J'ai tous les romans de
Jean-Paul Dubois, j'ai même, en double, mon préféré,
Tous les matins je me lève, prêt à être offert.
Je les relis régulièrement.
Les trois meilleurs (pour moi of course) :
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Tous les matins je me lève
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le cas Sneijder
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Kennedy et moi
Si je mets de côté les deux recueils de nouvelles (
Vous aurez de mes nouvelles et
Parfois je ris tout seul) et les deux non-romans : Eloge du gaucher et l'Amérique m'inquiète, les trois moins réussis (à mon très humble avis) :
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Maria est morte
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Hommes entre eux
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Une année sous silence
Tous ses livres me parlent et me charment. Même les épigraphes, dont j'ai dressé la liste sur Babelio.
Jean-Paul Dubois jongle avec la météo, les dentistes, les voitures, les chiens, les tondeuses à gazon, dans des univers contrariés mais jamais contrariants. Ses livres sont magnifiquement écrits.
Drôles, désenchantés, décalés, désarmants.
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Je me suis jetée sur
L'origine des larmes dès sa parution, j'ai lu la première partie et j'ai tellement détesté que je l'ai lâché.
Désespérée.
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L'histoire est noire, noire c'est noir, il n'y a plus d'espoir. Paul, notre narrateur, vend des housses mortuaires très haut de gamme. A la morgue, il tire deux balles dans la tête de son père, qui était déjà mort, ce que Paul savait. Quelques explications un peu pompeuses plus loin, sur la jurisprudence et la loi applicables, Paul est condamné via une procédure de CRPC (le plaider-coupable à l'Américaine) à une peine d'un an d'emprisonnement assortie d'une obligation de soins : il doit consulter un psychiatre, le Dr Guzman, pendant un an.
Ce sont ces séances – thérapie de soins et non de confort, par obligation et non par choix - que Paul nous retrace.
En soi l'idée est absurde puisque le risque de récidive est égal à zéro.
Thomas Lanski, le père, était un homme cruel et odieux (+++)
Paul n'a pas connu sa mère, morte en couche, avec son frère jumeau, mort-né.
Paul, la cinquantaine, n'a aucune vie sociale ni amoureuse, il parle avec U.No, née de l'intelligence artificielle.
Nous sommes en 2031, à Toulouse, la pluie, permanente, est « robuste et têtue ».
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Paul a une approche de la conception,
l'origine des larmes, l'origine du mal, simpliste, vulgaire, dévoyée :
« J'ai du mal à croire que j'aie pu séjourner, ne serait-ce que quelques instants, dans les testicules et le scrotum de Thomas Lanski.
« J'ai donc baissé la fermeture éclair de notre Stramentum modèle 3277 jusqu'à ce que le corps nu et vieilli de Lanski soit à nouveau dévoilé. J'ai regardé ces vieilles chairs, viandes fripées d'où saillaient quelques os. Son sexe reposait en arc de cercle sur l'une de ses cuisses. de ses couilles, déjà avalées par l'entrecuisse, plus aucune trace. Pourtant mon frère mort-né et moi venions de cet endroit-là. J'ai regardé ce bas-ventre, ce canal conjonctif qui nous avait propulsés vers la vie, cet appendice flétri qui ce jour-là s'était mis en tête de fonder ce qui allait tout détruire, une vie de famille ».
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Paul décrit la souffrance de la garde à vue, puis de la thérapie.
« La nuit en garde à vue.
Que la nuit fut longue. Dans cette petite cellule individuelle où les heures écorchent le temps et torturent la mémoire, je me suis efforcé de conserver en moi le plus longtemps possible la douceur et la bienveillance du regard de mon frère. Il me manque depuis le premier instant, il m'a manqué toute une vie. Comme notre mère».
« Dès la première consultation, je me rends compte que, pour moi, cette année d' «obligation de soins » pourrait bien être interminable et douloureuse. Rouvrir les plaies de toute une vie, en gratter la tristesse, les souffrances, se confronter à nouveau à ces effarements d'enfants, cette stupeur éprouvée face au visage d'un père capable de tordre les os comme les âmes. »
« Ils sont mon conjonctivochalasis congénital, l'origine de mes larmes »
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Est-ce que Paul a eu tort de tirer ? Oui, non, peu nous importe…
Ce qui est très agaçant, c'est l'absence de distance, l'auto-apitoiement permanent, la surrenchère de « mots rares et précieux », et de références éruditissimes (voir la très belle critique de @ Michel69004)
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Décontenancée.
J'ai lu la 4ème de couverture : « Comédie noire ou drame burlesque ».
N'importe quoi. La première partie n'a aucune once d'humour. Elle ne s'y prête pas. Paul se vautre dans ses histoires tristes et nous les impose. Il est lourd le pesant passant. Aussi le sont les éléphants. Qui donc appuie les hommes sur le goudron
« Trop de choses à oublier, trop de bêtes à faire taire ; trop de housses à souder ».
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Pause presque salvatrice. La deuxième partie n'est pas archi marrante, mais il y a un semblant d'humanité dans la relation entre le psy et Paul. Bon il faut creuser, et je l'ai fait.
« Il faut que je lui dise que je regrette mon mouvement d'hier, même si je n'en pense pas un mot. Cette friandise d'hypocrisie fait partie des codes de maintien de cette étrange valse que nous nous efforçons lui et moi de danser. »
Evoquant un marin qui abandonne son projet, Paul nous dit qu'il « parle comme un footballeur en arrêt de travail ».
Il pleut tellement que M. Kim Tschang-Yeul en a « trop de travail ».
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Paul convoque le monologue des larmes sous la pluie (Blade Runner) et c'est bien vu. C'est sa première épigraphe.
« J'ai vu des choses que vous, humains, ne pourriez croire... Des navires de guerre en feu, surgissant de l'épaule d'Orion... J'ai regardé des rayons C briller dans l'obscurité, près de la Porte de Tannhäuser... Tous ces moments se perdront dans le temps... comme... les larmes dans la pluie... Il est temps de mourir. »
La vanité de l'existence.
Mais pas seulement.
Hélàs, Paul redevient lourdingue.
« Devenus ce que nous pouvions, étant ce que nous étions, nous nagerons avec tout ce qu'il nous restera de vie, droit vers cette particule de roche, sachant, au fond de nous, que nous ne pourrons sans doute jamais l'atteindre, mais cependant bien résolus à faire semblant jusqu'au bout. La peur nous traversera, la fatigue, sans doute, le froid, bien sûr, mais aussi le vacarme des larves et celui des rongeurs. »
Ces larves et ces rongeurs me renvoient à ma première impression.
Délicat de critiquer un auteur qu'on adore. Mais il manque à ce livre l'humour et la légèreté qui font le délice des autres.