geôle il retrouve une figure du Banditisme Ange-Marie Santucci et découvre grâce à lui le pouvoir des mots « lis, René, tu leur feras peur! …J'ai beaucoup mieux qu'un calibre aujourd'hui, j'ai des mots, j'ai leurs mots ! » et grâce à l'aumônier qui les fournit en livres, René Frégni lit Jean Giono et se trouve propulsé dans le Sud brûlant où il a grandi retrouvant les odeurs du maquis et de la garrigue, thym, oliviers, genêts, pierres calcinées et bruits de son enfance « … Je compris soudain ce qu'était la lecture, la puissance colossale des mots. Cette journée allait déterminer le reste de ma vie, ce voyage infini vers les mots. Au fond de ce puits d'ombre, j'étais un évadé ».
D'abord « machines de torture » les livres deviennent des « machines d'évasion » écartant les barreaux, faisant éclater les verrous d'acier, raccourcissant le temps et peuplant sa cellule de personnages.
Avec une infinie délicatesse Frégni parle de son amour des livres. A chaque ville ou pays qu'il visite lors de sa cavale correspondent un livre et un auteur, de l'Italie à la Grèce en passant par Istanbul ou Londres, d'Almeria à Ankara en passant par la Corse…
Son séjour à Bastia (ma ville qu'il décrit si bien ) restera inoubliable « une ville à flanc de montagne, qui de tous ses yeux, regarde la mer et l'Italie … Bastia est un amphithéâtre dont l'immense scène est la mer. Vous grimpez entre deux falaises de maisons et vous débouchez tout en haut, sur le ciel et la mer. Chaque venelle obscure plonge dans le bleu. Partout, c'est un combat aphrodisiaque, entre l'odeur sauvage du maquis et celle des embruns. »
« J'étais un arbre qui lit…Je n'étais qu'un morceau vivant du maquis et je partais dans des voyages de mots qui m'emmenaient de l'autre côté du monde ». Un peu plus tard travaillant en tant qu'auxiliaire en psychiatrie tout en préparant un diplôme d'infirmier, il commence à se familiariser avec l'écrit. Comment devient-on écrivain quand rien ne nous prédestinait à écrire?
On suit ce délicat « vagabond de mots dans un voyage de songes » de ses échecs jusqu'à sa première publication.
Terriblement beau, immensément touchant.
Merci à @HordeDuContrevent de m'avoir convaincue de le lire avec sa magnifique chronique
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Me voilà silencieuse face à la page blanche après lecture de ce livre « Minuit dans la ville des songes » de René Frégni. Ma plume tournicote et hésite. Comment trouver les mots justes après avoir lu de telles phrases emplies d'humanité, ce style à la fois simple, modeste et sensoriel, écriture d'autant plus magnifique lorsqu'on sait quel a été le parcours de vie de René Frégni ? Lorsque l'on connait son aversion viscérale dès le plus jeune âge pour toute institution portant atteinte à sa liberté, à savoir l'école et l'armée. Ce qui lui vaudra des années de cavalcade, d'errance, de fuite, de vagabondage.

« Je détestais les livres d'école, je n'aimais que la voix de ma mère. Durant toute mon enfance, aux confins de Marseille, je suis allé à l'école au bout de notre impasse, avec la peur au ventre d'être interrogé, avec ce rat de peur qui me rongeait le ventre ».

Autobiographie d'un mouton à cinq pattes. Autobiographie d'un poète rebelle et vagabond. Autobiographie d'un déserteur provençal. Autobiographie d'un amoureux éperdu des livres. Que de qualificatifs possibles pour résumer René Frégni, que d'adjectifs réducteurs aussi. René Frégni c'est tout ça à la fois tant il a eu mille vies, homme rare, poète profondément humain, vagabond, personnage parfois sauvage et inconscient, voire irresponsable, révolutionnaire, antimilitariste, homme simple plaçant sa vie sous le signe de la sobriété loin du tumulte et des turpitudes des villes, être éminemment solaire, méditerranéen dans l'âme, lecteur passionné…et surtout, surtout, écrivain unique. Un personnage ce Monsieur Frégni. Un beau personnage.

