Violette Subros

J'ai réussi à convaincre les filles de participer à un nouveau programme de lutte contre les incendies. Les forêts californiennes sont ravagées chaque été par le feu. C'est un désastre écologique, humain aussi. Un riche philanthrope américain a décidé d'investir dans la reforestation, en collaboration avec des équipes de pompiers volontaires.

Mon monde est en train de s'écrouler. Les semaines que nous venons de passer m'apparaissent comme une blague cruelle du destin, un châtiment savamment orchestré par une puissance supérieure décidée à me punir.

Je voudrais les supplier de me regarder, de m’écouter, mais elles ne m’offrent aucune ouverture. De toute façon, les mots sont étouffés par les débuts de sanglots qui entravent ma gorge. Je peine à respirer, alors continuer de parler est simplement inimaginable. Désemparée par la réaction de mes meilleures amies, je ne trouve plus la force de lutter. Je récupère mon sac à main et quitte l’appartement en courant, avant de dévaler les marches quatre à quatre. En bas de l’immeuble, je fonds en larmes.
Ce mois-ci a été difficile pour moi, amer et éprouvant, mais rien de comparable avec les dernières minutes. Ma vie est comme un château de cartes auquel on vient d’arracher les piliers. Jamais je n’aurais cru être abandonnée de la sorte, encore moins par Clara et Émi. Je pensais pouvoir compter sur elles en toutes circonstances : manifestement, je me trompais ! Mon esprit se remplit rapidement de souvenirs, de rires, de jeux, de plans foireux, de disputes stupides, de réconciliations, de journées shopping et ciné, de fêtes, de confidences.

Je devrais clamer mon innocence, me battre pour leur faire accepter l’évidence : je n’ai rien dérobé, ni ici ni ailleurs, jamais. Je n’ai même pas besoin d’argent ! Pas pour l’instant en tout cas. Tout ça n’est qu’une machination brillamment orchestrée. Pourtant, le seul argument qui me vienne à l’esprit, c’est que mes amies ne devraient pas douter de moi. Pas elles ! Pas après tout ce qu’on a vécu ! Elles devraient me croire sur parole, qu’importe les preuves bidon qu’on leur apporte sur un plateau.
Quel voleur laisse son butin en évidence, au risque de se faire coincer ? C’est débile et tellement gros que c’en est risible. Enfin… pas vraiment.
Je reste muette bien trop longtemps pour que ça serve ma défense. Bouleversée, Émilie me tourne le dos en cherchant refuge dans les bras de Clara. La partie est finie. J’ai perdu.

Avant de devenir une délinquante sans emploi, j’ai mis un peu d’argent de côté, assez pour partir en vacances et voir venir pendant quelques mois. On est toutes les deux célibataires et sans enfants, pourquoi ne pas en profiter ? Je vérifie les dates de ses prochains congés et commence à réserver notre séjour. Hôtel quatre étoiles avec spa et massages. Pour une fois, nous allons nous faire chouchouter. Au moment de payer la facture, ma carte bleue est malheureusement refusée. Il arrive parfois qu’il y ait des bugs, donc je réitère. Même résultat.

J’ai comme une désagréable sensation de déjà-vu. Les images défilent et j’aperçois une femme brune, habillée de la même manière que moi, qui lance sa besace dans la benne à ordures, celle à laquelle je me suis rattrapée pour ne pas rencontrer le bitume. Le policier et ma sœur me dévisagent. Je sens mon sang bouillir à l’intérieur de mes veines. Je me lève d’un bond en faisant tomber ma chaise derrière moi.

Ces souvenirs ne font qu’accentuer la déprime qui menace de m’engloutir. Heureusement, j’ai des petites pilules magiques qui me rendent de meilleure humeur. J’ingère deux anxiolytiques sans prendre la peine de réfléchir au dosage et commande un deuxième cocktail que j’avale d’une traite. Le troisième se vide tellement vite que lorsque je le paie au barman, je me demande si je l’ai vraiment bu.

Ce n’est pas la première fois qu’un homme me demande de vivre avec lui ; la proposition est d’ailleurs allée bien plus loin que ça. Malheureusement, je ne peux pas dire que ça ait été une réussite ! Des souvenirs que je préférerais oublier m’assaillent pendant quelques secondes : des cris, des pleurs, des insultes, suivis d’une colère destructrice qui m’a pourri la vie pendant longtemps.

Les images de Capuche Noire qui me pourchassent jusque dans mes rêves. Les ombres étranges qui traversent les pièces en pleine nuit, avant de disparaître quand j’allume. Le parquet qui grince sans aucune raison. Les fenêtres et les portes qui sont grandes ouvertes alors qu’une minute plus tôt, elles étaient fermées. J’ai l’impression de vivre dans une maison hantée !

Je pourrais être arrêtée pour fraude et détournement de fonds. Moi qui n’ai jamais volé quoi que ce soit, qui fais remarquer à la caissière quand elle me rend trop de monnaie, qui cours après un inconnu pour lui restituer son portefeuille tombé dans la rue... je risque de finir derrière les barreaux ? Dites-moi que c’est un mauvais rêve et que je vais me réveiller !