Zoé

D'emblée les personnages sortent du lot et sont attachants : la petite serveuse de boulangerie de dix-huit ans qui fait fi de son physique séduisant et le sexagénaire, ours solitaire au coeur sensible, retiré dans un fortin, descendant chercher son pain à la boulangerie deux fois par semaine. Tout apparemment les sépare, le mode de vie, l'âge, "il a l'âge de la terre, zoé celui de la saison", et pourtant la séduction va opérer. Mais pas comme nous pourrions l'attendre. L'écriture une fois encore chez Alain Cadéo est le lieu de la rencontre et de l'union
Certes, à la boulangerie, il y a pour lui : "ma minute avec zoé, un regard, quelques mots, ses doigts qui picorent la monnaie dans ma main calleuse… et lorsqu'il y a l'appoint je suis récompensé par un nouveau sourire". Et pour elle : "j'adore quand il me parle, mais je ne veux pas qu'il s'imagine je ne sais quoi. J'aime sa voix, son silence et son air de vieux chien battu". Elle le surnommera le grand shérif et l'appellera Henry, comme Henry Fonda.
Après son travail à la boulangerie, zoé retrouve son cahier, refuge et lieu de résilience, où elle peut par l'écriture poursuivre la complicité avec sa soeur trop vite disparue. Pour le vieil ours solitaire réfugié dans son fortin, l'écriture est le lien avec ses enfants, un lien que l'on pourrait dire testamentaire.
L'Ours va tomber sous le charme de la frétillante boulangère mais ici la séduction trouvera son accomplissement dans l'écrit, ce lieu de l'expression de l'âme.
Des mots que zoé cache dans la miche de pain. Ainsi "les pains au levain deviennent boîtes à lettres contenant des messages fragments de vie, questions gribouillées à la hâte, qui, plus que jamais, semblent réclamer des réponses". Les réponses, il les glissera dans sa main. "Il ne sait plus exactement à quoi il répond ni ce qu'elle attend de cette curieuse correspondance, mais il s'est juré de lui offrir le meilleur de ses mots, l'étrange au-delà qu'ils suscitent".
zoé se livrera tout entière dans une mise à nue plus troublante que celle d'un corps. Henry, dont la vie est "d'écrire, sculpter, marcher, penser à ses enfants", y répondra avec toute son expérience. Un échange où les êtres se découvrent et se disent. "Les mots sont la chair et l'ossature de l'être". Et les mots, Alain Cadéo les connaît et les aiment. Il nous en fait le don et nous régale.