L'histoire d'une étincelle indomptable devenu feu bleuissant tranquillement dans l'âtre, un feu nourri aux livres se faisant de plus en plus chaud, grand et puissant au fil des années. Même si nous percevons à la fin du livre comme un feu étouffé, une légère fumée noire, funeste. Minuit aurait-il sonné pour la Terre et pour notre homme ? Je ne veux pas le croire, non…

Ma lecture fut imprégnée du son mélodieux de sa voix, de son accent aux éclats de soleil, je l'ai comme entendu se livrer pour nous dire sa passion des livres, son besoin viscéral d'écriture, « ce grand voyage des mots, d'émotions, de paysages imaginaires qui estompaient ceux que je traversais » ; je l'ai entendu clamer tout son amour aux personnes ayant été des étoiles dans sa vie. Des boussoles. Sa mère ainsi que Ange-Marie Santucci, prisonnier corse avec qui René avait fait quelques menus larcins alors qu'ils étaient minots, sont les deux personnes les plus importantes me semble-t-il, la première pour l'amour infini et patient prodigué malgré son côté indomptable, le second pour lui avoir insufflé en prison la passion des livres, le meilleur vecteur d'évasion et de pouvoir. Les mots abolissant les barreaux, les murs de la prison. Les mots apportant savoir, connaissance, respect.

« J'essaie de retrouver, avant de m'endormir, toutes ces femmes et tous ces hommes que j'ai croisés, ces fantômes agités ou silencieux qui ont glissé devant mes yeux, comme des barques dans la nuit ».

Un éloge aux paysages provençaux et à la Corse, voilà ce que nous offre également René Frégni. Quelle façon merveilleuse de décrire ces décors aimés du Sud de la France et de l'île de beauté, gorgés de soleil, aux odeurs saturés de thym, de garrigue, de mer bleue. Alors qu'il est épaté par la façon dont Jean Giono arrive en quelques pages à l'emporter dans ce Sud natal, j'ai ressenti la même chose en le lisant, je fus avec lui dans ses pérégrinations méditerranéennes, ressentant la chaleur s'infiltrer en moi, sentant l'odeur des citronniers, des orangers et des figuiers, rêvassant dans ces chambres de bruyères et de genêt, admirant les façades ocres des maisons, écoutant le bruit des cigales. L'observant, dans ce décor aux mille couleurs, aux mille senteurs, lire Giono et être lui-même émerveillé. Effet miroir.

« Bastia est un amphithéâtre dont l'immense scène est la mer. Vous grimpez entre deux falaises de maisons et vous débouchez tout en haut, sur le ciel et la mer. Chaque venelle obscure plonge dans le bleu. Partout c'est un combat aphrodisiaque entre l'odeur sauvage du maquis et celle des embruns ».

« Minuit dans la ville des songes » est également un éloge vibrant aux auteurs qui ont marqué et façonné à jamais sa vie, le premier d'entre eux étant Jean Giono, puis Dostoïevski, Rimbaud, Céline…Chaque auteur lui apporte un savoir, une émotion, et pour chaque auteur René Frégni prend le temps de nous expliquer ce premier rendez-vous, ce premier contact et l'émotion associée. Sans oublier le tout premier livre réellement lu, une autobiographie de Lucky Liciano, émigré sicilien qui allait devenir le plus célèbre gangster des Etats-Unis.
Un bel hommage aux femmes aussi. Lire René Frégni c'est vouloir être tour à tour sa mère, sa soeur, son amante, son âme soeur. Respect, délicatesse, tendresse, sensualité, voilà ce qui se dégage de lui lorsqu'il parle des femmes, lorsqu'il écrit les femmes. Pas étonnant qu'il ait un fan club ici sur Babelio, fan club assez féminin…nous sommes toutes amoureuses de René je crois bien.

« On a toujours raison de penser à nos mères, où qu'elles soient elles nous montrent le chemin le moins périlleux, le plus tendre ».

De grands auteurs, des femmes, une poignée d'homme de parole, des rencontres salvatrices, formatrices, essentielles. Ne rien ajouter de plus. Je pourrais faire miens ses mots, murmurés alors que René Frégni vient de terminer Cent de solitude : « La beauté mélancolique de ce roman flotte encore autour de moi, comme ces nuages de papillons »
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René Frégni a obtenu le prix des lecteurs du Var en 2022 pour ce livre qui le mérite vraiment. Il en était tout étonné lui-même, le jour même de l'attribution, nous avions eu l'occasion d'en parler ensemble à la fête du livre de Toulon en novembre.

Et c'est encore un livre que j'ai souhaité attendre pour le savourer ces jours-ci quand la Provence a déjà pris les couleurs de l'été et attend elle aussi les premiers crissements des cigales qui ne vont pas tarder.

Cette attente est très largement récompensée tellement cette lecture est belle. René y raconte essentiellement ses jeunes années, sa découverte de la lecture, avec Balzac, puis tant d'autres qui suivirent au fil des journées de prison militaire dont il écopait car n'acceptant aucune forme d'autorité. Il cite ainsi de nombreux auteurs classiques pour arriver à Giono, le plus grand en Provence dont il respecta l'intimité manosquine, s'approchant simplement des abords de sa maison sans oser tenter la rencontre avec celui dont il avait suivi le hussard sur les tuiles brûlées de la cité.

Les déboires militaires de René l'amènent à fuir Verdun dont il ne pouvait supporter les frimas, mais c'était surtout son immense désir de liberté qui le poussa vers le sud, particulièrement vers la Corse où il égrène ses journées dans la haute ville de Bastia. Là, entre lecture et admiration de beautés de la nature, il chemine dans le ciel à "l'âge du hasard" qui l'y a conduit et livre à ses lecteurs peut-être les plus belles pages de son livre.

Jeunesse, insouciance, amour croqué avidement, tendresse pour sa mère éloignée par cette fuite, René explore tous les sentiments mêlés de la jeunesse en continuant de dévorer les livres. Nous avons tous des lectures partagées avec lui et nous pouvons frémir avec lui lorsqu'il livre ses découvertes, son attirance pour Hemingway, Sartre, Vian, Camus, Céline, tous ces grands écrivains dont les idées, contestables ou admirables, ont été exprimées avec un talent qui génère le même enthousiasme que celui ressenti par René Frégni.

Il évoque bien sûr aussi Marseille, Manosque, Valensole, tous ces villages de la haute Provence, il se réjouit d'avoir eu la chance de naître dans cette terre exceptionnelle et, lorsqu'on la connaît, on partage à cent pour cent son ressenti.

Dans la dernière partie, adulte, il raconte ses premiers pas dans l'écriture et, surtout ses tentatives malheureuses pour être publié. Il m'avait d'ailleurs confié ces difficultés le jour de l'attribution de son prix.

René aime les gens, les prisonniers auprès desquels il a animé un club de lecture aux Baumettes, les "fous" qu'il a soignés quand il était infirmier, leur faisant aussi la lecture qui apaisait leurs tourments, les infirmières qui dévoilaient pour lui leurs poitrines pleines de générosité, le peuple des bars, des cinémas, des placettes, celui rencontré sur les chemins, noirs ou éblouissants de la lumière de la Provence.

A minuit, on ne lâche pas cette ville des songes et on avance jusqu'au matin pour atteindre les ultimes pages, synthèses d'une vie mêlant liberté, lecture, poésie, écriture et on n'a même plus besoin de sommeil pour vivre le jour qui vient.


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critiques presse (1)
LeMonde
16 mai 2022
Un roman d’initiation. Aux mots, au sens – à la vie.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (157) Voir plus Ajouter une citation
J'ai passé toutes ces années à ramasser des mots partout, au bord des routes, dans les collines, sur les talus du printemps, le banc des gares, le quai des ports, dans la rumeur sous-marine des prisons, les petits hôtels dans lesquels je dors parfois, les villes que je traverse, les mots que j'aimerais prononcer lorsque je regarde, ébloui, certains visages de femmes, ceux que soulèvent en moi l'injustice et l'humiliation, les mots qui font bouger mon sommeil, la nuit, et qui sont sans doute la clé de tous les mystères.
Je ramasse un mot, je le regarde, le flaire, le caresse, je le mets dans ma bouche, comme un petit galet rouge ou vert de rivière, puis dans l'une des mille poches secrètes que je me suis inventées. Je voyage avec ce bourdonnement de mots qui ne pèse rien, ce nuage d'émotion. Chaque jour je marche, je parle avec tout ce qui bouge autour de moi et je ramasse des mots. Je ne possède que cette maison de mots.
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Page 302

Je reviens et je fends des bûches derrière la maison. J’ai fendu des bûches toute ma vie. Les soirs d’avril sont encore frais. J’allume un feu dans le poêle en fonte. Voilà mes journées maintenant, j’écris, je marche, je caresse la tête de mon chat devant des braises qui s’effondrent. Ça durera bien encore un peu… Qui s’occuperait de mon chat ?

Je retourne de plus en plus souvent à Bastia, la nuit, quand tous les prés sont noirs. Il y avait des jeunes filles, des palmiers, la mer. Je marchais avant le jour, dans ces ruelles qui sentaient le feu de bois, le pain chaud, le port tout proche. La police ne pensait pas à m’arrêter, j’étais si insouciant. J’avais « vingt ans, la France était jeune, rien ne pouvait m’arriver.

Nous avons été les hôtes, ces derniers temps, d’un virus sorti de nulle part, il a fait plus de bruit que la chute de la Bastille. La mort a rôdé dans les rues, poussé des portes, escaladé à pas de loup des escaliers, s’est glissée sans bruit dans les maisons. Nous sommes comme ces animaux qui arrêtent leur course, dressent l’oreille, écoutent… Nous percevons les lointains galops des cataclysmes qui s’approchent. Nous sommes désormais une espèce anxieuse, aux aguets, fragile. Nous venons de comprendre que le merveilleux paquebot sur lequel nous voguons va bientôt être englouti et nous poursuivons, malgré tout, notre croisière vers l’abîme.
 
Quand les dernières flammes bleuissent dans mon poêle, je retourne à ma table, j’allume la petite lampe jaune et j’écris quelques mots. Parfois je n’écris rien, je tiens mon front, ma plume attend…
J’essaie de retrouver, avant de m’endormir, toutes ces femmes et ces hommes que j’ai croisés, ces fantômes agités ou silencieux qui ont glissé devant mes yeux, comme des barques dans la nuit.
 
Manosque, le 18 avril 2021 »
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Un roman à écrire, un récit, c’est comme une forêt derrière un épais brouillard. On devine à peine la masse confuse des arbres. On est suspendu sur la première page d’un cahier, aussi immobile et aveugle que face à ce mur de brouillard.
Si on attrape un premier mot, on entre dans la forêt, on fait quelques pas… On écrit le mot chêne ou genévrier. Arbre après arbre, pas après pas, on voit apparaître un buisson, un rocher, un ravin, un ruisseau… Chaque mot éclaire un détail. Ici, la mousse sur un tronc, là, des barbes de lichen, plus loin, la carcasse abattue d’un pin, des buis malades, un chemin rouge, des traces de sanglier… L’écriture dissipe le brouillard. Plus la plume court, plus tout s’organise, devient limpide. Tout se révèle alors, les odeurs, les murmures de la forêt. On est enfin dans le corps vivant du roman. Chaque mot respire.
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Maintenant, je vis dans une maison au bord de la forêt. Vers cinq heures du soir, l'hiver, je fais du feu dans un poêle en fonte noir et je relis de vieux livres. Je lis trois pages, je regarde la danse des flammes, je m'endors un peu, je rattrape mon livre, tourne deux pages, ajoute une bûche...Je serai bientôt vieux. Je dors souvent.
(incipit)
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Je ramasse un mot, je le regarde, le flaire, le caresse, je le mets dans ma bouche, comme un petit galet rouge ou vert de rivière, puis dans l'une des mille poches secrètes que je me suis inventées. Je voyage avec ce bourdonnement de mots qui ne pèse rien, ce nuage d'émotion. Chaque jour je marche, je parle avec tout ce qui bouge autour de moi et je ramasse des mots. Je ne possède que cette maison de mots.
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